Marc Vallès, en résidence entre Limoges et La Rochelle
Marc Vallès est l’un des trois lauréats de l'aide à la création en résidence dans le cadre du Réseau régional des résidences d’écriture en Nouvelle-Aquitaine. Ce dispositif, mis en place à titre expérimental en 2020 et pérennisé cette année, a un double objectif : permettre l’attribution d’une rémunération à des auteurs ou des artistes invités par un ou plusieurs lieux de résidence en Nouvelle-Aquitaine et dans le même temps soutenir, accompagner ces structures de résidence.
Dans ce nouveau programme d’aide à la création, ALCA invite les structures du Réseau régional des résidences d’écriture à proposer les candidatures d’auteurs qu’elles souhaitent accueillir. Celles-ci sont étudiées par un comité de pilotage qui désigne les lauréats. Chaque projet de résidence est construit à la carte selon les besoins de l’auteur dans son projet d’écriture et en fonction de la structure d’accueil. ALCA attribue une bourse aux lauréats et leur propose un accompagnement professionnel et artistique. Cet accompagnement des auteurs permet de soutenir financièrement et logistiquement les structures du réseau régional des résidences et d’encourager les parcours d’auteurs au sein de ce réseau. En 2020, trois bourses ALCA ont été attribuées : à Louise Collet, Thomas Flahaut et Marc Vallès.
Du 7 septembre au 5 octobre, l’auteur, metteur en scène et scénographe Marc Vallès s’est installé la Maison des auteurs de Limoges où il a pu participer au festival Les Zébrures d’automne. Il a poursuivi sa résidence durant tout le mois d’octobre à la Maison des écritures de La Rochelle où il a été le premier auteur accueilli. Pendant deux mois, Marc Vallès s’est consacré à l’écriture d’une pièce de théâtre : Puni dont le thème est la construction du corps dans la société haïtienne et l’empreinte qu’ont laissé encore aujourd’hui les châtiments et sévices corporels infligés par l’esclavagisme de la société coloniale et des régimes d’oppression imposés par les dictatures. C’est aussi une pièce de théâtre préoccupée par la manière dont les chocs liés au passé, même enfouis dans la mémoire, restent impérissables et visuellement accessibles au cœur, à la mémoire et dans les pratiques actuelles.
Faisons d’abord connaissance avec Marc Vallès
Né à Port-au-Prince (Haïti), Marc Vallès a grandi dans un quartier populaire de sa ville natale. Comme beaucoup de jeunes Haïtiens, il découvre la poésie à l’adolescence. Il commence par écrire des poèmes. C’est en rencontrant des jeunes de l’église de son quartier qui font du théâtre qu’il commencera à s’intéresser à la mise en voix de la poésie et des textes littéraires.
"C’est de là que vient mon attirance pour la littérature ; ce qui m’intéressait c’est le jeu des comédiens, la façon dont ils portent un texte face à un public, comment ils s’engagent à travers une parole."
Mais sa rencontre avec de grands auteurs et poètes et dramaturges haïtiens – Bonel Auguste, Guy Régis Junior ou Lyonel Trouillot – sera déterminante et l’ouvrira à la littérature française, européenne et d’ailleurs. Après avoir fréquenté une compagnie de théâtre, il monte sa propre compagnie théâtrale en 2008, puis créé une association qui marquera son entrée dans la vie professionnelle. Il organise des rencontres avec des artistes dans les quartiers populaires et dans les villes de provinces à destination des jeunes.
"J’organisais ces rencontres dans des bars ou des restaurants, elles ont été formatrices et le point de départ de mes réflexions sur l’espace et le rapport direct entre l’artiste et le public, dans une grande proximité."
Il s’intéresse aussi à l’adaptation de romans d’auteurs haïtiens, notamment Les Immortelles de Makenzy Orcel, un récit émouvant sur les prostituées de Port-au-Prince après le terrible tremblement de terre de janvier 2010. Il obtiendra une bourse de l’Institut français (Culture France aujourd’hui) pour cette adaptation et une résidence à la Cité internationale des arts de Paris. D’autres belles rencontres jalonneront son parcours, dont Catherine Boskowitz et Jean Christophe Lanquetin qui lui ouvriront les portes de l’école des Arts du Rhin (HEAR) de Strasbourg où il expérimentera plusieurs projets et obtiendra un master en scénographie en 2017.
"Ma formation et mes projets ont aiguisé mes réflexions et ma vision de l’espace. J’ai poussé mes recherches sur ces questions pour saisir, de manière anthropologique, comment on vit l’espace, comment l’histoire, notre mémoire influencent notre façon d’habiter l’espace, de le faire sien.
À partir de cette idée, j’ai décidé de travailler sur tous les types de traumatismes qui imprègnent notre éducation, notre culture. J’essaie de comprendre les différentes catastrophes humanitaires – l’esclavage, la traite des Noirs, le colonialisme – et les catastrophes naturelles comme les cyclones ou le récent tremblement de terre dont Haïti a été profondément touchée. J’ai pu faire le lien entre ces traumatismes et le rapport à l’espace.
