Nouvelles voix d'auteurs : aides à l’écriture et univers de genre
Pour ce cinquième volet des nouvelles voix d’auteurs, nous avons voulu savoir comment les auteurs qui œuvrent dans la jeunesse ou le polar, dans le fantastique, la fantasy, la poésie, la science-fiction, tous ces créateurs que l’on a longtemps mis dans un même sac en les qualifiant d’auteurs de niche, de genre, vivaient aujourd’hui de leur travail. Longtemps mal considérés, historiquement sous-payés, nous leur avons demandé, à l’heure du boom des cultures de l’imaginaire et des nouveaux supports, comment avaient évolué leurs relations à la création et la diffusion.
Si la crise actuelle a notamment révélé au grand public les difficultés des auteurs du livre et du cinéma à vivre de leur travail, le problème est en vérité ancien. Il est courant depuis plusieurs années de parler d’industries culturelles ou d’économie du livre et du cinéma, mais force est de constater qu’il existe aussi une économie de l’auteur, souvent méconnue et très fragile.
Le quotidien d’un auteur n’a en effet plus rien à voir avec l’idéal romantique d’un créateur solitaire. De nos jours, écrire un livre ou un film demande en amont des compétences spécifiques — d’entrepreneur, de gestionnaire ou de communicant — pour se donner les moyens matériels de créer. Cette nécessaire évolution se voit d’autant plus renforcée que la rapide mutation des marchés culturels — fragilisation de l’économie du livre, bouleversement de la diffusion audiovisuelle — s’accélère. Et c’était sans compter la crise sanitaire qui a sévi.
À l’heure où ALCA s’est saisie de ce constat et développe des dispositifs spécifiques visant à accompagner les auteurs — bourses pour le livre, aides à l’écriture pour le cinéma, formations ou aide juridique, etc. —, il semble éclairant de recueillir l’avis sur cette mutation des auteurs ayant obtenu une aide financière à l’écriture de leurs projets cinéma ou littérature.
Entretien croisé avec Marthe Sébille (scénariste et réalisatrice) et Laurent Queyssi (auteur, scénariste et traducteur)
Aujourd’hui où la fiction de genre rencontre une écoute sans cesse grandissante, tant en littérature qu’au cinéma, avez-vous l’impression que les auteurs travaillant ces univers, longtemps mal considérés, sont mieux estimés que par le passé ?
Laurent Queyssi : La question est peut-être un peu trop générale, car même si les regards ont beaucoup évolué, les gens du métier établissent toujours une hiérarchie entre les différents genres. On peut dire par exemple que tu seras en général bien plus pris au sérieux si tu écris du polar plutôt que de la science-fiction, de la fantasy ou pire de la jeunesse. Mais sinon, il est indéniable que la situation a pas mal évolué ces dernières années. Sous réserve toutefois que tu demeures bien sagement dans ta niche de travail. À titre personnel, c’est le fait d’explorer différents univers, de faire à la fois de la bande dessinée, du roman jeunesse ou de l’essai qui me pose souvent problème. Ce n’est pas le genre, mais la multiplicité des genres qui est encore assez mal vue en France, et je n’arrive pas bien à comprendre pourquoi. Après, sans être cynique, j’imagine que passé un certain niveau de ventes, ça ne compte plus trop. J’imagine que si Marc Levy voulait demain faire du dinoporn pour McDonald’s, il y aurait des gens pour trouver ça génial.
Marthe Sébille : À dire vrai, j’ai du mal à voir exactement ce qu’on appelle un auteur de genre. Et je ne sais pas trop si cette étiquette me correspond. Après tout, mon dernier court métrage1 est le premier dans ma production à faire un pas de côté par rapport à mon champ de travail habituel, que l’on pourrait plutôt qualifier de cinéma naturaliste. Mais je peux toutefois témoigner du fait que ce film, où le surnaturel a une place importante, a été très difficile à financer, bien plus que mes précédents. On m’a notamment recommandé de ne pas parler devant les commissions de naturalisme magique, qui est vraiment le style dans lequel je classerais cette réalisation. Les producteurs qui m’accompagnaient sur le projet avaient clairement peur d’effrayer, pensant que les financeurs publics n’étaient pas prêts à s’engager sur un film qui se définirait de la sorte. Il m’a fallu utiliser le terme "fantastique" avec parcimonie. Je me suis confrontée à une certaine méfiance du milieu en la matière, qui s’est ajoutée, je pense, au fait que mon film coûtait cher. Il y avait en plus de ça une vision discriminatoire, bien plus classique, où l’on semblait questionner le fait qu’une jeune réalisatrice puisse mener pareil projet à son terme...
Cinéma et littérature échangent de plus en plus au niveau mondial, notamment à travers l’adaptation, mais on a l’impression que pour ce qui est de la France et du genre, c’est encore très timide, non ?
M.S. : C’est un secret pour personne, je pense. Le cinéma français demeure excessivement frileux avec les films de genre, malgré la multiplication des succès sur les différentes plateformes de streaming ou récemment la Palme d’or de Julia Ducournau pour Titane. Les diverses commissions de financement sont assez timorées face aux projets de genre et demeurent enclines à porter un certain élitisme traditionnel. Quand on sait que le plus grand progrès en la matière ces dernières années a été la création par le CNC d’un appel à projets spécifique pour les films de genre, c’est-à-dire de créer officiellement une niche comme le disait tout à l’heure Laurent, ça en dit long sur une certaine vision du cinéma. On est par exemple bien loin du cinéma espagnol, où le genre n’a jamais été ostracisé et participe à sa façon à l’expression et l’identité globale du film ibérique.
