"Les Sorcières d’Akelarre", un conte féministe basque de Pablo Agüero
Après Madres de los dioses, Pablo Agüero réalise Les Sorcières d’Akelarre, un film en salle le mercredi 25 août, plaidoyer pour la défense de la condition féminine et de l’identité culturelle basque, soutenu par la Région Nouvelle-Aquitaine et qui a bénéficié du soutien d’ALCA dans le cadre des résidences d’écriture du Chalet Mauriac. Entretien avec le réalisateur argentin et Jokin Etcheverria, coproducteur du film avec la société de production basque La Fidèle.
Votre précédent film documentait la vie d’un groupe de femmes patagoniennes décidant de tout quitter pour construire ensemble un temple, et vous réalisez aujourd’hui Les Sorcières d’Akelarre, qui raconte le procès en sorcellerie de jeunes femmes dans le Pays basque du XVIIe siècle. Qu’est-ce qui vous inspire dans le fait de filmer la question de la condition féminine, et plus précisément celle des femmes en communauté ?
Pablo Agüero : J’ai traité ce sujet depuis mes premiers courts métrages, sans le planifier, instinctivement. Peut-être parce que je l’ai vécu. Ayant grandi seul avec ma mère dans la société argentine post-dictatoriale, j’ai vécu des situations extrêmes et j’ai pu constater à quel point le diktat machiste est générateur d’une violence particulièrement dégradante.
Les protagonistes de mes films ont toujours été des femmes. Peut-être parce qu’il me semble essentiel de se mettre dans la peau d’un ou d'une autre. Il y a, depuis peu, une tendance à dire que l'on n’est légitime que pour raconter l’histoire de sa propre communauté. Je pense, au contraire, que c’est le regard artistique qui rend légitime une œuvre. Victor Hugo n’était pas un bagnard, Flaubert n’était pas Madame Bovary, Mary Shelley n’était pas un homme monstrueux... c’étaient de grands écrivains qui racontaient autre chose qu’eux-mêmes. Et je pense qu’on ne devrait pas se battre que pour nos propres droits, mais aussi pour ceux des autres.
Vous vous intéressez dans ce nouveau film à la figure de la sorcière, honnie au Moyen Âge, mais sur laquelle s’opère un changement de regard ces dernières années, devenant un symbole de la libération de la femme de la domination masculine. C’était un thème que vous souhaitiez traiter en particulier ?
P.A. : Je pense que la chasse aux sorcières est un moment charnière, fondateur de ce qu’allait devenir notre société contemporaine. Les inquisiteurs avaient pour but explicite d’éduquer le peuple par la terreur. En imposant la terreur, ils ont imposé une pensée unique. Pendant des générations, ils nous ont éduqués à devenir ce que nous sommes aujourd’hui. Alors, si l’on veut vraiment changer en profondeur notre société, on devrait essayer de désamorcer ce qu’ils ont inscrit dans notre inconscient collectif.
Il y a quatre ans, on assistait à l’explosion du mouvement #MeToo et au début d’une nouvelle révolution féministe, toujours en cours. Les conséquences sur différentes composantes de la société comme dans le monde du cinéma et de l’art en général sont-elles une source d’inspiration, le point de départ de nouvelles histoires ?
P.A. : J’ai écrit les premières versions du scénario en 2008, c’est-à-dire 9 ans avant l’explosion mondiale de #MeToo, à la suite de l'affaire Weinstein. En 2017, quand ces phénomènes ont pris une ampleur mondiale, j’étais déjà en repérages. Mon inspiration vient surtout de Jules Michelet, qui faisait déjà de la sorcière une sorte d’héroïne féministe à la fin du XIXe siècle, dans un livre qui fut interdit, puis oublié. De manière moins directe, je suis sans doute nourri par l’héritage rebelle de la contre-culture des années 1960. J’ai mis un temps démentiel à financer ce film parce que les décideurs trouvaient que le sujet de la chasse aux sorcières n’avait pas de résonance actuelle. Je me réjouis donc de voir que cette perception a changé. Ça ne m’a pas aidé à financer le film, mais ça aidera sans doute à le rendre plus accessible.
"Travailler avec un producteur local, c’est collaborer avec un traducteur. On peut tout étudier sur une région ou une culture, mais seuls ceux qui y vivent peuvent saisir les connotations de chaque chose."
La Fidèle, société ancrée sur le territoire basque coproduit Les Sorcières d’Akelarre. Comment s’est faite la rencontre et la décision de travailler ensemble ?
P.A. : J’avais un producteur à Paris, mais je m’en suis séparé le jour où j’ai pris conscience de l’importance de l’ancrage local. J’ai voulu tout recommencer en partant du Pays basque et cette démarche a bouleversé mon regard. Travailler avec un producteur local, c’est collaborer avec un traducteur. On peut tout étudier sur une région ou une culture, mais seuls ceux qui y vivent peuvent saisir les connotations de chaque chose. Il s’agit de ne pas refaire une énième représentation convenue d’un sujet, mais d’apporter un regard nouveau, à la fois intérieur et extérieur.
