Meurs, monstre, meurs
Présenté dans la sélection Un certain regard au Festival de Cannes 2018, Prix du long métrage dans la sélection internationale du FIFIB la même année, Meurs, Monstre, meurs sort en salle ce mercredi 15 mai. Son réalisateur argentin, Alejandro Fadel, revient sur la fabrication de ce film de genre soutenu par la Région Nouvelle-Aquitaine et accompagné par ALCA.
Alejandro Fadel : L'horreur au cinéma m'a toujours intéressé : elle a été ma première approche de la cinéphilie, avant même d'en connaître le mot. L'horreur est un genre qui a un pouvoir vital dans son essence, c’est sa condition pour se renouveler. À partir de l'artifice, l’horreur pense le monde, reflète la politique de son époque. C'est à la fois l'avant-garde et la tradition. Il est toujours moderne, car les temps nouveaux exigent de nouvelles images et de nouveaux sons qui émeuvent le spectateur, stimulent sa foi dans les images et l’entraînent dans le mystère, dans cette zone inconfortable et incertaine à laquelle tout art doit aspirer.
Bien sûr, en tant que cinéaste face à une histoire d’horreur, j’ai essayé de trouver un moyen approprié de traiter mes problématiques. Il est également vrai que le marché impose un moule narratif au genre qu'il est essentiel de remettre en question. Si l'horreur se répète, elle meurt, l'algorithme la mange. Le terrorisme d’impact (visuel et sonore) ne m’intéresse pas. Je suis davantage attiré par ces films où l’horreur semble émerger d’une manière mystérieuse et implacable, prête à tout contaminer, ce brouillard qui atteint la baie et abrite le mal. Meurs, monstre, meurs parle au fond de la peur et des différentes façons de la contrôler dans le monde moderne. C'est aussi un film d'amour, de sa présence et de son manque.
Comment s'est passé le casting où l'on trouve à la fois des acteurs professionnels comme Esteban Bigliardi et des acteurs qui apparaissent pour la première fois devant une caméra?
A.F. : Lorsque je filme une personne, peu importe si c'est un acteur professionnel ou non. Les deux protagonistes du film ainsi que leurs voix sont au centre de l'histoire. J'ai écrit en pensant à Estaban Bigliardi pour jouer David, avec ses paroles étranges qui traversent le film et qui délivrent à la fois des indices et nourrissent la méfiance. C'était cette voix et ces textes qui devaient ensorceler l'autre protagoniste, l'officier en charge de l'enquête, et le plonger petit à petit dans une confusion le conduisant au contraire vers le mystère. En ce qui concerne Cruz, je ne savais pas qui allait l'interpréter, mais je sentais qu'il serait préférable que ce soit un acteur (ou pas, un acteur, professionnel ou non, je me fiche de ces concepts ; en général, le concept de « professionnalisme » est hors de mes préoccupations) qui apparaissait pour la première fois devant une caméra.
"Je suis plus intéressé par les corps, les voix, les mouvements que par la construction dramatique."
J'essaie de ne pas charger les personnages de psychologies, d'histoires précédentes ou de motivations à agir ou à réagir. En ce sens, je suis plus intéressé par les corps, les voix, les mouvements que par la construction dramatique. Un acteur qui vient exécuter son rôle avec précision n'appartient pas à l'univers qui me touche. Disons que je cherche à ce que l'objectif et le micro enregistrent l'ambiguïté qui se pose entre la personne qui interprète et le personnage imaginé.
Alors que les conditions de tournage étaient presque toujours inconfortables, les corps des acteurs étaient soumis aux mêmes difficultés et l'expérience devenait parfois épuisante. J'ai découvert dans une nuit sans fin et froide que le corps d'un acteur dans des situations extrêmes avait la même résistance que celui d'un athlète confronté à des situations à haut risque. Ce qui rendait cette histoire vraie, c'était la capacité de ses acteurs à doter leurs personnages de tendresse.
"Grâce à mes collaborateurs français, j'ai eu l'opportunité et le plaisir de travailler à la construction du monstre avec des personnes incroyables et talentueuses, de l'Atelier 69 et de Mikros."
