"Rodéo" : western en bécane aux portes de Bordeaux
Avec Rodéo, soutenu par la Région Nouvelle-Aquitaine, accompagné par ALCA et tourné en Gironde, Lola Quivoron fait le portrait d’une jeune rideuse, désireuse de s’imposer dans l’univers très masculin du cross-bitume. Entretien avec la jeune réalisatrice et son producteur, Charles Gilibert (CG Cinéma) à l'occasion de la sortie en salle, le 7 septembre 2022.
Rodéo raconte l’intégration de Julia, une jeune femme intrépide et passionnée de moto, dans une bande de bikers, les B More, adeptes de cross-bitume, une discipline qui consiste à effectuer des figures en deux roues sur des "lignes", des routes de campagne désertées. Ce sujet était déjà au centre de votre court métrage Au loin Baltimore. Pourquoi cet intérêt pour cette discipline et l’envie de l’utiliser comme décor de votre premier long métrage ?
Lola Quivoron : Cela fait 7 ans que je fréquente ce milieu. J’ai commencé à m'y intéresser en 2015, quand j’étais encore étudiante à la Fémis. Je suis tombée sur des vidéos devenues assez virales sur les réseaux sociaux où on voit des bikers exercer leur art, que beaucoup considèrent comme un sport mécanique et qui consiste à s’exprimer via tout un panel de figures très techniques sur une moto. J’ai tout de suite été sensible à la dimension spectaculaire mais aussi au phénomène de groupe, cette idée de communauté qui se rassemble autour des routes avec un esprit familial très fort. J’ai eu assez vite l’envie de raconter cette communauté, en travaillant avec eux mon point de vue par la photo argentique dans un premier temps, puis sur d’autres projets avec un clip, un court et un moyen métrage et enfin Rodéo, auquel je me suis consacrée ces quatre dernières années.
Il s’agit d’un environnement essentiellement masculin dans lequel Julia doit batailler tout le film pour se faire une vraie place. Aviez-vous dès le début de l’écriture l’idée de filmer un personnage féminin évoluant dans un monde d’hommes, avec ses codes très spécifiques ?
L.Q. : Je voulais raconter l’histoire d’une jeune femme qui traverserait cette communauté, qui serait à la recherche d’une famille d’une certaine manière et qui tenterait de s’imposer dans ce monde qui a priori n’est pas fait pour elle. C’est un personnage forcément inspiré de mes propres cheminements, du fait d’être une femme, ce à quoi cela renvoie, quels sont les a priori ou les stéréotypes de ma position dans la société. Sur les routes pendant sept ans, j’ai croisé plusieurs rideuses dont une qui a inspiré le personnage principal et qui a traversé ce monde comme une comète, en disparaissant très vite. J’ai voulu comprendre pourquoi les rideuses ne s’inscrivent généralement pas de manière durable dans ce milieu. Et il y a forcément une part de rêve aussi, de filmer une protagoniste en lutte contre le regard des autres et qui lutte pour se faire une place, un type de personnage que j’ai envie de voir au cinéma.
Justement, comment s’est faite la connexion avec Julie Ledru, qui n’est pas actrice de formation, et qu’est-ce qui vous a convaincu de lui confier le premier rôle de Rodéo ?
L.Q. : Trois ans avant le tournage, j’étais à la recherche de témoignages de jeunes femmes ayant fréquenté ce monde. J’ai découvert Julie via son compte Instagram, sur lequel elle se faisait appeler "l’inconnue" et qui cachait son visage. Il y avait déjà une forme de mythologie dans sa façon de communiquer sur les réseaux qui m’a plu. On se rencontre pour parler du cross-bitume, mais rapidement on aborde aussi des sujets plus intimes. C’est une jeune femme qui a une forme de colère intérieure à laquelle je m’identifie, qui se pose des questions sur sa place, sur son corps, sur la débrouille dans laquelle elle construit sa vie. Après des rendez-vous réguliers où elle a aidé à documenter le personnage de Julia, un lien de confiance s’est créé et petit à petit je l’ai accueillie sur le projet en lui proposant et en adaptant le rôle pour elle.
"Le fait de caster des acteurs non professionnels était inhérent à la nature même du projet, de s’entourer de jeunes gens qui pratiquent le cross-bitume et maîtrisent les figures acrobatiques qui le caractérise."
Après plusieurs courts métrages et documentaires, Rodéo est votre premier long métrage. Était-ce une volonté pour cette première de vous entourer en partie d’acteurs non professionnels et de vivre ce baptême du feu ensemble ? Comment s’est déroulé le casting ?
L.Q. : Ce côté "baptême du feu", on le retrouve jusque dans l’équipe technique du film avec beaucoup de très jeunes gens, qui occupaient souvent pour la première fois un poste important sur un long métrage. Cela donne un désir incandescent de fabriquer le film. Concernant le casting, on voulait des acteurs traversés par la passion du cross-bitume et qui savaient rider. Les acteurs qui apparaissent dans Rodéo réalisent leurs propres cascades dans le film.
