"Sentinelle Sud" : amitiés et lendemains de guerre qui déchantent
Dans Sentinelle Sud, long métrage soutenu par la Région Nouvelle-Aquitaine et le Département de la Charente-Maritime, accompagné par ALCA et le Bureau d'accueil des tournages 17, Mathieu Gérault choisit le thème du retour de guerre comme décor d’une quête affective et d’une amitié qui se meurt sur fond de film noir. Entretien avec le réalisateur, reçu en 2014 en résidence d'écriture au Chalet Mauriac pour les premiers développements du film, et le producteur David Coujard (Agat Films – Ex Nihilo) à l'occasion de la sortie en salle le mercredi 27 avril.
Sentinelle Sud est un film de retour de guerre, un sujet souvent abordé dans le cinéma américain avec des films comme Brothers ou American Sniper, mais peu dans le cinéma français malgré la présence militaire de la France dans différentes régions du monde en guerre ces dernières années. Qu’est-ce qui vous a donné envie de vous intéresser à ce thème en particulier, quel a été le déclencheur ?
Mathieu Gérault : Le sujet du retour de guerre, c’est avant tout un très bon matériau pour aborder des questions importantes et bâtir une histoire autour : la confrontation directe avec la mort, la frontière entre le bien et le mal, l’amour entre frères d’armes et le rapport au père, donc la notion de famille aussi… C’est mon premier long métrage et je voulais faire un vrai film de fiction. Je me suis donc intéressé à la figure du soldat, à la guerre, et à tout ce que cela implique dans le développement des personnages, notamment sur le fait d’être inadapté, de construire une frontière entre monde civil et monde militaire.
David Coujard : Dès la première lecture du scénario de Mathieu, on sentait cette envie forte de fiction, de s’emparer d’une réalité pour parler de quelque chose de plus profond avec la question de la fraternité et de la mort des amitiés. Il y avait un vrai potentiel cinématographique social et politique.
Comment prépare-t-on et écrit-t-on un film de guerre, même si celle-ci est invisible à l’écran, avec ses spécificités, son vocabulaire, quand on n'est pas soi-même militaire de carrière ?
M.G. : On se documente beaucoup. Il y a un parallèle avec le sujet du film dans le sens où il y a une rigidité militaire, une discipline un peu obsessionnelle dans ce travail préparatoire. C’est donc beaucoup de temps plongé dans les récits de guerre d’Indochine, d’Algérie, de soldats américains au Vietnam également, et des documentaires. Je n’ai pas voulu aller trop au contact de soldats qui étaient revenus, car ce sont des sujets difficiles à aborder, il y a une difficulté dans la verbalisation de ce qu’ils ont vécu ou ressenti. Il fallait que cela reste une fiction, que l’on garde une distance avec la réalité. J’ai quand même rencontré des ergothérapeutes et des psychiatres, pour parler de leur travail dans la prise en charge des blessés de guerre.
Niels Schneider interprète dans le film Christian, un militaire qui ne trouve pas sa place dans la société à son retour d’Afghanistan et qui souhaite repartir le plus rapidement au front, à l’image du personnage du reporter de guerre Paul Marchand qu’il interprétait déjà dans le film Sympathie pour le diable. Est-ce que cette interprétation vous a influencé au moment de le choisir comme acteur principal ?
M.G. : Non, pas vraiment, d’autant plus que Sympathie pour le diable n’était pas encore sorti quand on est entrés en contact avec lui. On savait que Niels pouvait jouer des personnages sombres depuis Diamant noir, mais c’est vraiment lors des essais qu’on a compris qu’il était le personnage de Christian. On cherchait quelqu’un de lourd, de terrien alors que dans l’imaginaire collectif, Niels a un profil plus urbain et lettré. Il nous a vraiment surpris en venant très habillé pour le rôle et en ayant préparé des tics physiques qui commençaient à raconter un personnage et que l’on retrouve d’ailleurs dans le film.
D.C. : Niels et Sofian Khammes, qui interprète Mounir dans le film, ont vraiment le même rapport au corps pour envisager un rôle, se l’approprier. Ils sont tous les deux passés par la case musculation avant que leurs efforts ne tombent à l’eau, puisque le tournage a été repoussé dans un premier temps avec le confinement en mars 2020.
"Il y avait aussi dans l’écriture quelque chose d’un peu sans époque et poétique, un mélange d’une ambition formelle et un discours plus politique."
Comment s’est faite la connexion avec Agat Films – Ex Nihilo et la décision de faire ce film ensemble ?
