"Serre-moi fort", partition d’un déni
"Ça semble être l’histoire d’une femme qui s’en va". Avec Serre-moi fort, soutenu par la Région Nouvelle-Aquitaine et accompagné par ALCA, Mathieu Amalric tire d’un synopsis simple un film lumineux sur l’impossibilité du deuil, entre mirages et tragédie pudique. Rencontre avec le réalisateur et la productrice Laetitia Gonzalez (Les Films du Poisson) avant la sortie en salle ce mercredi 8 septembre.
Serre-moi fort s’inspire du texte d’une pièce de théâtre, Je reviens de loin de Claudine Galéa, qui n’avait cependant jamais été jouée avant que vous décidiez d’en faire l’adaptation. Comment s’approprie-t-on et adapte-t-on le texte d’une autre et qui n’a pas encore fait l’objet de représentations ?
Mathieu Amalric : Un ami metteur en scène, Laurent Ziserman, avait justement pour projet de monter la pièce, sans que cela aboutisse. C’est lui qui m’a mis ce livre très court entre les mains, un texte avec différentes graphies, des superpositions de voix, des monologues, et parfois des scènes plus réalistes. Un nerf a été touché à la première lecture et j’ai pleuré. C’est pour ça que j’ai voulu que Laëtitia et Yaël [Fogiel, cofondatrice des Films du Poisson, ndlr] lisent cette pièce qui prend sa force dans le littéraire, et trouver la place du cinéma dans cette œuvre. Cette chose toute simple que Claudine Galéa a inventée, cette structure presque mythologique m’a ému. J’ai donc tout mis à plat, je me suis enfermé et j’ai cherché des vibrations, des objets qui allaient pouvoir donner vie au récit. J’ai écrit un premier jet en neuf jours en essayant de faire preuve d’une fidélité absolue avec l’esprit de ce qu’avait écrit l’autrice.
Le film semble proposer une situation initiale, celle d’une femme qui décide de quitter son foyer, avant que le spectateur comprenne que ce postulat de départ est faussé. Est-ce cette construction originale du récit qui vous a donné envie d’adapter la pièce à l’écran ?
M.A. : Dans le texte original, ce renversement n’intervient qu’à la toute fin de l’histoire. Peu à peu, à force de plonger dedans et de pleurer – c’est très important –, j’ai senti que ce processus d’inversion pouvait permettre de varier les genres et qu’il pouvait ressortir de ça quelque chose que le cinéma puisse exalter. C’est un mélo, mais aussi un film de fantômes, un film mental.
"On ne voulait pas filmer la douleur d’une femme dans un chemin de croix."
Il y a une volonté d’interroger le rapport entre réalité et fiction à travers le personnage tourmenté de Clarisse, interprété par Vicky Krieps. Est-ce que pour vous la fiction est un antidote contre la douleur et la dépression ?
M.A. : Ah non, je suis très ancré dans le réel, j’aime la vraie vie ! En revanche, ce qui était émouvant en matière de cinéma, c’est de montrer à l’écran ce qui se passe dans la tête de Clarisse, un personnage dans le déni, et de la rapprocher du spectateur, qui voit les mêmes choses qu’elle au départ et qui y croit forcément lui aussi. On ne voulait pas filmer la douleur d’une femme dans un chemin de croix. Ce qui est bouleversant c’est qu’elle invente, j’aime la logique de son délire. Elle a besoin de la fiction pour continuer à vivre et cela rend le film vivant, joyeux même souvent.
Laetitia Gonzalez : Ce qui est intéressant, après avoir fait plusieurs projections-débats, c’est de voir comment les gens reçoivent le film et son émotion. Je ne sais pas si la fiction est un antidote, mais au travers des échanges qu’on a pu avoir avec le public, je remarque que chacun se l’approprie de façon très personnelle, se fait sa propre histoire en relation avec cette douleur et certains nous disent même : "Ça me donne envie de vivre".
Le film est aussi rythmé par sa musique et notamment les variations des gavottes de Jean-Philippe Rameau, avec ses mouvements lents et ceux plus rapides. Aviez-vous en tête ce procédé et ce thème musical précis dès l’écriture du scénario ?
M.A. : Le piano est déjà très présent dans la pièce, puisqu’il y a un personnage qui en joue mais la seule musique citée dans le texte, c’est la Sonate Arpeggione de Schubert. Dès l’écriture, j’ai donc écouté beaucoup de piano. J’ai pensé à une ritournelle, un thème entêtant qui reviendrait dans le film et j’ai eu l’idée des gavottes et ses doubles. J’ai découvert et aimé Rameau au piano en écoutant la pianiste Marcelle Meyer et je faisais écouter ces versions sur le tournage à Anne-Sophie Bowen-Chatet et Juliette Benveniste, qui interprètent à tour de rôle le personnage de Lucie. Le film est écrit comme une partition musicale. À un moment, j’avais même l’impression d’écrire un opéra, cela m’aidait pour être dans les larmes, dans l’émotion.
