Rencontre avec Jean Denizot autour de son film "La Belle Vie"
Son dernier long-métrage, La Belle Vie, vient de sortir sur les écrans : une comédie dramatique inspirée d'un fait divers qui a défrayé la chronique en 2009, l'affaire Fortin. Entretien avec Jean Denizot, réalisateur, et Mathieu Bompoint, Mezzanine Films, qui a produit le film.
Pourquoi avoir choisi la voie de la libre adaptation plutôt que celle d’une reconstitution précise de la fameuse affaire Fortin ?
Jean Denizot : Je n’ai jamais voulu "coller" à ce fait divers qui avait eu un grand retentissement. Ce qui m’intéressait, c’était, lorsque tout a éclaté au grand jour, la découverte de ces jeunes gens qui avaient l’air parfaitement éduqués, malgré leur existence clandestine : ils avaient fait leur chemin en dehors de la société et en même temps, on pouvait entendre aussi en écoutant d’une oreille attentive qu’ils avaient été en plein enfermement affectif. J’ai donc voulu me concentrer sur ce moment précis, quand, à dix-huit ans, on doit envisager de devenir adulte et donc se positionner par rapport à ses parents. J’ai choisi de prendre le fait divers à son dénouement, afin d’inventer une ultime cavale qui mettrait en exergue cette question cruciale : comment est-il possible de suivre ainsi son père, alors qu’on doit soi-même tracer sa voie et trouver son autonomie ? Et, ici, dans des circonstances "bigger than life"…
En quoi cette histoire répondait-elle à certaines de vos préoccupations personnelles ?
J.D. : Tout cela est arrivé pour moi au moment où je m’apprêtais à passer professionnel dans le cinéma, d’en faire mon métier, donc il y avait des résonances en moi, surtout pour un premier long métrage. Des questionnements sur la famille se sont engagés et je me suis interrogé sur mes choix, en regard de ceux de mes parents. Et puis, je suis moi-même devenu père et la question de la paternité, de la transmission, du modèle à donner et de la liberté de l’enfant, s’est de surcroît profilée.
Comment avez-vous concrètement travaillé sur la construction des personnages ?
J.D. : Je me suis documenté, bien sûr, mais je n’ai pas cherché à joindre les protagonistes réels de l’affaire : c’était particulièrement douloureux pour eux et je ne voulais pas prendre la responsabilité d’endosser leur histoire, assez lourde. Je souhaitais en faire un film, mais comme je l’entendais. Donc en partant de la réalité, mais en inventant les situations.
Pourquoi le personnage du frère aîné, Pierre, disparaît-il aussi tôt ?
J.D. : Je voulais créer un manque chez le spectateur, car son identification à Sylvain passe par là : le plus jeune se retrouve seul avec son père en cavale. Il n’a plus de grand frère à admirer. Cette solitude amène peu à peu Sylvain à se détacher d’Yves. Pierre, lui, est comme un double du père : il reproduit ses choix en disparaissant brutalement. Au contraire, Sylvain ne s’oppose pas frontalement. Il mène sa révolution lente. Quand la séparation a lieu, elle est inéluctable et sereine.
Autour du duo père/fils, plusieurs figures secondaires sont très importantes…
J.D. : Je voulais que les personnages secondaires, y compris celui de la jeune fille, Gilda, soient des "personnages relais", qui n’arrêtent jamais le récit. Chacun d’eux a une phrase qui fait vibrer Sylvain et le met face à de nouvelles questions.
Et c’est ainsi qu’il pourra faire sa révolution personnelle. Par exemple, Gilda lui demande s’il veut rester avec elle, mais c’est impossible, elle n’a été ou n’est qu’un jalon dans son parcours vers l’indépendance.
Il y a aussi la présence de la mère, permanente, même si on ne la voit directement qu’à la fin du film
J.D. : Je l’ai toujours envisagé ainsi : il y a la rencontre et le film doit alors s’arrêter. Il va ainsi comme au bout de lui-même, la suite étant une autre histoire. J’ai d’ailleurs fait ce qu’on ne fait jamais : amener un nouveau personnage à la toute fin du film. Mais sa présence discrète, en filigrane dans le film, le permettait.
Le film évoque parfois le cinéma américain, était-ce une référence consciente pour vous ?
J.D. : Il y a un côté western évident, lorsque les garçons descendent au village à cheval, par exemple… Les grandes courses à travers la montagne ramènent à Raoul Walsh, et la pudeur, l’amitié viennent sans doute de John Ford. Mais il y a aussi l’ombre de Jean Renoir, avec cette rivière, cette sensualité… J’ai bien sûr des références cinéphiles très fortes, mais sans que leur présence soit pesante. Je voulais à la fois filmer des paysages très français et garder un fond épique et romantique, au milieu de la nature, à la manière des Américains. Et puis, au départ de ce fait divers, il y avait aussi un objectif idéologique très clair, celui d’un retour à la terre.
Quelle exigence aviez-vous concernant la facture formelle du film ?
