Portraits de libraires : ils ont repris une librairie avant la pandémie

Publié le 09/12/2020

Montage photos avec à gauche Sébastien Lavy (Page et Plume), en haut à droite Les Belles Images et en bas à droite La Licorne. © Page et Plume, Les Belles Images et La Licorne

En l’espace de trois ans (2018-2020), vingt-trois librairies ont été créées et seize ont fait l’objet d’une transmission en Nouvelle-Aquitaine. Prologue vous propose un coup de projecteur sur trois librairies en Creuse et Haute-Vienne ayant été reprises récemment : La Licorne à Aubusson (23), Les Belles Images à Guéret (23) et Page et Plume à Limoges (87). D’emblée, les trois repreneurs se sont confrontés à la crise sanitaire, devant faire preuve d’une grande capacité d’adaptation alors qu’ils avaient à peine pris leurs marques à la tête de leur librairie.

La Licorne¹, commerce historique d’Aubusson créé en 1976, a été reprise par Françoise Vissérias en mai 2019. Cinq personnes font tourner cette librairie labellisée Lir² : trois salariés, une apprentie et la gérante. Olivier, présent depuis de nombreuses années, connaît bien la clientèle et ses attentes. Les deux autres salariées permanentes sont en reconversion et ont suivi une formation à la suite de leur embauche dans la librairie aubussonnaise. Quant à Françoise Vissérias, elle a plus d’une corde à son arc : forte d’une longue expérience dans le secteur de l’éducation auprès d’enfants en difficulté et porteurs de handicap, elle est par la suite devenue gérante d’une boulangerie-salon de thé à Aubusson. Très engagée dans la vie locale, Françoise a été présidente de l’association des commerçants pendant sept ans et a lutté contre l’installation des grandes surfaces et pour l’accès à la culture pour tous. Elle a également participé à la création de la Cité de la tapisserie : les commerçants ont été emportés par ce projet, devenant de véritables prescripteurs : "En cela, grâce à une forte volonté commune des commerçants et à un engagement des politiques, on a eu cette chance et échappé à la désertification."

Après avoir cédé sa boulangerie à sa fille, Françoise a eu envie de s’accomplir dans un nouveau projet. Issue d’une famille de libraires et d’enseignants, c’est tout naturellement qu’elle se porte candidate pour le rachat de La Licorne : "Une librairie généraliste indépendante, qui a du fonds (entre 10 et 15 000 titres), sur une ville intra-muros de 3500 habitants (zone de chalandise de 15 000 habitants), on n’en trouve pas beaucoup, ce qui signifie que malgré tout, la Creuse est un territoire porteur. On n’a pas une concurrence énorme à part la vente en ligne et le Leclerc Culture à Guéret." Ses projets à court terme : revoir l’agencement d’une partie de sa surface de vente, moderniser l’outil informatique et développer son fonds et ses animations. Elle connaît aujourd’hui son deuxième confinement, bien différent du premier, avec un clique et collecte qui fonctionne bien mais demande énormément de travail (téléphone, mail, livraisons, envois postaux, etc.). Cela dit, Françoise est enchantée de ce soutien de la part de la clientèle.

Moins d’un an après, c’est la librairie Les Belles Images³, à Guéret, qui a changé de main : Élodie Soulé succédant en mars 2020 à Anne Tingaud, elle-même à la tête de cette librairie généraliste depuis 1976. Élodie Soulé perpétue ainsi un commerce de proximité et d’intérêt général tout en contribuant à la promotion de la culture pour tous à l’échelon local. Elle voit cette reprise comme un acte de résistance face aux mastodontes commerciaux et à la pensée unique. À l'instar de sa collègue d’Aubusson ainsi que de nombreux autres libraires, cette reprise est le résultat d’une reconversion après plusieurs expériences professionnelles, dont l’enseignement, la vente et l’action culturelle. Comme Françoise, Élodie s’est formée avant de se lancer dans un tel projet : après avoir suivi la formation "l’ABC du libraire" organisée par ALCA, elle a effectué un stage à la librairie Le Talon d’Achille à Montluçon (03). Enfin, elle a suivi durant quatre semaines la formation "Créer ou reprendre une librairie" dispensée par l’INFL⁴. Elle a ensuite été stagiaire aux Belles Images jusqu’à la reprise officielle en mars. Renouvellement du mobilier, remplacement des luminaires ou encore réfection de la devanture et de l’enseigne lumineuse : Élodie a marqué le changement de propriétaire sans pour autant procéder à des réaménagements trop radicaux afin de ne pas déstabiliser la clientèle.

"Avec ces périodes de confinement successives, j’ai l’impression d’ouvrir la librairie pour la troisième fois de l’année ; c’est vraiment éprouvant physiquement et psychologiquement."

