Naissance d’une résidence : Livre au ciné, à Brive
La ville de Brive-la-Gaillarde, en Corrèze, abritait jusqu’ici la plus grande foire du livre en France, après Paris, et les rencontres internationales du moyen métrage. Elle compte depuis cette année la résidence Livre au ciné, qui met à l’honneur les adaptations de livres à l’écran. Rencontre avec sa créatrice, Maguy Cisterne, et l’un de ses tout premiers résidents, le réalisateur Morgan Simon.
Si une résidence d’écriture évoque pour vous calme, isolement et retrait du monde, passez votre chemin. Livre au ciné, la toute nouvelle résidence d’écriture de scénarios d’adaptation d’œuvres littéraires, est au contraire au cœur de la vie et de la ville. Organisée par le Festival du cinéma de Brive, en coopération avec la Foire du livre de Brive et en partenariat avec la Ville et la Région Nouvelle-Aquitaine, la première édition a eu lieu en novembre 2021, lors de la Foire du livre. Une première session pour les cinq résidents, qui se prolongera d’une deuxième session en avril, lors du Festival du cinéma.
Maguy Cisterne, à l’origine de la résidence, explique la genèse du projet : "J’aime les constructions qui ont du sens, qui unissent et qui sont ancrées dans le territoire. L’idée de cette résidence mûrit depuis longtemps. Avec la Foire du livre et le Festival du cinéma, deux piliers culturels très importants pour la ville de Brive et pour la Corrèze, je pensais qu’un pont pouvait être créé entre le cinéma et la littérature. L’adaptation est le lien le plus évident. Et l’idée est aussi née du constat qu’il y a peu de formations ou de lieux dédiés à l’écriture de scénarios d’adaptation. Adapter une œuvre est un travail différent d’une création absolue. Comment travailler avec un auteur et sur une œuvre, par exemple. Il y a mille façons d’adapter et le partage d’expériences est bénéfique pour les réalisateurs qui veulent s’y attaquer. "
"Il y a mille façons d’adapter et le partage d’expériences est bénéfique pour les réalisateurs qui veulent s’y attaquer. "
Les cinq résidents de Livre au ciné sont tous réalisateurs d’un court métrage montré en festival et trois d’entre eux ont déjà réalisé un long métrage. Ils ont travaillé à Brive sur des projets d’adaptation pour un moyen ou un long métrage. Parmi eux, Aurélien Vernhes-Lermusiaux, originaire du Lot, qui a fait la section Cinéma et Audiovisuel du lycée d’Arsonval de Brive. Il vient de recevoir le prix Louis-Delluc pour son premier long métrage Vers la bataille. Également Alain Della Negra, qui a déjà été en compétition à Brive, Fabianny Deschamps, Lou-Anna Reix et Morgan Simon.
Ce dernier est enthousiaste sur la résidence : " C’est une belle expérience. Nous avons été très bien accueillis et c’était excitant de faire partie de cette première édition. " Déjà familier des résidences – il a notamment été au Chalet Mauriac, à Saint-Symphorien –, Morgan Simon a apprécié de pouvoir écrire au calme, mais aussi d’avoir été nourri par des rencontres, des films et des débats. "Comme on est avec d’autres réalisateurs, il y a beaucoup d’échanges passionnants. Une bonne dynamique de groupe s’est créée. Les projets sont tous très différents et nous nous soutenons les uns les autres. Nous avons hâte d’être en avril pour la deuxième session, pour voir l’avancement de nos projets. "
Pour le réalisateur, participer à une résidence est un luxe. "Pouvoir travailler hors du temps, sortir de son quotidien, se concentrer uniquement sur son travail et n’avoir rien d’autre à faire, c’est précieux. Et puis cela donne de la crédibilité et de la visibilité au projet. Avoir été résident peut aider à être lu et accompagné par les producteurs. Il y a vraiment des conséquences positives. "
L’un des objectifs de Maguy Cisterne est d’ailleurs que Livre au ciné devienne un label. "J’imagine que, de la même manière que le Festival du cinéma de Brive est un festival de catégorie1 et que les films sélectionnés obtiennent des points pour l’aide automatique au programme au CNC1, je voudrais qu’à terme, le fait d’avoir fait Livre au ciné devienne un gage de qualité, une plus-value pour les auteurs d’adaptation et leurs projets. "