L.G. : C’est vrai que très tôt on a parlé de ça en lisant le texte original, de la sensation de lire une partition, et Mathieu a poussé cette logique jusqu’au montage. Le fait que les deux jeunes actrices soient de vraies musiciennes, qui travaillaient les morceaux au piano entre chaque prise, ça apporte également beaucoup au film.
Une partie du film est tournée en Nouvelle-Aquitaine, à La Rochelle et à Rochefort notamment. Pourquoi ce choix de tourner sur la côte atlantique pour raconter cette histoire ?
L.G. : On connaissait bien la région pour y avoir déjà filmé des scènes de Tournée en 2009. Quand on a su qu’on allait venir ici, on savait que les repérages seraient facilités, on a donc travaillé avec Mathieu, le directeur de production Frédéric Blum et le premier assistant réalisateur Dylan Talleux, pour trouver les décors qui correspondaient le plus à l’histoire et au voyage de Clarisse tel que Mathieu l’imaginait.
M.A. : C’est un film de montagne au départ, donc on a tourné toute une partie à Saint-Gaudens dans les Pyrénées. On avait aussi besoin d’autres décors, près de la mer, qui correspondent au cheminement du personnage de Clarisse. Elle est traductrice, on a donc envisagé qu’elle puisse devenir guide, ce qui a créé l’opportunité de tourner une scène sur l’Hermione à Rochefort. Pour la petite histoire, on a également filmé dans le théâtre de la Coupe d’Or, dans la même pièce que pour une scène du film Tournée, onze ans plus tôt, avec une utilisation complètement différente.
Comment s’est passée la collaboration avec la Région Nouvelle Aquitaine sur ce film ?
L.G. : La Région nous a accordé une aide de 50 000 euros, très précieuse pour la deuxième partie du tournage, à laquelle est venue s’ajouter un financement équivalent du Département de la Charente-Maritime. Ce n’était que 8 jours, les personnes avec lesquelles on a travaillé ont été compréhensives car elles savaient qu’on avait des contraintes temporelles sur d’autres lieux de tournage. Sur ce projet, la Région nous a également aidés pour l’accueil des équipes et les repérages en amont, ce qui nous a fait gagner un temps précieux.
"Quand on a fait l’ouverture des journées professionnelles, on a eu un retour dithyrambique qui a créé une émulation positive auprès de tous les exploitants, et on le sent aujourd’hui quand on les rencontre dans les salles où on va présenter le film."
Vous étiez présents dans la sélection officielle du Festival de Cannes cette année, dans la catégorie Cannes Première. Comment avez-vous vécu cette sélection et la présentation du film au Palais des festivals ?
M.A. : Il y avait une vraie émotion comme pour tous les films, je crois, dont les tournages s’étaient arrêtés ou les présentations retardées avec tous ces mois d’incertitude. Il y a eu deux projections : celle de l’Afcae pour les journées professionnelles avant le début du festival, et la projection au public. Les deux fois, on a reçu un accueil magnifique.
L.G. : Initialement, on avait fait en sorte de terminer le film pour qu’il soit sélectionnable à Cannes en 2020, ce qui n’a pas pu être le cas avec la crise sanitaire. C’était donc un vrai bonheur d’être toujours là un an après, et un moment très fort émotionnellement, avec cette réception du public et ces applaudissements à la fin de la projection. Quand on a fait l’ouverture des journées professionnelles, on a eu un retour dithyrambique qui a créé une émulation positive auprès de tous les exploitants, et on le sent aujourd’hui quand on les rencontre dans les salles où on va présenter le film.
Vous étiez d’ailleurs à Poitiers, La Rochelle et Niort à la fin du mois d’août pour montrer le film et échanger avec le public. Est-ce que l’accueil, le ressenti est différent quand on présente un film sur le territoire où il a en partie été tourné, en comparaison d’autres avant-premières ?
L.G. : L’échange est forcément différent et d’autant plus intéressant, car on sent les gens particulièrement touchés par le fait qu’on ait voulu filmer leur ville, leur région. Cette question géographique revient systématiquement : "Pourquoi ici, pourquoi chez nous ?". Pour les gens, un tournage, c’est quelque chose qui marque surtout quand on a la chance d’avoir un rapport de proximité avec l’équipe du film, d’entrer dans cet univers.
M.A. : On fait en sorte, et c’est un gros travail, d’appeler tous les figurants, toutes les personnes habitant les lieux où l’on tourne et présentes dans le film, pour qu’elles soient dans la salle pour ces projections, et qu’elles se sentent impliquées dans le projet. C’est toujours quelque chose de très émouvant.