Réouverture des cinémas en Nouvelle-Aquitaine : entre impatience et vigilance de la profession
Fixée le 22 juin prochain, la réouverture des salles de cinéma en France à la suite de l’épidémie de coronavirus approche à grands pas. Comment les exploitants se préparent-ils en Nouvelle-Aquitaine et dans quelles conditions ?
C’était le 28 mai dernier. Édouard Philippe annonçait la date de réouverture des salles obscures partout en France, respectant au passage la volonté de la profession d’être prévenue au moins quatre semaines à l’avance, de façon à adapter les salles aux nouvelles normes de distanciation physique et à ce que distributeurs et programmateurs puissent définir la stratégie de diffusion des films. Dans moins d’une semaine, les exploitants des salles de cinéma de Nouvelle-Aquitaine seront donc en ordre de bataille pour accueillir les premiers spectateurs, désireux de s’offrir une respiration supplémentaire dans le déconfinement progressif imposé aux Français depuis le 11 mai dernier.
Et après trois mois de fermeture, c’est bien l’envie de reprendre l’activité et surtout de montrer des films qui animent les professionnels néo-aquitains du secteur. "On est très impatients, bien sûr. En temps normal, les salles de cinéma sont les seules structures ouvertes tous les jours de l’année sans interruption, on vient donc forcément de vivre une période particulière", explique Rafael Maestro, président de Cina, l’association des Cinémas indépendants en Nouvelle-Aquitaine. Même son de cloche pour Alexandre Anton, directeur du Cinéma l’Utopie, à Sainte-Livrade (47) : "Avec la parution du guide sanitaire, on est plus confiants car on a des réponses sur ce que l’on attend de nous. On sent que la pression du virus est moins forte dans les têtes, que les gens ont envie de revenir au cinéma. On a eu beaucoup de messages de soutien des habitués." Les exploitants n’ont d’ailleurs pas attendu le recul de l’épidémie pour s’activer en coulisses et interagir avec leur public. C’est le cas par exemple du cinéma Saint-Junien, en Haute-Vienne (87), et de son directeur Duarte Caetano qui se sont associés au service de VOD La 25ème Heure pour assurer une continuité de l’offre pendant la fermeture : "On a proposé des séances virtuelles avec cette plateforme comme beaucoup d’autres cinémas. L’idée est d’annoncer un film un jour précis et à une heure donnée. J’en choisissais donc un en lien avec cette plateforme et les spectateurs géolocalisés dans un périmètre de moins de 40 kilomètres pouvaient le visionner avec l’idée de participer à une séance collective." Une solution pour maintenir le lien avec les habitués en attendant la réouverture et l’adaptation des salles au nouveau protocole sanitaire.
Limitation à 50% de la capacité des salles, distanciation physique et fléchage
Très attendu par les professionnels du secteur, le fameux guide sanitaire publié par la Fédération française des cinémas et validé par le gouvernement présente l’ensemble des instruments nécessaires pour la reprise de l’activité dans le respect des indications établies par les autorités de santé. Sont ainsi prévues pour cette reprise des mesures identiques à celles déjà observées dans les commerces rouverts depuis le 11 mai dernier : mesures de distanciation physique (dans les espaces de circulation comme les halls ou les couloirs menant aux salles), mise en place d’un fléchage définissant un sens de circulation afin de faciliter les flux de spectateurs et éviter les files d’attentes ou éventuels attroupements. Au niveau des guichets, le guide préconise également l’installation d’un plexiglas entre le personnel et la clientèle, avec un port du masque (ou d’une visière) obligatoire pour l’ensemble des salariés. On retrouve également l’installation des désormais familiers distributeurs de gel hydroalcoolique à l’entrée du cinéma et à proximité des guichets.
L’interrogation principale des exploitants demeurait alors sur la jauge d’occupation des salles et surtout sur l’obligation ou non pour les spectateurs de devoir porter un masque. Les autorités ont opté pour une occupation maximale de 50% des sièges au cours d’une séance et sans obligation de porter un masque. Des décisions qui vont dans le bon sens pour favoriser le retour du public dans les salles obscures selon Rafael Maestro : "Les conditions de réouverture permettent un accueil convivial, loin de celles drastiques qui étaient parfois annoncées pendant le confinement. Si on pouvait avoir un taux de remplissage de 50% à l’année, on serait heureux !". Seule restriction majeure à l’intérieur des salles : si les personnes qui assisteront ensemble à une séance pourront s’asseoir à côté, elles devront laisser au minimum une place vacante avec un autre groupe de personnes.