"Avoir été résident peut aider à être lu et accompagné par les producteurs. Il y a vraiment des conséquences positives. "
Déjà réalisateur d’un long métrage remarqué, Compte tes blessures, sorti en 2017, Morgan Simon a travaillé à Brive sur le scénario d’un film inspiré par le livre de Thomas Heams-Ogus, Cent Seize Chinois et quelques, paru au Seuil en 2010 et nommé au prix Goncourt du premier roman. Une histoire tout à fait étonnante, comme le réalisateur l’expose : "Pendant la Seconde Guerre mondiale, le gouvernement de Mussolini a décidé d’incarcérer tous les Chinois d’Italie dans un camp perdu dans les montagnes. Ils étaient cent seize, seulement des hommes entre vingt et soixante ans et sont restés trois ans dans une prison sans barrière, dans un village des Abruzzes, sans vraiment comprendre pourquoi ils étaient là." Ce qui a motivé le réalisateur à adapter ce livre ? "L’absurdité de cette histoire où des hommes venus de l’autre bout du monde sont restés bloqués des années en semi-liberté dans les montagnes italiennes, pour la plupart sans parler la langue. Le fait également que ce soit un auteur français qui ait déterré ce moment oublié de l’histoire, cela raconte quelque chose quant au rapport de l’Italie à son passé. C’est un angle nouveau de la Seconde Guerre mondiale qui résonne avec la montée des régimes autoritaires aujourd’hui en Europe et dans le monde. Il y a aussi un effet miroir avec la politique actuelle de la Chine qui interne ses minorités dans des camps. C’est un film qui parle d’altérité et de résistance, par la rencontre de l’autre, entre l’immigrant et l’habitant local. Finalement, le film pose cette question : qui est l’étranger dans cette histoire ? "
Morgan Simon a sa vision de l’adaptation : "Que ce soit une adaptation ou non, le film reste de la pure création. C’est une autre façon de raconter des histoires, qui ne viennent pas forcément de soi, mais qui racontent beaucoup de nous-mêmes. Car au fond, on n’a pas choisi ce sujet par hasard ; il rencontre un morceau de nous, quelque part, même si c’est inconscient. L’écriture, c’est plonger en soi, entrer en introspection, et la résidence aide en cela. "
Livre au ciné est rythmée par des temps d’écriture, avec une scénariste, Marlène Poste, à demeure pour échanger avec les résidents s’ils le souhaitent et les aider à avancer. Des interventions de professionnels sont proposées, notamment de scénaristes qui viennent expliquer comment ils travaillent. Il y a aussi des projections de films issus d’adaptations suivies par des débats avec les auteurs. Maguy Cisterne précise : " Rien n’est imposé aux résidents, mais nous avons choisi de proposer rencontres et masterclass. Il était important aussi d’avoir un parrain et c’est Stéphane Demoustier, César en 2021 de la meilleure adaptation pour La Fille au bracelet, qui a été choisi. Il a été très apprécié par les résidents car il est bienveillant et partage volontiers son savoir. "
Des partenariats très forts ont été créés avec la Foire du livre et la Ville de Brive, notamment une programmation au cinéma Rex de films issus d’adaptations, suivis de débats. Avec la Région Nouvelle-Aquitaine aussi, comme le présente Maguy Cisterne : "L’objectif est d’aller plus loin dans les partenariats pour les prochaines résidences. Nous allons nous rapprocher des éditeurs régionaux et leur demander de venir pitcher des livres qu’ils éditent et qu’ils pensent pouvoir être adaptés. ALCA propose à cet effet des ateliers de présentation d’œuvres pour les éditeurs. Lors des prochaines éditions du Festival du cinéma de Brive, nous voulons organiser une séance de pitchs à l’intention des producteurs et nous pensons réserver dans la résidence une place à l’adaptation d’une œuvre régionale. Nous voulons devenir un lieu où le lien régional est favorisé. Les grandes maisons d’édition ont des services dédiés à l’adaptation ; nous voulons essayer de mettre en lumière nos maisons régionales et développer ainsi nos réseaux. "
1Plus d’informations sur le classement des festivals en catégories et sur l’aide automatique du CNC sur www.cnc.fr