Nouvelles voix d'auteurs : aides à l’écriture et diversité des territoires
Pour ce quatrième volet des nouvelles voix d’auteurs, nous avons voulu savoir comment lieu de travail et conditions d’écriture s’articulent. Alors que de plus en plus de créateurs font le choix — par goût, mais aussi bien souvent pour des impératifs économiques — de s’installer dans des contrées rurales ou éloignées des grands centres de décision, alors que la Nouvelle-Aquitaine offre un territoire très divers et très vaste, nous avons voulu savoir comment le lieu de vie influençait l’accès à la vie éditoriale, aux réseaux professionnels et aux aides à l’écriture.
Si la crise actuelle a notamment révélé au grand public les difficultés des auteurs du livre et du cinéma à vivre de leur travail, le problème est en vérité ancien. Il est courant depuis plusieurs années de parler d’industries culturelles ou d’économie du livre et du cinéma, mais force est de constater qu’il existe aussi une économie de l’auteur, souvent méconnue et très fragile.
Le quotidien d’un auteur n’a en effet plus rien à voir avec l’idéal romantique d’un créateur solitaire. De nos jours, écrire un livre ou un film demande en amont des compétences spécifiques — d’entrepreneur, de gestionnaire ou de communicant — pour se donner les moyens matériels de créer. Cette nécessaire évolution se voit d’autant plus renforcée que la rapide mutation des marchés culturels — fragilisation de l’économie du livre, bouleversement de la diffusion audiovisuelle — s’accélère. Et c’était sans compter la crise sanitaire qui sévit aujourd’hui.
À l’heure où ALCA s’est saisie de ce constat et développe des dispositifs spécifiques visant à accompagner les auteurs — bourses pour le livre, aides à l’écriture pour le cinéma, formations ou aide juridique, etc. —, il semble éclairant de recueillir l’avis sur cette mutation des auteurs ayant obtenu une aide financière à l’écriture de leurs projets cinéma ou littérature.
Entretien croisé avec Amélie Harrault (scénariste et réalisatrice) et Maxime Derouen (auteur-illustrateur), à lire avec les témoignages sonores de Christophe Gatineau (auteur) et Francis Del Rio (réalisateur et documentariste).
Aujourd’hui, de là où vous êtes, où vous vivez et travaillez, pourriez-vous créer sans aides à l’écriture ?
Maxime Derouen : Les aides sont primordiales. Il ne faut pas oublier que lorsque l’on écrit, on le fait souvent pour rien. J’entends par là que tous mes travaux, tous mes livres n’aboutissent pas forcément : ils ne sont pas tous publiés. Pourtant, le temps passé sur ces projets n’est pas du temps perdu, c’est un temps de travail effectif. Il devrait être couvert financièrement par les revenus directs de nos ouvrages en librairie, mais ce n’est jamais le cas. Nous développons quasiment tous des activités parallèles, à travers des lectures, des signatures en salon du livre ou des ateliers d’écriture, mais même avec ça et surtout en ce moment, l’équilibre demeure fragile. C’est pourquoi les aides à l’écriture sont aujourd’hui un maillon indispensable de l’économie de l’auteur. Ce sont elles qui rendent la création possible et viable, une création sans visées économiques directes ou qui ne réponde pas à une commande.
Amélie Harrault : C’est vrai que les aides sont déterminantes, et à plusieurs niveaux d’ailleurs. Par exemple, en obtenir une c’est aussi recevoir l’avis d’un jury de professionnels, qui actent l’existence de notre projet d’écriture et l’encouragent. Ce n’est vraiment pas anodin pour une activité par nature très solitaire, où l’on manque parfois de repères. Après, de toute évidence, l’aspect financier est crucial lorsque l’on sait la précarité de plus en plus généralisée des auteurs. La dotation permet notamment de lever un temps la pression économique. On a souvent tendance à l’oublier parce que nous professionnalisons beaucoup la vision de nos métiers, mais il ne suffit pas d’appuyer sur un bouton pour écrire. L’écriture s’inscrit forcément sur une période longue, pleine de temps morts, d’essais, d’erreurs, de tentatives qui ne verront pas forcément le jour comme le disait Maxime, mais qui pourtant composent le chemin à parcourir pour faire émerger notre projet.
M.D. : Je confirme l’importance de la reconnaissance de notre travail grâce aux aides à l’écriture. Soudain, il y a des experts, mais aussi une institution, un territoire qui reconnaît non seulement la pertinence de votre regard artistique, mais aussi la nécessité d’un temps long pour que celui-ci parvienne à maturité. C’est loin d’être anecdotique. À ce titre, je trouve notamment que les aides à l’écriture du contrat de filière Livre en Nouvelle-Aquitaine sont très bienveillantes sur ce dernier aspect, par opposition par exemple aux bourses du Centre national du livre, qui imposent désormais un délai à l’écriture du projet soutenu.
À vous écouter, on a l’impression que les auteurs demandent de plus en plus à la puissance publique de remplir un rôle — financier, mais aussi d’accompagnement — qui apparaît normalement être celui d’un éditeur ou d’un producteur. Cela signifie-t-il que ces derniers sont aujourd’hui moins présents dans le suivi de votre travail ?
A.H. : Pas exactement. Je travaille avec des productrices qui me suivent depuis des années, nous échangeons quasi quotidiennement sur mes projets en cours. Toutefois, la création en cinéma d’animation prend des années et c’est un parcours très balisé, justement par différentes aides (écriture, développement, etc.). Ainsi, ces demandes sont chaque fois des rendez-vous que nous attendons avec impatience, autant mes productrices que moi. Dans ce parcours, nous formons avant tout une équipe portant un projet commun.