Entre embouteillage et pénurie de films : le casse-tête de la programmation pour la réouverture
Mais alors quels films pourra-t-on voir à l’écran à partir du 22 mai ? "On avait une programmation sur deux semaines prévue au moment de l’annonce du confinement. On va travailler avec ces films qui étaient à l’affiche, par respect pour les distributeurs qui ont joué le jeu en attendant la réouverture des salles plutôt que de diffuser leurs films sur les plateformes de vidéo à la demande", explique Philippe Chagneau, directeur du cinéma l’Eldorado, à Saint-Pierre d’Oléron (17). Parmi ces films initialement prévus pour mars et qui connaîtront quand même une carrière estivale en salle, on compte notamment De Gaulle, avec Lambert Wilson et Isabelle Carré, ou encore La Bonne Épouse avec Juliette Binoche. Plus difficile cependant pour les exploitants de définir une programmation pour le mois de juillet, du fait des nombreuses sorties différées à cause de l’épidémie de coronavirus. "On doit faire face à ce paradoxe d’un embouteillage de films prêts à être projetés en salle qui se transforme en pénurie du fait des reports de sorties. Les grosses productions américaines servent de locomotive pour faire venir les gens au cinéma, or beaucoup de distributeurs on fait le choix de repousser la date d’arrivée en salle, par peur d’un contexte trop anxiogène", explique Alexandre Anton, qui espère cependant pouvoir compter sur Mulan et Tenet, le nouveau film de Christopher Nolan, comme fers de lance de sa programmation estivale alors que le dernier cité a déjà vu sa date de sortie initiale, le 17 juillet, repoussée au début du mois d’août. Pour combler le manque de films à fort potentiel commercial et mobiliser leurs publics dans les semaines à venir, les directeurs de salles de cinéma sont amenés à redoubler d’inventivité. C’est le cas de Duarte Caetano qui a fait le choix pour son cinéma de Saint-Junien d’organiser des cycles thématiques forts en lien avec l’actualité : "On va créer un cycle Bas les masques composé de films plus ou moins récents où le masque joue un rôle important, ainsi qu’une programmation Black Films matters, avec un ensemble de films politiques sur la condition des noirs américains aux Etats-Unis".
"Une perte moyenne de chiffre d’affaires de 50% pour les salles de cinéma d’art et d’essai en 2020"
Si les exploitants souhaitent compter sur plusieurs films d’envergure dès le début de l’été, c’est bien parce que le redémarrage de l’activité aura une importance déterminante sur les chiffres de l’année 2020. François Aymé, président de l’Association française des cinémas d’art et d’essai explique : "Le premier trimestre 2020 avait déjà été difficile, malgré une fin d’année 2019 exceptionnelle. Avec l’absence de second trimestre du fait de l’épidémie, on estime qu’il va y avoir une perte moyenne de chiffre d’affaires de 50% pour les salles de cinéma d’art et d’essai en 2020, mais là encore tout dépendra de la reprise, si les gens reviennent ou non dans les salles dès l’été."
Mobilisé depuis le début du confinement afin de défendre les intérêts des exploitants (il est lui-même également directeur général du cinéma Jean Eustache à Pessac, ndlr) auprès du ministère de la Culture, François Aymé espère par ailleurs obtenir une aide à l’exploitation pour aider les professionnels du secteur à surmonter cette crise, à l’image des mesures de soutien octroyées à l’économie du livre, et éviter ainsi la fermeture des cinémas fragilisés, et ce malgré la mise en place du dispositif de chômage partiel qui a déjà soulagé leurs charges pendant toute la durée de la fermeture. Alors quel avenir et quelles perspectives économiques pour la salle de cinéma ? Philippe Chagnot sait que l’épidémie de coronavirus a pu changer des habitudes : "En deux mois de confinement à la maison, les gens ont pu découvrir d’autres façons de voir des films, avec la VOD notamment. Vont-ils reprendre goût au cinéma ? Les seniors, qui composent la majorité du public des salles d’art et d’essai vont-ils revenir dès juillet ? Seul l’avenir nous le dira". Rafael Maestro veut être optimiste : "Les salles de cinéma ne sont pas vouées à disparaître. Si c’était le cas, c’est toute l'attractivité d’un centre-ville qui s’en trouve impactée. C’est à nous d’être ambitieux, de faire des propositions concrètes aux pouvoirs publics mais aussi à nos spectateurs pour leur donner envie de venir." François Aymé abonde en ce sens : "Il faut s’attacher à ce que la salle soit toujours plus confortable, familiale et peu chère pour maintenir le lien de complicité avec le spectateur mais aussi retravailler la pédagogie auprès du jeune public notamment sur la valeur ajoutée d’aller voir un film dans les meilleures conditions en matière de son et d’images. Tant qu’il y aura des films, il faudra des cinémas." Début de la résistance le 22 juin dans les salles.