"Soleil gris", l’adolescence au cœur du brasier


Soleil Gris est un court métrage d’animation mettant en scène deux adolescentes, Jess et Charlie, qui tournent en rond dans un espace moderne, désertique et caniculaire sur le point de s’effondrer. La puissance de ce court-métrage tient en grande partie à la représentation de ces deux jeunes filles qui illustre leurs ambiguïtés, entre force et fragilité, résilience et courage. Entretien avec Camille Monnier, dont le film est en sélection pour le prix des lycéens Haut les courts !
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Il semble que le cinéma d'animation soit arrivé assez tôt dans votre parcours ?
Camille Monnier : Oui, comme beaucoup de gens j'étais fan d’Hayao Miyazaki et je me disais que ça pourrait être génial de faire pareil, dans une autre mesure bien sûr. Pendant mes études j’étais aussi admiratrice du créateur de Mind Game, Masaaki Yuasa. Ensuite, je me suis plutôt inspiré de réalisateurs en prises de vues réelles comme Sofia Coppola, Céline Sciamma ou Denis Villeneuve. Lorsqu’on me parle des décors de Soleil Gris, je reviens à ce que Denis Villeneuve raconte sur le désert et ses recherches pour Dune. Sofia Coppola explore l'attente, l'ennui, et je crois que l'ennui me passionne.
En parlant de Soleil Gris vous avez dit que votre envie c’était de parler de collapsologie1 mais aussi d'adolescence, est-ce que l’un des deux sujets est venu avant l'autre ?
C.M. : C'est vraiment venu conjointement, un été où je dessinais sur la terrasse chez mes parents, je m'ennuyais un peu, je repensais à mon adolescence et je me rappelais combien ce moment de la vie est riche. J’ai eu envie de l'explorer comme tant de réalisateurs l'ont exploré. Parallèlement à cela, je commençais à entendre parler de la collapsologie, c’est-à-dire l'effondrement du monde, et l'adolescence est à mes yeux une forme d'effondrement de soi. Je trouve intéressant de les mettre en miroir et qu’ils se répondent.
Vous dites aussi que ce n'est pas un film qui dénonce mais plutôt une manière d’illustrer deux états de la vie.
C.M. : Je pense qu’à l'heure actuelle il n’y plus besoin de pointer du doigt le changement climatique. On le voit déjà, avec les grands incendies qui ont lieu tous les ans, partout. Je voulais en revanche rendre compte et faire un portrait de cette situation. Il va y avoir des formes d'exode dues à ces changements climatiques et cela va toucher les populations pauvres comme riches. C’est pour cela que dans Soleil Gris ce sont deux ados. On se demande ce qu’il pourrait leur arriver, tout a l'air d'aller plutôt bien et malgré cela, elles vont quand même risquer de périr.
Comment avez-vous pensé justement ce premier plan, celui qui ouvre le court métrage avec cette image forte d’un arbre desséché et d’un sac en plastique qui volette ?
C.M. : J’avais en tête l'idée de planter le décor, c’est une image assez symbolique de la pollution. Quand on fait des films, il y a toujours des choses qu'on décide inconsciemment, j’ai puisé dans les souvenirs que j'avais d'un voyage en Tunisie avec mes parents, où il y avait énormément de sacs plastiques accrochés partout dans les arbres et qui venaient remplacer le feuillage. Ils faisaient partie du paysage, ils étaient partout, comme des petits animaux, une nouvelle faune. Ensuite, on a reconstitué le son d'un désert avec le cri d’un coyote au loin mais, on ne le voit pas et la seule chose qu'on observe c'est ce petit sac qui bouge.
Vous avez choisi de parler de la séquence de la rencontre des deux adolescentes avec l'homme, pourquoi avoir choisi ce passage ?
C.M. : Le passage avec l'homme est le seul où une autre personne intervient. Il est perçu comme une menace alors que Charlie ne voit pas le danger. Elle a un objectif en tête, elle est têtue, c'est d’aller à la mer et si cet homme lui permet de s’y rendre elle ne va pas s’embarrasser du fait qu’il pourrait avoir de mauvaises intentions. Jess est plus lucide et elle réalise qu’elle commence à perdre de son emprise sur elle. Le seul moyen qu'elle trouve à la fois pour se mettre en avant et pour la rabaisser c'est de lui dire que de toute façon elle est trop jeune pour lui. J’avais envie de creuser cette ambivalence, quand on est ado et qu’on pense quelque chose mais on va dire le contraire, on veut agir d'une certaine manière et on agit autrement. De plus, beaucoup de personnes pensent que c'est la cigarette de l'homme qu’il jette qui déclenche l'incendie mais je ne l'ai pas conçu comme ça. Il y a plein de petits éléments dans le film qui sont des signaux d'alerte : la pompe à essence, la clope.
Et aussi tout le discours de la radio en hors-champ ?
C.M. : C’est un message qui recouvre tout et qu'en même temps on entend d'une oreille. Cela fait référence à toute l'actualité sur le changement climatique qui fait vraiment partie de notre quotidien mais qu’on finit presque par oublier qui devient comme un bruit de fond.
De quelle manière avez-vous travaillé le lien entre votre dessin et l’atmosphère sonore, notamment à la fin où le trait se désagrège et le son s’amplifie ?
C.M. : J’avais envie d’une accélération parce qu’il y a d’abord quelque chose de lent : la dispute entre les deux adolescentes. Puis, à partir du "rêve ", il y a l'urgence créée par le feu. Donc il fallait que ça vibre tant dans l'image que dans le découpage avec, pour la course, des scènes très saccadées. C’est la même chose pour la musique effectivement. Cela a été tout le travail de Fredrika Stahl, qui, j’en suis très heureuse, a reçu un prix à Clermont-Ferrand. Je lui avais donné comme référence le son polyphonique du Portrait de la jeune fille en feu (Céline Sciamma, 2019). Dans Soleil gris, le chant guerrier permet d’accompagner la gradation.
Et pour ce qui est du choix des couleurs ?
C.M. : Dès mes premières recherches, j'ai choisi de peindre mes personnages en gris parce que cela reflétait cet état de l’adolescence, ce quelque chose de morose d'une peau qui ne prendrait pas le soleil. Le gris a aussi une portée universelle, ce qui m’a permis de ne pas avoir besoin de leur donner une culture. On ne sait pas d'où elles viennent, elles ont un petit côté "ovni" qui me plaisait bien. Sinon, je travaille avec une gamme de couleurs très restreinte : pour les décors on est sur des gris colorés, des blancs cassés, des touches de bleu et des touches de rouge qui arrivent progressivement pour finir par remplir tout l'écran pendant l'incendie. A la fin du film, quand elles arrivent à la mer, je leur ai fait la peau un peu rougie comme si finalement cette course émancipatrice leur avait redonné de la couleur, que le feu les avait imprégnées.
Quels sont vos futurs projets ?
C.M. : Je suis en train d'écrire un projet de long métrage et j'ai aussi deux projets de court-métrage mais, pour l'instant, on est sur de la réalisation en prise de vue réelle. J’avais déjà pensé Soleil Gris avec de points de vue qui correspondent plutôt à la prise de vue réelle, c’est cela qui m'a permis d'avoir ce côté réaliste dans le traitement.
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