A.F. : La contribution française était non seulement nécessaire mais indispensable pour le film. Ce sont les amis de Rouge International qui ont d'abord cru au projet. Ce sont eux qui ont introduit UProduction et, ensemble, ils ont établi une collaboration non seulement économique, mais aussi créative, fondamentale. J'aime travailler avec des amis ! Ce tournage a été une expérience qui nous a tous traversé et cette vitalité se reflète à l'écran. C’est une expérience longue et épuisante à filmer et les liens humains doivent être solides. La même chose s’est produite avec nos collègues de Cinestación au Chili et tous ceux qui se sont joints à ce film et s’y sont intéressés, du scénario à aujourd’hui. Grâce à mes collaborateurs français, j'ai eu l'opportunité et le plaisir de travailler à la construction du monstre avec des personnes incroyables et talentueuses, de l'Atelier 69 et de Mikros. Et enfin, j'ai trouvé chez UFO un distributeur qui adore notre film. J'ai beaucoup appris de tout le monde, j'ai senti leur engagement, je me suis senti aimé et accompagné.
Quelles étaient les facilités et les difficultés pour produire un film de genre ?
A.F. : Nous pensions que ce film exigerait un important travail pour obtenir les fonds nécessaires et réaliser le film que nous avions imaginé. Et bien que nous sachions qu'il s'agissait d'un film de genre, nous savions également qu'il fonctionnait aussi comme un roman. C'était un long chemin. Il fallait apprendre à attendre. Heureusement, nous avons trouvé d'excellents compagnons d'aventure. Il s'agissait, dès le début, d'unir nos efforts et nos volontés, nous qui croyions autant au film qu'en chacun de nous. Nous avons ainsi pu compter sur l'appui d'entreprises, de fonds et d'institutions, publiques et privées, dans plusieurs pays du monde.
Le tournage a été difficile durant sept semaines dans la province de Mendoza, en plein hiver et en haute montagne. Toute l’équipe a résisté stoïquement et généreusement aux conditions de tournage, avec dévouement et joie. Enfin, nous sommes rentrés de la montagne avec des heures et des heures d'images et de sons. Nous avons monté le film à Buenos Aires, en développant le VFX entre la France et l'Argentine. Enfin, nous avons fini l’image entre São Paulo, le Brésil et Bordeaux, le son entre le Chili et l’Argentine et nous avons mixé le film en France. Mystérieusement, il semble que les parties s'emboîtent ! L'ensemble du processus a nécessité beaucoup de travail de la part de toutes les parties mobilisées, cherchant chaque fois de nouvelles façons de lutter contre le monstre.
"Les festivals de cinéma, malgré les critiques que l'on peut en faire, continuent d’être des lieux de résistance dans la bataille culturelle."
A.F. : En 2012, a été présenté à la Semaine de la Critique du festival de Cannes, Los Salvajes, mon premier long métrage en tant que réalisateur. J'en garde un très beau souvenir, à l'égard de l'équipe du festival et, aussi, pour les films et pour ceux qui les ont réalisés. Dans ce cas, la belle expérience a été répétée. L'intérêt et la confiance dans notre travail ont prévalu. J'en ressens une joie énorme. J'imagine que beaucoup de cinéastes souhaitent venir dans ce festival montrer pour la première fois le fruit de plusieurs années de travail. Le festival est une vitrine importante pour tous les films et leur avenir est, peut-être encore plus pour des films comme celui-ci, difficile à localiser sur un marché vertigineux où la consommation d'images de télévision est de plus en plus codifiée. Je pense que c'était une décision risquée de l'avoir programmée et cela me fait plaisir que d'autres aient vu la beauté dans ce que nous avons imaginé. Les festivals de cinéma, malgré les critiques que l'on peut en faire, continuent d’être des lieux de résistance dans la bataille culturelle. La situation du cinéma dans les salles de cinéma est en crise et ceux qui font du cinéma doivent faire tout ce qui est en leur pouvoir pour ne pas perdre les Salles obscures.
Quel a été pour vous l'impact du prix reçu au FIFIB (Festival International du Film Indépendant de Bordeaux) ?
A.F. : Je me sens très proche de Bordeaux, j'ai de la famille à proximité, ma femme et ma fille sont françaises, j'ai de bons amis, j'aime les vins et la ville. Et oui, j'adore le fait que le film y ait remporté l'un de ses premiers prix, par un jury que je respecte et admire. Et le film a été projeté dans l’Utopia, ce beau et confortable temple-cinéma, avec son bar élégant. D'autre part, la Région Nouvelle-Aquitaine a fortement soutenu notre film et c'est une excellente occasion de le partager avec eux et de les en remercier.
(Photo : Esteban Chinchilla)