Les Rats de Montsouris
Les Rats de Montsouris est le 13e opus de la collection adaptée en bande dessinée des aventures de Nestor Burma de Léo Malet. Le titre, publié aux éditions Casterman, est tiré du cycle Les Nouveaux Mystères de Paris dont chaque roman se passe dans un arrondissement différent. François Ravard y reprend le crayon et, épaulé par l'expérimenté Emmanuel Moynot au scénario, nous propose un album inspiré et moderne, empreint de l’héritage de Tardi et très respectueux du style de Malet.
Dans la préface de Brouillard au pont de Tolbiac (1ère édition, Casterman 1982), Léo Malet écrivait ne pas être "emballé" par le 9e art, mais avoir eu "le coup de foudre" pour le premier album des aventures d’Adèle Blanc Sec vu au hasard d’une vitrine de librairie bien avant d’être contacté pour une adaptation de son œuvre en bande dessinée par Jacques Tardi. C’est dire si les débuts de cette série sont auréolés de l’appréciation sensible et positive de l’auteur. Malet avait espéré une adaptation cinématographique de Brouillard au pont de Tolbiac (qui était son roman préféré de la série Les Nouveaux Mystères de Paris) qui n’aboutissait pas, il conclut ce prologue étonnant en disant que cette adaptation était plus "mise en valeur par Tardi que par la Lanterne magique, somme toute éphémère".
C’est bien cette mise en valeur de l'œuvre qu’il faut saluer dans cette nouvelle publication. Car même si cet album appartient au registre des commandes d’un éditeur pour une série à succès, le travail de Moynot et Ravard nous plonge dans l’univers de Burma sans fausses notes.
Dans la succession des dessinateurs, adaptateurs, Emmanuel Moynot eut la tâche compliquée de succéder à Jacques Tardi après 4 adaptations magistrales. Il imposa son propre style à la trombine de Nestor Burma et un passage à la couleur. Moynot est un auteur complet avec une œuvre originale riche à l’instar de No direction paru en 2019 chez Sarbacane. Il aime la spontanéité et confiait se sentir à l'étroit dans les adaptations : "Mais je me demande encore si je suis fait pour les adaptations. J’ai une vision plus globale de l’histoire lorsque je l’écris moi-même. C’est le contraire de ce que Tardi pense. Il a, un jour, dit : L’adaptation présente l’avantage d’avoir en tête une histoire finie lorsque je commence à la dessiner. J’appréhende l’adaptation d’un récit existant, car j’en ai une vision moins globale."1
"Le Burma nouveau nous met dans l’ambiance du polar noir à la française façon Malet : deux clients pour Burma, Paris XIVe, la voie ferrée de la petite couronne, extérieur nuit."
Pourtant il scénarise cet album, à l’intrigue complexe, qui évoque Chandler sur ces ellipses énigmatiques, avec dynamisme et intérêt. François Ravard pose ainsi sa jeunesse et sa précision dans une voie royale. François Ravard avait la patte pour se lancer dans cette série historique, Les Mystères de la 5e République (5 tomes parus chez Glénat) lui ont déjà permis de dessiner les pistolets et des scènes d'action. Et dès la couverture, le dessinateur rend hommage au créateur de la série : le Burma nouveau nous met dans l’ambiance du polar noir à la française façon Malet : deux clients pour Burma, Paris XIVe, la voie ferrée de la petite couronne, extérieur nuit. Elle reprend les codes de Casse-pipe à la Nation (paru en 1996), dans sa mise en scène avec un Burma à la fameuse pipe à tête de taureau respectueux du maître Tardi. Alors même si Burma est assez peu expressif, le découpage, très dynamique, soutient l’action avec brio comme dans la scène de la page 21 où le détective manque d’être écrasé par un train en seulement deux cases !
Ravard nous embarque avec une vision détaillée du XIVe arrondissement des années cinquante, entre le bouge infâme du premier client de Burma et les maisons bourgeoises et coquettes du second. Les scènes du réservoir sont impressionnantes, la colorisation tout en finesse de Philippe de la Fuente qui traverse l’album, explose dans ce final en tonalités jaune et noires oppressantes.
Si l'intrigue apparaît parfois un peu tirée par les cheveux, on ne boude pas son plaisir de se faire balader au rythme de la promenade d'investigation d’un Burma accablée de chaleur qui mouille sa chemise au propre comme au figuré pour démêler ce sac de nœud. Après Tardi, Moynot et Raval, le tandem Moynot-Ravard nous offre un Burma élégant mélange de tradition et modernité qui fera date dans la collection.
Nestor Burma : Les Rats de Montsouris (tome 13)
Dessin de François Ravard, scénario de Léo Malet et Emmanuel Moynot
D'après l'univers graphique de Tardi
Éditions Casterman
Septembre 2020
64 pages
16 euros
ISBN : 9782203190832
1 Entretien avec Emmanuel Moynot réalisé en octobre 2019, à lire sur le site ActuaBD (voir lien).