Maryse Bastié par elle-même
Ailes ouvertes, carnet d'une aviatrice, réédition d'une autobiographie publiée en 1937, reparaît ce 29 mai 2024 aux éditions L'Apprentie, la structure éditoriale des étudiants de l'IUT des Métiers du livre de l'Université Bordeaux-Montaigne.
Sous le titre repris par L’Apprentie, d’une écriture aussi vive qu’élégante et cultivée, à la fois pudique, précise et sans détour, la célèbre aviatrice avait retracé pour le livrer au public l’ensemble de son parcours jusqu’en 1937, date de parution de son ouvrage aux Éditions Flasquelle. Née à Limoges en 1898, Marie-Louise Bombec connaît d’abord une enfance heureuse dans une famille aisée de sa ville natale. À onze ans, au seuil de son adolescence, la perte de son père entraîne un douloureux changement des conditions de vie de sa famille. Son père la rêvait étudiante en médecine puis médecin, mais elle doit commencer à travailler très tôt dans une usine de chaussures. Durant son temps libre, elle découvre les joies de la lecture, "la porte magique qui permettait à la captive que j’étais de s’évader déjà hors de la vie quotidienne, en de folles envolées…" Puis survient la guerre de 1914-1918, au cours de laquelle elle travaille avec une machine à coudre à la fabrication de vêtements, blouses d’infirmières, de docteurs… Elle se marie, a un fils, perd son frère à Verdun. Mais elle a appris la dactylographie et, à l’Armistice, travaille à la Compagnie d’Électricité de Limoges.
Elle rencontre et épouse alors l’ex-pilote de guerre Louis Bastié. Ensemble, ils tiendront un magasin de chaussures à Cognac ― moment assez frustrant à propos duquel elle cite deux vers de Paul Verlaine ―, jusqu’au jour où son mari est nommé moniteur à l’école d’aviation du camp de Mérignac, un univers dans lequel elle se familiarise avec joie et découvre sa véritable vocation. Bientôt, elle apprend à voler avec Guy Bart et, en fin septembre 1925, obtient son brevet de pilote, puis une célébrité éphémère pour avoir volé sous les câbles du pont transbordeur de Bordeaux, "à une dizaine de mètres de l’eau". Mais la tragédie n’étant jamais loin dans le monde des aviateurs de cette époque, Louis Bastié disparaît lors d’un accident d’avion en 1926. Plus ou moins paradoxalement, la passion de sa veuve pour l’aviation et ses dangers n’en est que renforcée : "[…] pour la première fois je regardais le ciel d’un œil ennemi." Pourtant : "… Non… les ailes blessées ne meurent pas tout entières […]"
Partie vivre chichement à Paris, Maryse Bastié va fréquenter de plus en plus assidûment le camp d’aviation d’Orly et, peu à peu, surmontera toutes les difficultés et tous les doutes pour devenir l’héroïne des records qui l’ont rendue universellement célèbre. Un temps elle gagne modestement sa vie en assurant des baptêmes de l’air et par des missions de publicité aérienne, mais en même temps elle apprend à négocier, à gagner la confiance des uns et des autres et à convaincre pour obtenir qu’on lui confie des avions. Devenue amie avec le pilote Guy Drouhin, elle participe avec lui au Rallye de Reims, qui leur vaut une deuxième place et un prix de 25000 Francs. Puis elle accompagne le même Guy Drouhin lors d’un vol de 1058 kilomètres de Paris à Treptow en Poméranie, qui se solde par un record de distance en avions légers bi-place homologué en 1928. En 1929 elle commence à voler seule et, les 28 et 29 juillet, remporte le record féminin de durée au niveau international en volant pendant 26 heures 48. À partir de là, huit ans durant, grâce sans nul doute à sa grande humanité, ainsi qu’à son intelligence et à son courage encore plus qu’à la chance, les exploits ne vont cesser de se succéder. En 1930, elle décolle du Bourget pour un vol en circuit qui lui permet d’obtenir un record de durée de 38 heures. Elle établit ensuite un record de distance lors d’un vol de Paris à Iuring, en URSS, long de 3200 kilomètres.
Après bien des aventures entre son atterrissage dans la steppe et son retour en France, elle se voit décerner la Croix de chevalier de la Légion d'honneur et le Harmon Trophy américain. À partir de 1934, naturellement féministe comme la plupart des aviatrices du premier vingtième siècle, elle s’engage pour le droit de vote des femmes, si bien que deux ans plus tard elle apportera son soutien à la candidature de Louise Weiss aux élections législatives. En 1935, elle a créé à Orly l’école Maryse Bastié Aviation. En 1936, elle a déjà traversé l’Atlantique Sud avec le légendaire Jean Mermoz qui l’a dotée de ses encouragements. Le 30 décembre 1936, alors que celui-ci disparaît en vol un mois à peine avant son propre départ ― toujours les tragédies rythmant les grandes épopées ― l’aviatrice accomplit seule à son tour une traversée de Dakar à Natal, avec un record du monde de vitesse en douze heures et cinq minutes, à la suite duquel elle effectue un périple en Amérique du Sud où elle se voit partout fêtée et couverte d’honneurs. Dans son livre, elle ne tarira pas de fervents éloges pour l’héroïsme de tous les pilotes et autre acteurs de la ligne française de l’Atlantique Sud. De retour à Paris, elle sera décorée de la Médaille du Progrès par le ministre Pierre Cot. Alors que vient de se conclure par sa publication la rédaction de sa brillante autobiographie, elle devient membre des IPSA (les Infirmières pilotes secouristes de l'air).
Pendant la Drôle de Guerre, réquisitionnée dans l’Armée de l’Air, elle devient pilote en mai 1940 avec le grade de sous-lieutenant(e). Sous l’Occupation, elle est blessée à un coude alors qu’elle intervient avec la Croix Rouge au camp de prisonniers en transit pour l’Allemagne de Drancy, où elle recueille des renseignements pour la Résistance sous couvert de ses activités humanitaires. Après avoir été promue lieutenant(e) des FFL à la Libération, elle entre dans l’Ordre de la Légion d’honneur à titre militaire. Poursuivant une carrière au sein de l’Armée de l’Air après guerre, elle travaille à partir de 1951 au service des relations publiques du Centre d’essais en vol. Un an plus tard, lors d’une mission au meeting aérien de Lyon-Bron, elle est victime d’un absurde accident en vol en tant que passagère qui lui coûte la vie à l’âge de 54 ans. À noter que, du côté de la littérature, deux inoubliables romans de William Faulkner, Monnaie de singe et Pylône, en disent très long sur les déboires et les expériences ingrates qui peuvent être le lot de moins glorieux adeptes de l’aviation, hommes et femmes dont le souvenir reste le plus souvent dans l’ombre.
L’une des éditrices de L’Apprentie, Delphine Bourgeois, a donc pris soin à propos d’établir en fin d’ouvrage une brève biographie des "Aviateurs et aviatrices contemporains de Maryse Bastié". Sous l’impulsion de Maxime Gendron, l’objet-livre présente la particularité d’avoir été conçu comme un fac-similé de carnet de bord, avec des angles de couverture arrondis et des inscriptions, ainsi que l’illustration de couverture, de couleur turquoise sur fond de revêtement de cuir bordeaux foncé. Il faut saluer aussi le beau travail des deux autres éditrices : Louise Carel et Manon Michelena.
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