Sur le tournage de "Ollie" d'Antoine Besse
Ollie, le premier long métrage d'Antoine Besse, place son intrigue en Dordogne, à deux pas de la maison familiale du réalisateur. C'est à Boulazac et alentour qu'il a choisi de poursuivre une thématique déjà explorée dans son court métrage, très remarqué, Le Skate Moderne. Teinté d'autobiographie, il y peignait la jeunesse des ruralités françaises comme on ne l'avait jamais encore fait : de jeunes paysans qui skatent pour tromper l'ennui, pour ne pas plonger dans d'autres dérivatifs et qui développent une sincère passion à l'égard des possibilités de leurs planches. Fort d'une esthétique flamboyante qui mêle l'inédit au familier, Antoine Besse décide de poursuivre son retour au pays du skate rural avec Ollie. Une fiction qui emprunte beaucoup à ses souvenirs, mais qui entend parler à tout le monde, et en particulier aux gens de la campagne.
Des câbles courent partout. Au milieu des champs, entre une maison périgourdine et une vieille grange s'est installée l'équipe du tournage d'Ollie. Quelques camions sont garés à la suite, presque à travers champ, offrant des portes de coffres béantes, débordants de fils, de caisses remplies, de bâches, de tout, de n'importe quoi. Quelques planches de skates gisent au sol, attendant d'être enfourchées. L'équipe est jeune. Rires diffus et baskets pour tous : l'ambiance est bonne sur le film d'Antoine Besse, ça se perçoit en un rien de temps. L'attention se focalise sur la grange abandonnée aux portes de bois abîmé.
Silence s'il vous plaît, moteur demandé.
L'histoire que veut nous raconter le cinéaste, c'est celle de Pierre et Bertrand. L'un est encore enfant, l'autre déjà bien cabossé par la vie. Ces deux êtres marginaux ou marginalisés, réunis par le seul fait d'habiter le même village, vont se lier et partager une passion commune, le skate.
Le comédien Théo Christine, déjà vu sur grand écran dans Suprêmes ou à la télé dans SKAM, interprète ici Bertrand, un punk à chien maigrissime et marqué. Un rôle de composition qui lui a demandé des sacrifices, auxquels il a concédé par professionnalisme et amitié pour Antoine Besse. "On est très proches tous les deux, on se connaît depuis longtemps. Il me fait confiance, j'ai une vraie responsabilité envers lui avec ce film" confie le cinéaste. Pour lui donner la réplique, un petit bout de garçon, haut comme un enfant et blond comme un ange. Kristen Billon n'est pas acteur, il est champion de France de skate. "On a vraiment de la chance, parce qu'il joue hyper bien. Le contraire aurait pu plomber un peu le film…" reconnait l'artiste.
"Personne m'apporte de café à moi ! ". Entre deux prises, Chloé, Charlotte et Sophie blaguent avec une complicité qui témoigne de plusieurs tournages passés ensemble. Chloé De Nombel est cheffe costumière depuis dix ans mais c'est son premier film avec Antoine Besse. "Je connaissais mal l'univers du skate ou des punks à chiens. J'ai regardé plein de vidéos, j'ai cherché dans les bibliothèques toute l'imagerie autour du thème, dans les free party… explique-t-elle, un sourire au coin des lèvres. Je suis beaucoup allée dans les friperies parce qu'il fallait des fringues patinées. J'ai acheté des sapes neuves aussi, que j'ai patiné moi-même, même si c'était vraiment à la marge pour ce film. Je fais trois ou quatre films par an, ce qui me donne un certain pouvoir d'achat. Je préfère en faire profiter les friperies plutôt que les grandes chaines." Une costumière écoresponsable qui incarne bien son époque. 2023 n'a pas que des défauts.
Très copine avec l'accessoiriste Charlotte, elle raconte avec émerveillement toutes les ficelles de sa collègue pour créer et transformer des lieux ou objets pour les besoins d'un film. "On a fait de la poussière pour cette grange, des toiles d'araignées, on a accroché de la végétation. Charlotte fabrique des clopes et même des fausses clopes pour les comédiens non-fumeurs. Elle peut faire du vomi si besoin… elle a toujours des astuces." Pendant ce temps-là, le jeune Kristen joue aux cartes avec sa coach, compagne de set et préceptrice éphémère. La scène reprend, tout le monde est rappelé. Kristen trottine vers la grange et dépasse le combo en criant, tout joyeux, "j'ai gagné aux cartes !".
Nouvelle série de prises. Le réalisateur ne connaît pas une seconde d'inattention, il est tout à son œuvre. "Les comédiens sont tops mais je reste concentré. Je veux être sûr de ce que je fais. C'est mon premier dernier film donc je ne veux pas avoir de regrets" lance-t-il mystérieusement. Le premier dernier film ? "Dans le sens où le prochain se fera hors industrie, caméra à l'épaule et trois ou quatre comédiens maximum. En totale liberté."
Florian est technicien lumière sur le tournage. Maillon de cette industrie évoquée à l'instant, il vient de Libourne et représente "une denrée rare en région" selon Fanny du Bureau d'Accueil des Tournages de Dordogne. "J'ai fait une école d'assistant réal à Paris mais j'ai trouvé ça ingrat. Je me suis tourné vers le métier d'électro. Ça me convient bien, et ce tournage en particulier est très agréable. C'est aussi dû au fait que c'est une petite équipe et qu'il s'agit d'une annexe 3" lâche le technicien avec connivence. "C'est-à-dire un film de moins de trois millions de budget" clarifie Florian.
Pour l'instant, c'est une machine de guerre en ordre de marche. Canal +, la Région Nouvelle-Aquitaine, Pictanovo, L’Alhambra Studios à Rochefort et le distributeur Rezo Films apportent leur soutien au long métrage, avec l'accompagnement d'ALCA. Un soutien qui représente beaucoup de pression pour l'artiste, qui reconnait qu'il n'aurait jamais pu mener à bien un tel projet, ni embaucher tant de monde (techniciens, figurants, etc), sans l'apport financier des partenaires cités plus haut. "Le film a pris au-delà de mes espérances. Je crois qu'on se situe pile entre le cinéma d'auteur et le cinéma populaire. Mais si Ollie plait aux critiques de cinéma et pas à ceux qui vivent à la campagne, ce sera raté." Ses yeux trahissent une sincérité presque naïve, un engagement total dans cette expérience filmique.
"Ce que je veux avec Ollie, c'est comprendre comment on devient un punk à chiens, comment on devient un bizu. Montrer qu'en fait, beaucoup de skateurs viennent de la campagne mais n'en parlent pas. La doublure de Théo me disait que ça lui faisait drôle de skater dans les mêmes décors que ceux de son enfance. À partir des années 80 et jusqu'en 2010 environ, les skateurs étaient des marginaux. T'avais pas trop d'options à la campagne : soit t'allais dans les boites avec les rugbymen, soit dans les teufs où ça tourne à l'alcool, la fumette et l'héro. On joue dans des décors où j'ai vraiment été. Le petit Pierre, c'est moi. Mais j'ai changé quelques détails biographiques pour mettre de la distance et ne pas me faire manger par ma propre histoire. On joue des personnes qui ont existé et qui sont mortes pour certaines. Avec ce film, j'ai un devoir de mémoire."
Coupé. Bonne chance à Ollie.