"Pour mourir, le monde", un grand roman d'aventures et une page d'histoire du Portugal
À partir d’une solide documentation historique et bibliographique, Yan Lespoux livre un récit captivant, qui relate les pérégrinations aventureuses de divers personnages réels et fictifs, dans le contexte de l’Empire portugais du début du XVIIe siècle. De drames en tragédies, on les retrouve à Lisbonne, Sao Salvador de Bahia, Goa… et sur la côte médocaine où survit une étrange population, tributaire d'un environnement hostile et de circonstances historiques.
L’exergue du roman présente quelques vers du poète du XVIIe siècle Antonio Vieira, dont celui qui influença le titre du roman : "Pour naître, le Portugal, pour mourir, le Monde… " Comme l’indique une page de remerciements en fin de l’ouvrage, l’auteur s’est inspiré en particulier de récits d’un naufrage sur la côte médocaine en 1627 laissés par deux protagonistes clé du roman, le capitaine de vaisseaux dom Manuel de Meneses, et l’important écrivain de l’âge baroque au Portugal dom Francisco de Melo, contraint dans sa jeunesse de prendre la carrière des armes. Leurs écrits, parmi d’autres "récits de voyageurs et de naufrages" de la collection "Magellane", ont donné lieu en 2000 à la parution aux éditions Chandeigne d’un livre intitulé Le naufrage des Portugais sur les côtes de Saint-Jean-de-Luz et d’Arcachon. Cependant, Yan Lespoux précise : "[B]ien qu’il parte de faits historiques, ce livre est une fiction." En effet, la narration s’attache avant tout au regard subjectif et aux heurs et malheurs de quelques personnages potentiels, pris dans le tableau de leurs conditions au sein de leurs sociétés respectives. Le motif central de ce roman d’aventure est donc une occasion d’évoquer le devenir, à un moment donné de l’histoire, de telles sociétés. Le récit aborde autant les points de vue politico-économiques que culturels et anthropologiques, sur fond de déterminismes étroitement liés aux contraintes de la géographie maritime et intercontinentale, ainsi qu’aux structures de pouvoir et aux moyens humains et technologiques des empires hispano-portugais.
Le roman s’ouvre et se clôt sur le récit d’une rencontre improbable lors du naufrage, en 1627, du Sao Bartholomeu, une prestigieuse et monumentale caraque de la flotte portugaise. Marie, une jeune autochtone de la côte médocaine en quête d’émancipation, lie connaissance avec le soldat Fernando Teixera. De retour du célèbre comptoir de Goa, sur la côte occidentale de l’Inde, le bâtiment n’a pu franchir la barre du Tage et mouiller à Lisbonne en raison des intempéries. Poussé par des vents contraires, le navire a dérivé au nord-est puis s’est échoué sur la côte du Médoc. Entre plages, cordon dunaire et lacs ou autres marécages menaçant les établissements humains d’invasion des eaux, s’est constituée une communauté marginale composée de résiniers, de bergers et d'éleveurs de bétail, ainsi que de pilleurs d’épave, les costejaires, qui tendent à imposer à tous leurs propres lois. Auparavant, en une longue série de chapitres où le lecteur se laisse prendre aux aventures fascinantes des personnages. On aura assisté à un premier périple vers Goa, ponctué par un naufrage dans les parages d’une île où l’équipage survivant sera secouru par un autre navire et emmené jusqu’à sa destination. Puis seront relatées l’attaque et la prise de Sao Salvador de Bahia, riche établissement portugais du Brésil, par des Hollandais de la Compagnie néerlandaise des Indes occidentales. De Bahia, bientôt libéré par la flotte et les armées portugaises manœuvrant désormais sous le contrôle de la couronne de Castille, partiront pour Lisbonne Diogo, fils de juifs lisboètes exilés, et son ami Ignacio, un pittoresque Indien Tupinamba acquis à la cause de la reprise de Bahia. Tous deux feront partie des rescapés du naufrage sur la côte médocaine. Précédemment, sont largement évoquées les scabreuses aventures et mésaventures de Fernando Texeira et de son ami Simao in situ, notamment du côté de Goa, où parmi d’autres trésors de précieux diamants sont l’objet de toutes les convoitises.
En 2021, Yan Lespoux publiait son recueil de nouvelles Presqu'îles, déjà focalisé sur la socialité particulière des habitants de la presqu'île médocaine. Paru aux éditions Agullo, il vient d'être réédité en poche aux éditions J'ai lu. Une preuve de l'intérêt du regard que porte l'auteur sur ce territoire dont il est originaire, qui renie toute complaisance et démontre une grande sensibilité.