Nouvelles voix d'auteurs : aides à l’écriture et temps de travail des auteurs
Dans ce deuxième volet de nos nouvelles voix d’auteurs, nous les avons interrogés sur l’organisation de leur travail. Quel temps prend une demande d’aide à l’écriture ? Certains projets s’y prêtent-ils plus que d’autres ? Et à quel point la rédaction des demandes d’aide oriente-t-elle l’écriture purement créative ?
Si la crise actuelle a notamment révélé au grand public les difficultés des auteurs du livre et du cinéma à vivre de leur travail, le problème est en vérité ancien. Il est courant depuis plusieurs années de parler d’industries culturelles ou d’économie du livre et du cinéma, mais force est de constater qu’il existe aussi une économie de l’auteur, souvent méconnue et très fragile.
Le quotidien d’un auteur n’a en effet plus rien à voir avec l’idéal romantique d’un créateur solitaire. De nos jours, écrire un livre ou un film demande en amont des compétences spécifiques — d’entrepreneur, de gestionnaire ou de communicant — pour se donner les moyens matériels de créer. Cette nécessaire évolution se voit d’autant plus renforcée que la rapide mutation des marchés culturels — fragilisation de l’économie du livre, bouleversement de la diffusion audiovisuelle — s’accélère. Et c’était sans compter la crise sanitaire qui sévit aujourd’hui.
À l’heure où ALCA s’est saisie de ce constat et développe des dispositifs spécifiques visant à accompagner les auteurs — bourses pour le livre, aides à l’écriture pour le cinéma, formations ou aide juridique, etc. —, il semble éclairant de recueillir l’avis sur cette mutation des auteurs ayant obtenu une aide financière à l’écriture de leurs projets cinéma ou littérature.
Entretien croisé avec Camille Lavaud (illustratrice) et Maël Le Mée (scénariste-réalisateur), à lire avec les témoignages sonores de Nicolas Vargas (poète) et Emmanuel Laborie (scénariste-réalisateur).
La question est un peu provocatrice, mais est-ce que vous n’en avez pas marre de déposer des dossiers d’aide à l’écriture ?
Camille Lavaud : Complètement, je l’avoue. Je suis de plus en plus usée par cette nécessité pour me donner les moyens de mener mes projets. Outre le temps de plus en plus important nécessaire au montage de tels dossiers, ils exigent un exercice peu naturel, je trouve. Il est compliqué de penser complètement un livre ou un film avant même de s’être réellement mis au travail. C’est épuisant, et souvent contre-productif. On finit même parfois par en perdre le goût du projet.
Il y a également un écart de compréhension qui se creuse de plus en plus entre les institutions qui proposent ces aides financières et les artistes qui y répondent. Je pense que les auteurs ne sont plus hélas à la recherche d’accompagnement ou de suivi artistique. La conjoncture nous réduit à des modes de fonctionnement bien plus terre à terre. Pour ma part — et je suis loin d’être la seule —, quand je candidate à une résidence ou une bourse d’écriture, c’est d’abord pour m’assurer une garantie de revenus à un moment donné de l’année. Je suis avant tout une travailleuse, et une travailleuse précaire de plus. Si j’ai la chance de toucher une aide à l’écriture de 3000 euros par exemple, je sais alors que je pourrai compter sur un revenu de 1000 euros pendant 3 mois — 3 mois où je serai donc en situation de créer sans angoisser quant à ma situation financière. Autrement dit, une aide à l’écriture n’a pour moi aujourd’hui aucun lien avec le projet pour lequel j’en fais la demande. Cela est peut-être dommage, mais il est impossible de procéder autrement au regard de la condition actuelle des artistes-auteurs.
Maël Le Mée : Mon regard est un peu différent. Pas seulement parce que j’œuvre avant tout dans le cinéma, mais surtout parce que je débute dans ce domaine. J’ai reçu une aide à l’écriture pour un premier long métrage quand, jusqu’ici, j’assurais mes revenus en écrivant des dessins animés sur commande pour la télévision. Ainsi, ce soutien économique a pu être entièrement consacré à l’écriture du film. Et ce n’est pas quelque chose de nouveau pour moi, j’ai toujours eu la chance de pouvoir entretenir une double activité afin de financer mon ordinaire. Avant le cinéma, j’ai mené beaucoup de projets à la croisée des sciences et de l’art contemporain, domaine où les aides étaient alors nombreuses et parfois conséquentes, mais pas suffisantes pour que j’en vive entièrement. Ainsi, je ne me suis encore jamais confronté à la nécessité de décrocher des financements publics pour subsister et créer.
Cela signifie-t-il qu’il est plus simple de mener plusieurs activités de front dans le cinéma que dans l’univers du livre ?
M.L.M. : Lorsque j’écris un scénario pour un dessin animé de 12 minutes — ce qui n’est pas non plus une tâche pharaonique —, la rémunération est sans commune mesure avec ce que peut être payée Camille pour un dessin de presse par exemple. Autrement dit, mon activité rémunératrice me permet encore de dégager du temps pour d’autres projets. Je crois que ce n’est plus le cas pour les auteurs de l’écrit. Je profite du fait que l’économie du cinéma n’est pas du tout sur la même échelle que celle du livre. Et les conséquences ne s’arrêtent pas là. Cette économie permet également de rémunérer correctement un réalisateur tout le temps où le film se fait. Et pour peu que le résultat soit correctement diffusé, l’auteur touchera ensuite des droits non négligeables. Enfin, si ses cachets ont été assez nombreux, le régime de l’intermittence prendra ensuite le relais. Ça fait donc beaucoup de différences avec le monde du livre.