"Avec les différents événements qui ont marqué leur mémoire, les Haïtiens ont aussi développé un rapport d’instabilité, de déséquilibre et d’instantanéité avec l’espace."
Par exemple, les Haïtiens ont gardé cette relation de proximité et d’intimité avec l’autre, née d’un fait géographique d’une part : près de 12 millions d’Haïtiens vivent sur une île de 28 000 Km2, mais surtout liée à la part tragique de l’histoire comme l’entassement dans une cale de bateau ou le travail dans l’aire réduite d’une plantation. Avec les différents événements qui ont marqué leur mémoire, les Haïtiens ont aussi développé un rapport d’instabilité, de déséquilibre et d’instantanéité avec l’espace.
Mon corps réfléchi écrit en 2017 traduit ces réflexions sur le choc et la manière dont ces traumatismes nous habitent, c’est le récit des émotions et le vécu de la traversée dans la cale où j’invite les gens à faire appel à leur intérieur.
Le projet Puni est une suite de cette réflexion sur les traces dans nos mémoires, imprimées de manière consciente ou inconsciente, de leur survivance dans nos actes quotidiens. Le système colonial a institutionnalisé le châtiment corporel pour faire fonctionner les plantations. Le Code noir1 instaurait des punitions tels le fouet, le marquage au fer, les oreilles coupées, la peine de mort… À travers Puni, je veux montrer que ces sévices ont des résurgences encore aujourd’hui, notamment dans l’éducation, au sein des familles ou à l’école.
La mise en scène de Puni aura la forme de retrouvailles d’anciens camarades de collège dans un bar. Au cours de leurs rencontres, quatre personnages, Jun, Kett, Cal et Franck, trois femmes et un homme racontent leur enfance, les fracas d’un pays, les vieilles blessures tout comme l’enivrement quotidien de vivre, ils évoquent les punitions qu’ils ont subies à l’école, dans leur quartier ou leurs familles. C’est aussi lors de ces discussions que sont évoquées Haïti des années 80 à aujourd’hui et la manière dont les instances qui structurent la société appliquent les actions punitives. Les traumatismes des jeunes gens surgissent au gré des événements qui se déroulent à l’extérieur. Il y aura une corrélation entre deux textes : un premier texte qui va pousser le public à faire appel à son imaginaire, à son intérieur pour créer un espace sensoriel ; et le deuxième texte qui montre comment encore aujourd’hui on pratique ces sévices.
À Limoges, je me suis concentré sur l’écriture du projet et ensuite, étant présent aux Zébrures d’automne, j’ai pu entrer en contact avec d’autres artistes de la francophonie dont beaucoup s’intéressent à ces sujets et qui étaient en mesure de discuter sur mon travail.
Le partenariat entre la Maison des auteurs de Limoges et la Maison des écritures à La Rochelle est très positif. À Limoges, je me suis concentré sur l’écriture du projet et ensuite, étant présent aux Zébrures d’automne, j’ai pu entrer en contact avec d’autres artistes de la francophonie dont beaucoup s’intéressent à ces sujets et qui étaient en mesure de discuter sur mon travail.
Mon deuxième temps de résidence à La Rochelle était consacré au travail de recherche puisqu’il y existe des archives sur la colonisation, cette ville ayant été un des ports de la traite des Noirs. Malheureusement, j’ai dû interrompre ma résidence rochelaise en raison de l’instauration du confinement. Du coup, j’ai consacré ce temps disponible à la poursuite de l’écriture, car j’espère pouvoir organiser une lecture lors des prochaines Zébrures de printemps et lancer ensuite la création."
1Le Code noir est promulgué en 1685 par Louis XIV.
Rencontre avec Nadine Chausse, coordinatrice de la Maison des auteurs de Limoges
"Au commencement, il y a eu le festival appelé alors Festival de la francophonie, créé par Pierre Debauche2 en 1984, dont le fil rouge a été depuis toujours de réunir des artistes autour d’une langue à travers le théâtre. Quatre ans plus tard, la Maison des auteurs était créée. C’est la seule maison d’auteurs adossée à un festival de théâtre. Pour qu’il y ait théâtre et en particulier théâtre contemporain, il faut qu’il y ait écriture. Parce que la Maison des auteurs est un lieu de rencontres, un espace-temps consacré à l’écriture et un espace financier grâce aux bourses, elle est un creuset de la création, tout en permettant la diffusion des œuvres auprès des publics, professionnels ou non.