"Malgré tout, des choses bougent, des murs tombent."
L.Q. : Il y a de toute évidence un manque d’échanges chez nous entre le monde de l’écran et du livre. La bande dessinée française de genre est florissante, elle a toujours influencé Hollywood depuis l’époque lointaine de Métal Hurlant, et elle continue d’intéresser dans de nombreux pays, comme en Corée par exemple, où l’on a vu sortir récemment une adaptation du Transperceneige. Mais cette potentialité donne encore trop rarement ses fruits en France, où l’on a l’impression que les auteurs du cinéma et du livre s’entêtent à s’ignorer. Après, il faut aussi constater, peut-être parce que les films de genre en langue française ont longtemps été très rares, qu’il n’y a pas pléthore d’auteurs dans le domaine. J’ai participé il y a quelques années aux résidences Sofilm, dans le cadre desquelles j’ai écrit un scénario de long métrage, et je me rappelle combien ils étaient en difficulté pour trouver des auteurs spécialisés. Ils venaient donc démarcher dans la littérature ou la bande dessinée. Et c’est chouette aussi, ça signifie que, malgré tout, des choses bougent, que des murs tombent.
M.S. : Je crois surtout que le problème pour le cinéma se pose moins au niveau des auteurs qu’au niveau des systèmes de financement. Pour Que meure la bête par exemple, un court métrage de vingt minutes, ça m’a pris au final sept ans pour monter le budget, soit le temps qu’il faut normalement pour un long métrage. J’ai énormément bataillé, je n’ai rien lâché, et pourtant, sans le mouvement metoo, sans le succès de Grave de Julia Ducournau, je ne suis pas certaine que l’horizon se serait soudain éclairci comme c’est arrivé pour ce projet.
L.Q. : Le problème du financement est sûrement aussi présent en littérature si on se penche sur les aides à l’écriture. De ce que j’en sais, on se pince bien moins le nez qu’au cinéma quand il est question de genre — j’entends par là que j’ai l’impression d’une vraie diversité par exemple dans les projets soutenus par le CNL —, mais j’avoue tout de même que ces dispositifs me dépriment un peu. J’ai déposé une fois et on m’a expliqué en gros que j’avais une bibliographie qui ressemblait à un fourre-tout. J’ai fait de la BD, de la jeunesse, de la SF, des thrillers et j’ai l’impression que le jury m’a pensé indécis ou brouillon, quand je suis simplement curieux. J’ai l’impression de ne pas rentrer dans les casses encore très étroites de ces systèmes, et préfère donc depuis ne pas y perdre mon temps. Plutôt que me fatiguer à monter de longs dossiers bien souvent complètement à rebours du processus de création, je préfère me lancer directement dans l’écriture d’un projet s’il me tient à cœur.
Alors que l’on sent depuis plusieurs années maintenant une véritable appétence du public pour le genre, est-ce toujours aussi difficile de concrétiser vos projets ?
L.Q. : Si tu prends la bande dessinée, ce n’est vraiment pas compliqué, il y a beaucoup d’éditeurs pour lesquels le genre est un fonds de commerce. Tu peux faire publier quasiment tout ce que tu veux, sans que cela soit très qualitatif d’ailleurs. Le succès n’est pas forcément au rendez-vous, c’est évident, mais ça peut arriver. Et pour la littérature, regarde par exemple l’avant-dernier Goncourt : le bouquin de Le Tellier, c’est clairement de la science-fiction. Il y a un marché, et les éditeurs n’hésitent pas à l’investir. C’est une prise de risque minime, un bouquin — contrairement à un film — ça ne coûte rien à fabriquer, distribuer. Les enjeux financiers ne sont pas les mêmes qu’au cinéma et c’est peut-être juste pour ça que le genre est plus exploité en littérature : les paris y sont moins lourds de conséquences.
M.S. : C’est quand même en train de bouger dans le cinéma. Les producteurs se sont évidemment aperçus que, ce qui marchait bien sur les plateformes — notamment Netflix —, c’étaient avant tout les films et les séries de genre. Ça ne devrait d’ailleurs pas être tant que ça une surprise : on sait depuis longtemps en littérature que le fantastique connaît toujours un regain de popularité en période de crise politique ou économique. Ça permet aux populations de faire un pas de côté par rapport au réel et leurs quotidiens difficiles.
On voit donc aujourd’hui émerger de nouveaux auteurs, de jeunes producteurs, ça bouge lentement. Mais de toute évidence, dans la création comme en plein d’autres domaines, la France demeure un pays assez conservateur. Et je ne suis pas certaines que cela change de sitôt...
1 Que la bête monte, Dolce Vita Films, 2021
Plus d'informations sur leurs projets
Marthe Sébille — court métrage
Que la bête monte
À la suite d’un accident de bus en pleine campagne, Lupa suit Alban qui a décidé de rejoindre à pied le village le plus proche. En coupant à travers champs, ils se perdent dans une étrange forêt.
Laurent Queyssi — bande dessinée (scénario)
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Ils ont également bénéficié des aides à l’écriture coordonnées par ALCA
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