Jokin Etcheverria : La Fidèle a rejoint le projet en 2017. Pablo avait déjà rencontré Koldo Suasua et Iker Ganuza, des producteurs reconnus originaires de Saint-Sébastien et de Pampelune qui ont cru au projet et m'ont proposé de rejoindre l'équipe de production composée aussi de Gariza Films et de Tita. J’ai ensuite rencontré Pablo à Bordeaux pour aller défendre le projet devant un comité d’experts. Nous avons donc obtenu lors de cette première rencontre une aide au développement qui nous a permis de participer au casting du film, à la localisation et à d'autres tâches affiliées au développement d'un long métrage.
Une partie du film est d’ailleurs tournée à Sare dans les Pyrénées-Atlantiques. Quel souvenir gardez-vous de la préparation du tournage et comment s’est passée la collaboration avec la Région Nouvelle-Aquitaine, partenaire du film ?
P.A. : Ce film raconte une partie de son histoire que la France a encore du mal à regarder en face. Nous avons eu un mal fou à trouver des financements en France, on a donc dû se tourner vers l’Espagne. Mais c’est grâce aux Régions, surtout la Nouvelle-Aquitaine, que nous avons pu garder une grande partie du tournage en France, dans des décors où les faits réels ont eu lieu, ce qui a une très grande importance symbolique.
J.E : La Région nous a aidés sur le développement et sur la production à hauteur de 210 000 euros. C’est une très belle participation, un bel engagement et une marque de confiance aussi envers une jeune structure comme La Fidèle. Dans la phase de développement, nous avons participé à un casting ambitieux, plus de 800 jeunes filles – comédiennes ou non – ont été castées pour composer le groupe d’actrices principales. La localisation a été aussi une tâche ardue pour ce film, nous avons finalement tourné près de la frontière navarraise, dans l'une des six demeures nobles du XVIIe siècle de Sare.
Quelle importance joue le territoire et les spécificités basques dans un film comme Les Sorcières d’Akelarre ? Est-ce que cela a été une composante importante à l’écriture et après sur le tournage ?
P.A. : L’histoire qu’on raconte est universelle, la même chose est arrivée partout en Europe et aux Amériques, mais la spécificité basque représente parfaitement ce qu’est la résistance d’un peuple pour la défense d’une diversité culturelle. Elle représente aussi une société où les femmes avaient un rôle très tôt dans l’histoire. Par exemple, au Pays basque, l’aîné amené à hériter de la maison familiale pouvait aussi bien être un homme qu’une femme, les relations sexuelles avant le mariage pouvaient être autorisées, etc.
J.E. : Le territoire joue un rôle important dans le sens où ce film existe car il a été fabriqué avec des acteurs principalement du cru, sensibilisés aux différentes questions que soulèvent le film, notamment celle de la glottophobie, une forme de discrimination qui vise la langue de l'autre et qui a existé de façon très marquée dans cette région où l’usage du basque était interdit jusqu’au milieu du XXe siècle.
"La cerise sur le gâteau basque fut bien sûr d'être récompensés à plusieurs reprises. Mais l’aventure ne fait que démarrer, car les avant-premières sont aussi fortes en émotion, avec de belles surprises pour les spectateurs."
Le film, qui sort en France le 25 août, a rencontré un succès critique en Espagne où il a été plébiscité aux Premios Goya. Pablo, ce film marque-t-il un tournant dans votre filmographie ?
P.A. : Les Sorcières d’Akelarre est en effet le plus primé aux Goya, mais mon film précédent, Eva ne dort pas, avait aussi été le plus primé aux Condor (les César argentins). Cela n'avait pas aidé pour autant à financer Les Sorcières d’Akelarre, peut-être parce que chacun de mes projets est un pari inattendu, un défi complètement nouveau. Mais ce film marque bien un tournant pour d’autres raisons. C’est mon premier pas vers un cinéma plus ouvert, plus interactif, où je commence à rejeter des maniérismes du cinéma d’auteur pour essayer de tisser un rapport plus simple et en quelque sorte égalitaire avec le spectateur.
Votre réaction en tant que coproducteur, Jokin ?
J.E. : Ce fut un grand moment à vrai dire car nous avons pu nous retrouver pour la première fois depuis le début de la pandémie. La cerise sur le gâteau basque fut bien sûr d'être récompensés à plusieurs reprises. Mais l’aventure ne fait que démarrer, car les avant-premières sont aussi fortes en émotion, avec de belles surprises pour les spectateurs. Nous avons hâte que le film soit en salle le 25 août grâce à notre distributeur Dulac et à tous les exploitants de salles de France et de Navarre.