Mois du doc : Pyramide Production donne la parole
Deux films de la société de production Pyramide sont présentés lors du Mois du film documentaire en novembre 2018 : Le Soliloque des muets et À l’infini. Créée à Limoges il y a 30 ans par Patrick Séraudie, Pyramide Production compte aujourd’hui dans son catalogue plus de 70 films documentaires en coproduction avec les chaînes de télévision françaises. Coup de projecteur avec Isabelle Neuvialle, productrice déléguée.
A priori, ces films semblent très différents, mais on s’aperçoit bien vite qu’ils ont en commun l’intention de mettre en lumière des êtres humains qui ne peuvent parler de leurs maux, de libérer la parole de ceux qui souffrent d’une blessure intérieure.
"Ce qui nous intéresse, notamment dans les films qui portent sur l’histoire, ce n’est pas l’Histoire avec un grand H, mais ce sont les petites histoires qui sont à l’intérieur…"
"S’il y a bien quelque chose qui nous tient à cœur à Pyramide, c’est de donner la parole à des gens qui n’ont pas ou ne peuvent pas avoir l’occasion de l’avoir, pour une raison ou une autre. Ce qui nous intéresse, notamment dans les films qui portent sur l’histoire, ce n’est pas l’Histoire avec un grand H, mais ce sont les petites histoires qui sont à l’intérieur… Pour Le Soliloque des muets, c’est complètement ça. Chacun des films a une genèse très différente. Le Soliloque des muets a demandé quatre ans de travail. L’idée de Stéphane Roland a été de faire le voyage en Indonésie pour aller à la rencontre des victimes de la répression de 1965, qui ne s’étaient jamais exprimées. Il s’est appuyé sur les associations présentes en France – notamment Réseau Indonésie – et il a pu recueillir de nombreux témoignages. Dans un deuxième temps, s’est tenu le Tribunal populaire que Stéphane a eu l’idée de photographier – de superbes clichés en noir et blanc intégrés au film [ndlr] – : c’est ce mélange des deux matières qui a constitué le film, qui lui a donné une autre envergure. Ce film a été difficile à produire. Il était éloigné des problématiques européennes. Et puis l’Indonésie est méconnue, comme le sont les événements de 1965 dans ce pays, y compris des historiens.
À l’infini a eu deux éléments déclencheurs : Pyramide a produit les deux premiers films d’Edmond Carrère (Miage et Mato) et nous avions envie de continuer avec lui et de l’aider à déployer son talent d’artiste. Edmond est également le chef opérateur d’un film que nous venions de produire avec la réalisatrice Claire Durand-Drouhin, par ailleurs danseuse et chorégraphe : Le Monde autrement, qui est une plongée dans l’univers d’un centre d’accueil spécialisé. Le film est axé sur les résidents qui dansent avec la réalisatrice, les personnels soignants étant complètement hors-cadre. Lorsqu’Edmond a souhaité retourner dans une maison d’accueil, mais en braquant sa caméra vers les soignants, ça nous a paru très intéressant et complémentaire.
Je dirais que chaque film fait l’objet d’une approche particulière et que chaque film est un prototype différent à produire, celui-là n’y fait pas exception. Mais la MAS (Maison d’accueil spécialisée) de Maud Mannoni en Dordogne est un lieu à part. Ce n’est pas un hasard si le film a été tourné là. C’est une maison ouverte où il y a de nombreuses résidences d’artistes. Acteur dans le film, Mathieu Sajous est le directeur du centre. Il est aussi un être exceptionnel dans son domaine d’activité. C’est un professionnel très impliqué qui porte ce lieu. Le genre de personne idéale pour faire un film."
"J’aimerais bien que ce film fasse bouger la vision sur le handicap… Ne serait-ce que faire évoluer le regard et la curiosité d’une personne, c’est déjà un pari gagné !"
"Il va faire venir des résidents, c’est pour lui essentiel : cette ouverture, on la voit dans le film et elle perdure après, dans l’accompagnement qu’il fait lui-même du film. Le film a été présenté à la MAS de Montpon-Ménestérol, aux personnels soignants et aux résidents : les gens ont beaucoup ri, ce qui m’a étonnée… Je me suis dit que c’est peut-être parce qu’ils se connaissent… Puis il a été présenté au festival Visions du réel à Nyon, en Suisse, où il était en compétition ; même chose : les gens riaient ! J’ai alors pleinement réalisé que ce film dégage quelque chose de lumineux. Nous avions travaillé cette idée de légèreté au montage mais j’en ai vraiment pris conscience lors des projections et des moments de partage avec le public."
Et lorsqu’on demande à Isabelle Neuvialle si elle espère que ce film va faire bouger la vision du handicap : "J’aimerais bien… Ne serait-ce que faire évoluer le regard et la curiosité d’une personne, c’est déjà un pari gagné ! Parfois on y croît, bien sûr. Il y a 50 ans, on appelait ces gens des fous – on n’a plus le droit d’employer ce mot – et on les enfermait. Les patients aspirent à plus d’ouverture vers le monde et j’espère que le film contribue à cela : ouvrir un peu le regard…"
Achevés fin 2017, Le soliloque des muets et À l’infini, conçus pour la télévision, ont reçu chacun une Étoile de la SCAM 2018, une belle reconnaissance. Pyramide Production célèbre ses 30 ans cette année, avec une cinquantaine de projections, débats et autres soirées festives de novembre 2018 à octobre 2019. Le lancement a lieu à l’Utopia le 26 octobre…
*intégrée au Centre hospitalier Vauclaire à Montpon-Ménestérol.