"C’est la base de fonctionnement du CNC, qui prélève un pourcentage sur les ventes de billets pour financer la création française. Alors que, aux dernières nouvelles, le CNL ne préempte pas une part sur les recettes des best-sellers pour aider une création plus confidentielle…"
Une autre différence, c’est aussi que les aides dans le cinéma sont plus généreuses. Parce que l’économie est plus importante, mais pas seulement. C’est la base de fonctionnement du CNC, qui prélève un pourcentage sur les ventes de billets pour financer la création française. Alors que, aux dernières nouvelles, le CNL ne préempte pas une part sur les recettes des best-sellers pour aider une création plus confidentielle…
Comment faites-vous pour trouver les demandes auxquelles vous postulez ? Est-ce que cela vous prend beaucoup de temps ?
C.L. : Les dispositifs ne sont en vérité pas si nombreux, on a vite fait le tour. Après, les réseaux sociaux et les différentes newsletters — par exemple celle d’ALCA ou de la Maison des auteurs à Angoulême — permettent de recevoir une information pertinente et exhaustive sur les nouveautés ou les calendriers.
Mais oui, évidemment, investiguer et postuler sont très chronophages, alors que la nécessité d’avoir des activités parallèles rogne déjà le temps de création. Toutefois, si l’on évoque le rapport au temps dans ce système, je crois que le vrai problème est ailleurs. Il peut en effet se passer de nombreux mois entre le moment où l’on demande une aide et le moment où on la reçoit. Et quand on a besoin, ce qui est souvent le cas dans la création, de faire les choses au moment où elles prennent forme, attendre si longtemps pour avoir les moyens de créer est difficile. On explore alors des voies de traverse, on essaie de s’adapter, d’avancer un peu quand même, mais au fond, c’est là où l’on perd beaucoup de temps. Et bien souvent d’envie aussi. J’ai eu ainsi plusieurs financements pour une bande dessinée et un film d’animation autour du personnage de Thérèse Desqueyroux, depuis le fait divers jusqu’au film de Franju. Cela a pris de nombreux mois à se concrétiser, les projets ont emprunté de nombreux chemins. Aujourd’hui, passé toutes ces démarches, j’ai l’impression d’y travailler depuis des années, alors que je commence juste à dessiner réellement. Si bien sûr les aides m’ont permis certaines choses, pour ce qui est de la création j’en viens presque à regretter une époque où je travaillais plus librement, un peu comme une pirate. Les choses étaient plus spontanées, dans l’instant et l’envie de créer.
M.L.M. : Pour ce qui concerne les longs métrages, le système est bien plus simple. Les aides sont en place depuis longtemps et répondent à un calendrier immuable qui, quelque part, structure beaucoup la profession et la création. Il est donc assez facile et naturel de caler son programme de travail sur les dates de dépôt.
"Il faut désormais franchir le cap, faire comme en Belgique ou d’autres pays, en réfléchissant à la mise en place d’un revenu régulier d’artiste-auteur, selon une forme et des modalités à définir ensemble."
Mais sinon, c’est vrai que ça peut clairement devenir une activité à part entière. Lorsque je créais dans l’art contemporain, je menais un véritable travail de veille. Je devais suivre des possibilités d’aides très dispersées, tant en matière de propositions artistiques comme d’échelle, surveillant aussi bien les aides régionales ou nationales, que les propositions européennes. Il me fallait sans cesse rester au courant de tout un système, menant des activités qui, dans le cinéma, seraient plutôt du ressort d’un producteur.
Cela signifie-t-il que le système d’aide au projet est devenu inadapté ?
C.L. : Je ne sais pas, mais j’ai parfois l’impression que mon métier consiste de plus en plus à monter des dossiers de candidature, et ça ne s’est pas arrangé avec la crise sanitaire… Je n’ai jamais autant travaillé et gagné aussi peu que ces dernières années, justement parce que je passe mon temps à monter des dossiers qui aboutissent rarement. C’est de plus en plus dur de décrocher des financements, notamment au niveau régional. On a le sentiment, avec la fusion des territoires, que les aides ont été étendues à un plus large public sans pour autant être redimensionnées. Il est très difficile de sortir du lot et il faut donc quelque part demander à plus d’endroits, ce qui mène parfois à des situations kafkaïennes. Lors de ma dernière résidence, j’ai passé finalement une grande partie de mon temps à monter des dossiers pour avoir de quoi vivre à ma sortie de création.
M.L.M. : Je suis fondamentalement convaincu que ce n’est plus par de l’aide au projet que l’on doit aujourd’hui soutenir les artistes-auteurs. Ce système de financements saupoudrés à droite à gauche, dans lequel il faut affronter une concurrence malsaine, est dépassé. Il ne suffit plus. Nous sommes quand même le seul métier où il faut avoir des activités à ce point différentes, voire contradictoires, pour vivre et se retrouver à la fin avec très peu de temps et d’énergie à consacrer à notre cœur de métier. Ce n’est plus possible de fonctionner de la sorte.
Face au système de l’intermittence qui existe dans le spectacle vivant et qui, s’il n’est pas la panacée, permet à beaucoup de gens de vivre décemment de leur activité, on ne peut plus laisser les artistes-auteurs se débrouiller comme ils peuvent. C’est quand même eux qui écrivent les films, les pièces et tout ce qu’on veut. Sans eux, il n’y a rien. Alors il faut désormais franchir le cap, faire comme en Belgique ou d’autres pays, en réfléchissant à la mise en place d’un revenu régulier d’artiste-auteur, selon une forme et des modalités à définir ensemble. Nous n’avons plus le choix, et la crise que nous traversons actuellement en est aussi un révélateur flagrant.