En 1993, la Maison des auteurs a ouvert ses portes dans un lieu dédié : un ancien bâtiment municipal mis à disposition, constitué de trois studios aménagés où les auteurs peuvent être autonomes et disposer de plusieurs commodités : bibliothèque, jardin et une salle commune pour se retrouver. Le festival est devenu La Francophonie – Des écritures à la scène et connaît en 2008 un nouveau développement avec la création des Nouvelles Zébrures, en deux temps : les Zébrures de printemps et les Zébrures d’automne, des manifestations littéraires sous forme de lectures ou propositions artistiques déployées dans toute la région. Avec l’arrivée en 2019 de Hassane Kassi Kouyaté, son nouveau directeur, il devient Les Francophonies – Des écritures à la scène, avec toujours deux temps : les Zébrures de printemps, deuxième quinzaine de mars, consacrées aux écritures ; les Zébrures d’automne, fin septembre-début octobre, dédiées aux arts de la scène.
Au sein des Francophonies – Des écritures à la scène, festivals et Maison des auteurs offrent du temps à la création et à la monstration tout au long de l’année, sans oublier l’éducation artistique et culturelle (EAC) qui a toujours été présente, avec, entre autres, la création du prix Sony Labou Tansi des lycéens – du nom d’un grand auteur congolais – autour des écritures de théâtre francophones contemporaines. Chaque année, 1 500 lycéens participent à ce prix dont l’essor est aujourd’hui régional, français et international.
En 2020, deux programmes ont été ouverts en direction des femmes, partant du constat que sur les 200 auteurs invités en résidence depuis sa création, la Maison des auteurs reçoit une minorité d’autrices : 'Découverte' permet à des autrices jeunes et/ou inconnues de se faire connaître. Ce dispositif comprend plusieurs étapes et temps de résidence : à la Maison des auteurs et un dernier à la Cité internationale des arts à Paris, partenaire de ce programme. Des auteurs confirmés soumettent des candidatures : pour les autrices retenues, leur "parrain" s’engage à les accompagner tout au long de la résidence. Une lecture publique des textes est programmée lors des Zébrures de printemps. L’autre programme s’intitule 'Terminer un texte' qui comme son nom l’indique est dédié à la finalisation d’une création. Ces deux programmes sont conçus pour répondre aux besoins spécifiques des autrices et de les accompagner dans leurs projets d’écriture."
2Pierre Debauche : comédien, auteur et metteur en scène, il a fondé le théâtre des Amandiers à Nanterre et dirigé le centre dramatique national du Limousin de 1984 à 1986.
Photo : Christophe Pean
Rencontre avec Hassane Kassi Kouyaté, directeur des Zébrures
"Les Zébrures de printemps et Les Zébrures d’automne sont deux festivals consacrés aux auteurs, aux écritures et aux arts de la scène. Le théâtre qui nous intéresse est le théâtre de texte : nous donnons une grande importance à l’écriture, elle doit être le fondement des écritures scéniques. C’est pourquoi nous nous intéressons aux auteurs. Les Zébrures, c’est aussi la découverte des créateurs, des artistes du monde francophone, leur accompagnement, et pour ceux qui sont plus connus, c’est les aider à consolider leur présence dans le monde de la création. C’est aussi favoriser l’émergence de jeunes talents qu’ils soient auteurs, metteurs en scène, chorégraphes…
Au programme des Zébrures, il y a aussi de nombreux débats et rencontres. Issu d’une collaboration avec l’université de Limoges et Des Francophonies – Des écritures à la scène, Le Laboratoire du zèbre propose des moments pour réfléchir et échanger sur les œuvres, des débats à plusieurs niveaux : artistiques, universitaire, scientifique, social… pour toucher tous les types de publics. Les rencontres professionnelles favorisent la rencontre entre les artistes qui ont les mêmes préoccupations et l’échange constructif sur ce qui peut être fait ensemble et comment il est possible de collaborer.
Le spectacle vivant est essentiel. Rien ne remplace ces moments de rencontre et de partage entre les artistes, le public et les professionnels. Ils sont indispensables pour l’équilibre de nos sociétés. Lors des Zébrures je peux voir le plaisir du public à être là."
Photo : Christophe Pean
La Maison des écritures de La Rochelle – la Villa Fort-Louis
Au cœur du magnifique parc Franck Delmas, la villa Fort-Louis à La Rochelle est une demeure néo-renaissance, propriété de la ville depuis 1963. Construite en 1890 par un armateur, Louis Delmas, elle a été le siège de la Résistance puis a abrité la faculté de droit, enfin le service des sports de la Ville. La villa Fort-Louis a trouvé une nouvelle destinée en devenant la Maison des écritures. Sa vocation est désormais d’accueillir des artistes en résidence, d’être un lieu de création, ouvert à toutes les écritures, particulièrement celles issues de la francophonie. Sous la houlette du Centre Intermondes, la villa Fort-Louis accueillera aussi de nombreux temps forts : ateliers d’écriture, rencontres, festivals, salon littéraire… Après son séjour à Limoges, Marc Vallès a été accueilli pour la deuxième partie de sa résidence à la villa Fort-Louis en tant que lauréat de l'aide à la création en résidence, bourse qui soutient également un nouveau lieu.
Photo : Julien Chauvet / Ville de La Rochelle