En ouvrant à la veille du premier confinement, la jeune repreneuse a dû faire preuve de ténacité dès le début de son aventure livresque. Aujourd’hui, elle témoigne : "Avec ces périodes de confinement successives, j’ai l’impression d’ouvrir la librairie pour la troisième fois de l’année ; c’est vraiment éprouvant physiquement et psychologiquement." Cela dit, elle ne se laisse pas abattre et le soutien de la clientèle est un grand réconfort pour elle. Satisfaite de la reprise après le premier confinement, le clique et collecte en ce deuxième confinement fonctionne également très bien, et ce d’autant plus depuis qu’elle est référencée sur la plateforme de Lina⁵ : ce nouvel outil a eu beaucoup de succès et lui a même permis de toucher de nouveaux clients. Le revers de la médaille : l’aspect extrêmement chronophage de ce système. Pour s’en sortir, elle a embauché une libraire à mi-temps pour la période de Noël. Sur le clique et collecte, Élodie s’interroge : "comment ce mode de consommation, qui va certainement s’inscrire de manière durable dans les habitudes des clients, pourra s’articuler avec la gestion quotidienne du magasin, une fois réouvert ?" Par ailleurs, les livres commandés par ce biais sont souvent des livres qu’elle n’a pas en stock et qu’elle doit donc commander. "Il me tarde de rouvrir pour pouvoir proposer à mes clients les livres que j’ai choisis un par un pour Noël !"

Ce tour d’horizon se termine par la reprise, en avril 2020, de la deuxième librairie de Nouvelle-Aquitaine (en termes de chiffre d’affaires). Page et Plume⁶, librairie indépendante généraliste, labellisée LIR, située en plein cœur de Limoges, s’étend sur 400 m² de surface commerciale, compte 65 000 références et emploie dix-sept salariés. Après y avoir été salarié pendant sept ans, Sébastien Lavy a repris les rênes de cette institution limougeaude. Il jouit ainsi d’une connaissance fine de son établissement, de sa clientèle, ainsi que de ses forces et faiblesses. Afin de parfaire l’accueil du public, Sébastien a d’emblée décidé de mener un important travail de fond dans le but de revoir l’aménagement des espaces et l’identité visuelle de sa librairie. En effet, cette librairie emblématique occupe un espace plutôt atypique : un bâtiment d’angle, éclaté sur plusieurs niveaux, ne manquant pas de charme mais où il est parfois difficile de s’y retrouver. Pour faire ce travail, c’est Mathilde Rimaud, de la société Axiales, qui a été sollicitée. L’étude étant désormais terminée, la prochaine étape sera, dès que la situation le permettra, de mettre en œuvre les préconisations.

"Les clients voudraient pouvoir récupérer leurs livres quasiment instantanément après avoir passé commande. Ils s’attendent à ce que nous soyons capables de faire comme Amazon alors que ce n’est pas notre métier."

Mais pour l’heure, la priorité de Sébastien Lavy est de parvenir à gérer le flux généré par le clique et collecte en cette deuxième phase de confinement. La situation est radicalement différente de celle du premier confinement : les libraires ont pu être bien plus réactifs pour la mise en place du clique et collecte, la chaîne du livre (et donc les approvisionnements) continue de fonctionner, et les frais postaux sont remboursés par l’État. Ces éléments, s’ils sont vus a priori comme positifs, possèdent aussi leurs inconvénients : les sollicitations sont nombreuses et les attentes sont grandes, et cela requiert d’importants moyens humains, comme l'explique Sébastien : "Les clients voudraient pouvoir récupérer leurs livres quasiment instantanément après avoir passé commande. Ils s’attendent à ce que nous soyons capables de faire comme Amazon alors que ce n’est pas notre métier." Par ailleurs, malgré cet important investissement humain et logistique, le clique et collecte est loin de générer le chiffre d’affaires habituel.

Ces trois librairies ont été accompagnées par ALCA tout au long de leur reprise, en lien étroit avec la Drac Nouvelle-Aquitaine et la Région Nouvelle-Aquitaine. Les deux libraires creusoises ont notamment bénéficié du dispositif "Soutien à l’action culturelle et au développement" destiné aux librairies et points de vente de livres indépendants, dans le cadre du Contrat de filière Livre en Nouvelle-Aquitaine 2018-2020, coordonné par ALCA et financé par la Région Nouvelle-Aquitaine, l’État-Drac et le CNL. Cette subvention, qui concerne aussi bien les créations et reprises que les librairies implantées depuis plusieurs années, représente une aide non négligeable dans le cadre d’une reprise pour financer par exemple le rachat de bail, le rachat du stock et le développement du fonds, les travaux de rénovation ou encore l’embauche d’un salarié en CDI ou en renfort ponctuel. La librairie Page et Plume a quant à elle bénéficié du "Dispositif d’accompagnement personnalisé pour les entreprises d’édition et de librairie" proposé par ALCA. Ce dispositif, qui vise à répondre à des besoins liés à une difficulté passagère ou à des enjeux de développement en proposant une expertise et un accompagnement sur mesure par un expert, a permis la prise en charge d’une partie de l’étude réalisée par la société Axiales.

Malgré les confinements successifs et une certaine incertitude sur l’avenir, l’enthousiasme pour la reprise ou la création de librairies ne se dément pas en Nouvelle-Aquitaine, démontrant la vitalité du territoire et la conviction profonde de ces commerçants pas comme les autres. Véritable enjeu territorial, la reprise de librairies doit être soutenue et encouragée pour maintenir un maillage territorial cohérent.

²Label délivré par la ministre de la Culture et de la communication, sur le rapport du président du Centre national du livre, visant à reconnaître, valoriser et soutenir les engagements et le travail qualitatifs des libraires indépendants. Plus d'informations.

⁴Institut national de formation des libraires, désormais l’École de la librairie. Plus d'informations.

⁵Lina, l'association des Librairies indépendantes en Nouvelle-Aquitaine. Plus d'informations.

Librairie La Licorne
42 Grand-Rue
23200 Aubusson
05 55 66 13 64
lalicorne.librairie@laposte.net