Charles Gilibert : Le fait de caster des acteurs non professionnels était inhérent à la nature même du projet, de s’entourer de jeunes gens qui pratiquent le cross-bitume et maîtrisent les figures acrobatiques qui le caractérise. C’est ensuite un puzzle à composer : trouver les bonnes personnes, créer une alchimie avec eux en travaillant main dans la main avec Lola, et voir comment les choses prennent, se solidifient au fur et à mesure que le processus de création avance. Tout a été fait de façon très organique.
Comment s’est faite la connexion avec CG Cinéma qui produit Rodéo et la décision de faire le film ?
C.G. : Romain Blondeau, également producteur sur le film, avait vu les courts métrages de Lola et avait été impressionné par la mise en scène, la façon d’aborder les sujets. On a rencontré Lola à la fin de l’année 2017 et on a rapidement décidé de travailler ensemble sur le scénario, de trouver ensemble les clés pour raconter cette histoire.
L.Q. : Dès l’entrée du projet chez CG Cinéma, j’ai senti que j’avais beaucoup de chance de rencontrer des gens qui m’autorisaient une forme d’autonomie. Les discussions permanentes de la préparation et pendant le tournage ont permis de nourrir le film jusqu’au bout et de surmonter les difficultés comme lorsque Julie s’est blessée, ce qui a nécessité l’arrêt du tournage pendant deux semaines. On a toujours su se réadapter, se servir de ce qui advient pour pousser le film plus loin et en faire une aventure collective forte.
Le film est soutenu par la Région Nouvelle-Aquitaine et une partie du film est tournée en Gironde. Quelle a été l’importance de ce partenariat et à quel moment du processus de création du film a-t-il été noué ?
C.G. : La relation avec la Région s’est très bien passée, dès la phase de lecture du projet. On s’est appuyés sur les services de la Région pendant toute la préparation du tournage pour effectuer les repérages, trouver les équipes sur place, gérer les questions d’autorisation, etc.
L.Q. : Je suis originaire de région parisienne mais j’ai déménagé à Bordeaux à l’adolescence. J’avais imaginé un cadre assez parisien, mais assez vite quand on travaillait au financement du film, j’ai réadapté le scénario pour le délocaliser dans la région bordelaise car je sentais que cela pouvait rendre le film plus fort. On a notamment travaillé avec un régisseur sur place qui a su inscrire le film dans des espaces particuliers comme le quartier des Aubiers à Bordeaux, en impliquant les associations du quartier, en créant du lien avec les gens, ce qui traduit une pensée assez concrète du film et de la façon dont il a été tourné. On a tenu à mettre du sens dans chacune de nos démarches.
"Ces routes infinies qui vont vers les plages me rappellent l’univers du western qui est pour moi une composante du film, dans l’idée de montrer des grands espaces, comme un monde à conquérir où on peut repousser ses limites."
Justement, vous filmez aux Aubiers à Bordeaux mais également en périphérie de la ville à Cenon ou Saint-Jean-d’Illac. Quel est votre rapport à ce territoire et en quoi vous a-t-il inspiré pour le film ?
L.Q. : La région offre une grande diversité de paysages, et notamment vers Saint-Jean-d’Illac, ces routes toutes droites bordées de pins qui vont vers l’océan. Ces routes infinies qui vont vers les plages me rappellent l’univers du western qui est pour moi une composante du film, dans l’idée de montrer des grands espaces, comme un monde à conquérir où on peut repousser ses limites. Le pont d’Aquitaine est également un personnage à part entière du film, qui évoque un horizon américain, un peu comme les ponts suspendus de Philadelphie ou de Baltimore. On a aussi eu la chance de pouvoir tourner sur le port de Bordeaux, qui apporte de la force à une séquence déterminante du film.
Rodéo faisait partie cette année de la sélection Un certain regard du Festival de Cannes, dans laquelle elle a remporté le Coup de cœur du jury. Être sélectionné et faire parler d’un sujet comme le cross-bitume dans un des plus grands festivals de cinéma au monde, quel souvenir en gardez-vous ?
L.Q. : C’était une expérience assez intense car tout est allé très vite. On a tourné il y a à peine un an, à l’automne 2021, et on a enchaîné directement avec la post-production pour pouvoir présenter le film au festival. Je tenais absolument à ce que tout le groupe des B More soit présent à Cannes, ce qui a forcément créé un élan très joyeux, une force collective sur place. Le film a en plus reçu un accueil chaleureux, avec beaucoup de monde qui en parlait et donc un rayonnement médiatique très fort.
C.G. : C’est la première pierre de la carrière de Lola en tant que cinéaste, un regard de réalisatrice qui rentre dans le cinéma avec une vision singulière, et qui se traduit par une cette sélection cannoise. C’est aussi une vitrine très importante pour le film. Pour sa sortie en France d’une part, puisqu’on touche beaucoup de presse, des gens en parlent, se font un avis, ce qui nous a permis de nous positionner sur une sortie en septembre qui est un mois très compétitif dans les salles. Et puis à l’international, cela permet de faire voir le film, de trouver des distributeurs et de rentrer dans un réseau de grands festivals qui vont contribuer à faire vivre le film.