J.D. : Le choix du Scope était évident, pour filmer la Loire, les bateaux, tout ce qui est horizontal… C’était plus difficile pour les scènes de montagne ! Mais la Loire est ma région d’origine, j’ai grandi sur ses bords, il était pour moi très important d’y tourner mon premier long métrage. Je voulais partir des lieux où les faits s’étaient réellement déroulés, donc les Pyrénées, avec leurs paysages à couper le souffle, et emmener l’histoire jusque "chez moi"…
La Belle Vie semble entretenir beaucoup de liens avec votre premier court métrage, Mouche…
J.D. : Dans Mouche, une bande de garçons descendait la Loire et l’un d’eux arrivait accompagné d’une fille qui faisait éclater le groupe. Dans La Belle Vie, la rencontre de Gilda permet aussi à Sylvain de prendre conscience de son désir personnel, qui ne correspond pas à celui d’Yves et se met même en opposition. Il parvient ainsi à trouver son identité vis-à-vis de son père : il est quelqu’un d’autre… Et dans Je me souviens, mon second court-métrage, il est question d’un père qui veut empêcher sa fille de se marier le jour des noces, sur un ton plus fantaisiste, mais ce sont des thèmes que j’entends travailler et approfondir.
Cette expérience préalable sur Mouche a-t-elle été utile pour tourner en pleine nature, sur un fleuve ?
J.D. : Le tournage de Mouche s’était déroulé sur deux régions, trois départements et quatre rivières, c’est donc un baptême du feu qui m’a beaucoup appris. La Belle Vie a connu son lot de difficultés, mais j’ai toujours la même chef-opératrice et on se comprend très vite, les bonnes idées jaillissent toujours de nos échanges. L’expérience du court a été déterminante et rejaillit dans La Belle Vie qui, dans le registre de la grande aventure, et du road movie, parle aussi d’enfermement, de huis clos, de promiscuité…
A-t-il été difficile de se fondre dans un budget restreint ?
J.D. : Je suis judoka et le principe même de ce sport est : "Le minimum de moyen pour le maximum d’efficacité". C’est ce que nous avons fait…
Rencontre avec Mathieu Bompoint
Producteur, Mezzanine Films
Comment avez-vous été amené à produire ce premier long métrage de Jean Denizot ?
Mathieu Bompoint : J’ai eu la chance de lire le projet de La belle vie dans le cadre d’une commission de la Région Aquitaine, chargée d’attribuer des aides à l’écriture, dont je faisais partie. Jean n’avait pas de production et comme c’était la dernière fois que je siégeais et que j’avais adoré son projet, j’ai demandé si je pouvais m’y intéresser en tant que producteur. Il n’y avait aucun souci et nous nous sommes donc rencontrés.
Je connaissais son court métrage Mouche et sa manière de filmer les personnages dans la nature me plaisait, en parfaite cohérence avec ce qu’il voulait raconter pour son premier long.
Comment s’est déroulée la quête des financements ?
M.B. : Au début, je pensais que j’allais enfin produire mon premier film "grand public", ce n’est au bout du compte pas exactement le cas, mais je n’en suis pas malheureux ! Reste qu’il a été difficile de convaincre certains partenaires, notamment les chaînes, et nous avons fait le film sans elles, le budget tournant au final autour de 2 millions d’euros. Mais nous avons eu le soutien des partenaires les plus importants concernant un "premier film", à savoir l’Avance sur recettes et les Régions – le Centre et l’Aquitaine en l’occurrence. L’Aquitaine a même soutenu le film successivement sur l’écriture, le développement et la production. Le rôle des collectivités locales a été déterminant et il est toujours plaisant de voir qu’elles peuvent prendre à bras le corps la diffusion des films soutenus, comme le font ÉCLA et Ciclic. Ce n’est pas le cas pour tous les territoires, surtout pour des films qui ne sont pas de pur divertissement…
Quelle principale qualité attribueriez-vous à Jean Denizot ?
M.B. : C’est, entre autres, un très bon directeur d’acteurs : il est précis et sait où il veut aller. Il est aussi très patient, face à ces temps plutôt longs d’écriture et de financement !
Vous n’avez jamais eu la tentation d’employer un ou des acteurs connus pour les rôles principaux ?
M.B. : On en a discuté et Jean souhaitait ardemment que le personnage central soit le fils, donc choisir un acteur connu pour jouer le père aurait pu l’écraser. Mais les choix de casting ne sont vraiment déterminants, pour les télévisions notamment, que pour des films plus chers, à partir de trois ou quatre millions de budget.
Le film sort en salles, précédé d’une belle carrière festivalière…
M.B. : Il a commencé sa vie l’an dernier à Venise, dans la section "Venice Days", puis a participé en France à sept ou huit festivals, dont Premiers plans à Angers, ce qui était important puisqu’on avait fait la lecture du scénario lors d’une précédente édition et que Jean avait participé à leurs Ateliers ; c’était comme boucler une boucle.