"Les aides permettent notamment de travailler sur des ouvrages plus confidentiels, destinés à un public que l’on sait réduit, mais qui ont un rôle fort dans la construction de notre parcours d’artistes. Tous les auteurs de nos jours se tournent à un moment vers ces dispositifs, même les auteurs qui marchent fort en librairie."
M.D. : Je suis très suivi par mes différents éditeurs, je ne me sens pas lésé de ce côté. Le vrai problème est que, aujourd’hui, l’économie du livre ne fonctionne plus — ou tout du moins que la position de l’auteur dans cette économie a foncièrement changé. Quand il y a vingt ans un éditeur vous suivait sur au moins cinq livres avant de s’interroger sur votre parcours et de voir si votre travail rencontre son public, aujourd’hui vous publiez un livre qui a quinze jours pour faire ses preuves et décider de la suite. Vous ne pouvez plus avoir qu’un seul éditeur, cela serait suicidaire. Et c’est aussi à vous que revient désormais le rôle de sans cesse chercher des débouchés — exposition, médias, ateliers — pour vos ouvrages. Rentabilité financière et temps d’écriture ne peuvent plus effectivement être assurés par les éditeurs, et la puissance publique a pris en partie le relais. Les aides permettent notamment de travailler sur des ouvrages plus confidentiels, destinés à un public que l’on sait réduit, mais qui ont un rôle fort dans la construction de notre parcours d’artistes. Tous les auteurs de nos jours se tournent à un moment vers ces dispositifs, même les auteurs qui marchent fort en librairie.
Avez-vous l’impression que votre implantation spécifique sur le territoire joue un rôle sur la nature de votre création ?
A.H. : Après mes études à l'Emca (École des métiers du cinéma d’animation), j’ai pensé un temps à monter sur Paris comme l’on dit, mais j’ai très vite fait le choix de rester sur Angoulême et de m’y installer. La ville demeure un centre important pour le cinéma d’animation et beaucoup de producteurs y sont désormais installés. Même si aujourd’hui je passe mon temps à faire des films à Paris, je suis heureuse de cette décision. La province demeure beaucoup plus viable économiquement pour un artiste. Et puis j’ai besoin pour écrire d’évoluer dans un environnement à taille humaine, un endroit où je peux facilement être au calme et préserver un rythme de vie serein. Je n’ai pas besoin d’être perpétuellement au contact du monde, de la profession. Je ne suis pas tout le temps en recherche de projet. Un film d’animation c’est en moyenne six ans de travail, avec beaucoup d’écriture, de fabrication. Et s’il est vrai qu’il faut tout de même nourrir un réseau, les différents moments que je passe en divers festivals y suffisent.
M.D. : Je suis Parisien d’origine, je suis venu à Bordeaux pour y faire mes études. J’y ai enseigné la philosophie avant de me consacrer entièrement à l’écriture, au dessin, et j’y suis très bien. Je ne goûte pas spécialement l’effervescence parisienne. Comme pour Amélie, les salons du livre me suffisent en général — en dehors évidemment de ces derniers temps étranges — à rencontrer des gens avec qui travailler. Mais en même temps, j’avoue que je n’irais pas m’isoler au fin fond de la campagne. J’aime trop dessiner en atelier, échanger quotidiennement avec d’autres auteurs. J’ai besoin de cette émulation. En plus, nous avons la chance de vivre sur un territoire avec un large réseau de professionnels, de manifestations. Je suis souvent et facilement invité en médiathèque ou dans des classes et, à tort ou à raison, j’ai le sentiment que cela serait beaucoup plus complexe si je résidais en Île-de-France : j’y serais sans doute noyé dans la masse et moins identifiable.
Est-ce que vivre ici ou ailleurs a selon vous une importance au moment de demander une aide à l’écriture ?
A.H. : Je n’ai pas l’impression, tant au niveau des aides nationales que régionales. Après, j’ai eu la chance que mon travail ait été très tôt identifié et reconnu grâce au César reçu pour mon premier court métrage [Mademoiselle Kiki et les Montparnos, primé en 2014, ndlr]. Je ne suis donc peut-être pas la mieux placée pour en juger. Toutefois, pour ce sujet aussi, j’apprécie de vivre en région, où le métier conserve une dimension raisonnable, où l’on peut très vite mettre un visage et un nom sur les gens qui coordonnent notamment ces aides, et plus largement sur le réseau des professionnels, qu’ils soient producteurs, auteurs ou techniciens. Il est précieux de pouvoir mettre de l’humain dans des démarches administratives souvent très lourdes.
M.D. : Je ne pense pas que vivre à Bordeaux, à Angoulême ou ailleurs donne plus ou moins de chances pour obtenir des aides. On vit une époque où les distances se sont resserrées, les contacts sont désormais grandement facilités par les technologies. Pour ma part, voir les autres auteurs et dessinateurs de mon atelier demander des aides à l’écriture a beaucoup joué. C’est par leur relais que j’ai reçu les premières informations sur les dispositifs existants, et une sorte d’émulation s’est aussi mise en place et m’a encouragé à postuler à mon tour. Finalement, la nature du cadre et du territoire importe peu. Ce qui compte, c’est comment on s’y insère, comment on y trouve une place. Je crois que, de nos jours, un auteur ne peut plus se passer d’une réflexion et d’un mouvement pour s’engager dans la dynamique des lieux et des communautés où il évolue. La tour d’ivoire a fait long feu depuis longtemps.