D.C. : On se connaissait Mathieu et moi par d’autre biais, j’étais directeur de production et lui faisait de l’image. Il m’a fait lire une version dialoguée du scénario et il y avait déjà tous les éléments qui donnent envie de faire du cinéma : le désir de fiction, de spectacle, une dramaturgie tendue. Il y avait aussi dans l’écriture quelque chose d’un peu sans époque et poétique, un mélange d’une ambition formelle et un discours plus politique. C’est ce regard d’auteur qui m’a donné envie de faire le film qui est pour moi aussi une première expérience en tant que producteur.
M.G. : Quand je rencontre David pour Sentinelle Sud, j’ai déjà quatre ans d’écriture derrière moi. Les personnages étaient déjà là, il fallait rendre organiques tous les fils que je voulais tirer, l’intrigue sur l’opium, le fait d’échapper à une famille mafieuse, et la quête plus intime de l’amitié, du fils préféré, etc. Le fait de rentrer dans un processus de production a permis d’affiner tout ça et de donner vie au projet.
Le film bénéficie du soutien de la Région Nouvelle-Aquitaine et des scènes ont été tournées en Charente-Maritime. Comment s’est nouée la relation de travail avec la Nouvelle-Aquitaine ?
D.C. : Le film est principalement tourné dans la périphérie de Lyon avec la Région Auvergne-Rhône-Alpes qui intervient comme coproducteur du film. C’est là-bas que l’on tourne l’ensemble des scènes du point de chute de Christian à son retour de la guerre, ce décor de banlieue comme une zone de transition entre deux mondes. Pour une scène précise, celle d’un braquage dans une bijouterie, Mathieu a pensé au centre-ville de La Rochelle avec ses arcades. Il a fallu déplacer toute l’équipe de tournage depuis Lyon, ce qui n’était pas simple mais la Région Nouvelle-Aquitaine et le Département de Charente-Maritime nous ont accompagnés pour faciliter le tournage de cette scène déterminante, sans surcoût.
M.G. : J’étais déjà en relation avec la région puisque j’avais été reçu en résidence d’écriture une quinzaine de jours au Chalet Mauriac dans le cadre des premiers développements de mon scénario. J’en garde le souvenir d’une expérience enrichissante, d’être dans cet endroit où les rencontres sont assez diverses, avec des interprètes, des dessinateurs, etc. Et puis il y a eu l’envie d’aller tourner cette scène à La Rochelle.
Justement, pourquoi cette envie d’utiliser les arcades du centre-ville de La Rochelle comme décor ?
M.G. : C'était assez instinctif et j’ai tout de suite eu ce lieu en tête. Les personnages évoluent la majeure partie du film en périphérie de la ville. On voulait, pour cette scène de braquage, les délocaliser dans un centre-ville marqué par une richesse architecturale, incarné par ces arcades, auquel ils n’ont pas forcément accès au quotidien. Cela renforce l’opposition avec cette zone grise de la banlieue dans laquelle ils vivent à leur retour du front. Cette scène de braquage marque aussi un tournant dans le film, comme un flashback concret de l’Afghanistan, en amenant la guerre dans les beaux quartiers.
"Ce premier film a été une très belle expérience et le rendu est très fidèle au fantasme que je m’en faisais, donc l’envie de recommencer est là."
Sentinelle Sud était présenté en compétition officielle au Festival international du film de Saint-Jean-de-Luz en octobre 2021. Une étape importante dans la vie d’un premier film, et une récompense avec le prix d’interprétation masculine remis conjointement à Niels Schneider et Sofian Khammes. Quel souvenir gardez-vous de cette expérience ?
D.C. : C’est le premier festival auquel on a participé pour Sentinelle Sud, donc aussi la première fois que les acteurs découvraient le film. C'était très fort en matière de charge émotionnelle avec un très bon retour des spectateurs et un long temps d’échanges avec eux après la projection. Et puis, ce prix d’interprétation pour Sofian et Niels pour couronner le tout, et qui lance bien la carrière du film dans d’autres festivals en France. On était très contents.
M.G. : Il y avait forcément de l’appréhension, c’était un événement pour tous les deux comme il s’agissait de notre premier film respectivement en tant que réalisateur et producteur, donc le montrer devant une salle de 300 personnes c’est forcément intimidant. Mais l’accueil a été très bon, il y a une vraie culture du premier film, une bienveillance dans ce festival qui a forcément marqué un temps fort après plusieurs années de travail.
D’autres projets à venir ensemble, après cette première collaboration ?
D.C. : On essaie d’amorcer un nouveau film ensemble, oui. Ce premier film a été une très belle expérience et le rendu est très fidèle au fantasme que je m’en faisais, donc l’envie de recommencer est là. Je suis très curieux de voir comment ce que l’on a compris de l’industrie et de la fabrication d’un film peut colorer ou non un éventuel deuxième film.
M.G. : On est liés par ce film dans lequel il y avait beaucoup de croyances, de sincérité, comme souvent lors d’un premier long métrage. Cela crée des liens forts pour surmonter les difficultés et envisager d’autres projets.