T'as lu ? Ça t'a plu ? : retour sur le grand prix des petits lecteurs
Le 23 juin dernier, à Villebois-Lavalette (16), avait lieu la finale du grand prix des petits lecteurs de Nouvelle-Aquitaine. Organisé depuis 2013 par ALCA et l’Union française des centres de vacances (UFCV), ce prix est l’aboutissement de l’opération T’as lu ? Ça t’a plu ? destinée aux enfants de 6 à 10 ans, inscrits en accueils de loisirs et périscolaires.
L’édition 2020-2021, avec la thématique "Tout sexe’plic", s’est intéressée aux stéréotypes de genre, à la sexualité, aux inégalités et aux relations femmes-hommes, en s’appuyant sur un corpus de six titres jeunesse. Amarande Henry, responsable régionale des formations Bafa / Bafd pour l’UFCV, précise : "Il s’agit avant tout d’utiliser le livre de jeunesse comme un réel support d’animation pour sensibiliser les enfants, leur donner l’envie de découvrir, de lire et de donner un avis critique. L’objectif, c’est également de redonner une place aux livres dans les structures de loisirs."
Pour cela, trois librairies de la région – Peiro-Caillaud à Saintes (17), Rêv’en pages à Limoges (87) et Les Jolis Mots à Vivonne (86) – disposant d’un rayon jeunesse ou spécialisées dans les productions jeunesse ont présélectionné différents titres adaptés aux enfants de 6 à 10 ans, avant de les soumettre à un petit groupe d’animateurs de l’UFCV pour arrêter le choix définitif des six livres en compétition. Échange de bon procédé : pour remercier les trois libraires de leur implication, les centres de loisirs s’adressent à eux pour commander les ouvrages. Cette opération est donc aussi une manière de soutenir les libraires indépendants du territoire, d’autant que les librairies partenaires changent à chaque édition.
Une thématique dans l’air du temps
Enthousiasmée par ce projet régional, Claire Hédin-Vignaud, libraire à Limoges, a aussi apprécié le choix thématique de cette année : "Tout sexe’plic m’a bien plu car cela correspond à des questions que les clients me posent de manière quotidienne. Ce choix thématique permet aussi de renforcer l’un des messages de Rêv’en pages qui s’efforce de sensibiliser sa clientèle aux stéréotypes de genre."
De leur côté, les animateurs et animatrices de l’UFCV, formés par l’association Livre passerelle, préparent leur travail de médiation à destination des enfants : lecture à voix haute, partage autour des livres et apprentissage de méthodologie de transmission sont au programme. Dans un second temps, ils créent des fiches d’ateliers et des fiches de temps de médiation permettant aux participants d’avoir des guides pratiques pour accompagner leurs lectures. Tous les albums et romans jeunesse de la sélection sont lus par les jeunes et leurs moniteurs pendant le temps dédié à la découverte et à l’échange, entre février à mai. En travaillant sur La Princesse qui n’aimait pas les princes, Comment devenir un pirate ?, Ma maman est bizarre, Julian est une sirène, Pourquoi les princesses devraient-elles toujours être tirées à quatre épingles ? et sur Le Parcours de Paulo, ce sont donc 150 enfants inscrits à T’as lu ? Ça t’a plu ? cette année qui auront été fortement sensibilisés à l’égalité femmes-hommes et aux stéréotypes de genre. ALCA précise : "Les thèmes, choisis en concertation par nos équipes et celles de l’UFCV, sont souvent rattachés à des sujets prégnants de l’actualité. Ils sont liés aux questionnements fréquents des enfants : Les sentiments, Le voyage, Histoires drôles, drôles d’histoires, Ma planète, Grandir ou encore Qu’est-ce que le bonheur sont autant de thématiques travaillées ces dernières années."
Concrètement, les enfants présents dans les centres de loisirs et accueils périscolaires engagés dans l’opération écoutent et lisent les six livres de la sélection. Ensuite, ils échangent sur les ouvrages lors d’ateliers menés par les animateurs, en mobilisant leur esprit critique et leur capacité à défendre leurs préférences, en argumentant de manière construite et individuelle.
Et les gagnants sont…
Pour désigner les lauréats des prix "Coup de cœur" et "Illustration", le jury, composé de réels experts en la matière puisqu’il est constitué d’environ 150 enfants de 6 à 10 ans, procède à un vote.
Cette année, le "Coup de cœur" a été décerné au Parcours de Paulo : la grande histoire d’un petit spermatozoïde de Nicholas Allan, aux éditions Kaléidoscope. Dans cet album, les enfants suivent l’histoire de Paulo, "un spermatozoïde qui vit à l’intérieur de M. Dupont. Il habite avec 300 millions d’autres spermatozoïdes, tous à l’intérieur de M. Dupont, à la même adresse." Y compris Rex, son ennemi juré.
D’emblée, le ton est donné : rigueur du propos et légèreté de ton accompagnent toute la lecture de cet album consacré aux grandes étapes de la reproduction (de la fécondation à la naissance). Mais revenons à Paulo : il est franchement nul en maths, mais excelle en natation. Est-ce que ce sera suffisant pour battre Rex et surtout pour remporter La Grande Course ?
Quant au prix de l’Illustration, il a récompensé Julian est une sirène de Jessica Love, aux éditions Pastel. L’album s’ouvre sur ce jour où le jeune Julian voit passer devant lui, subjugué, trois magnifiques sirènes. Il est dans le métro, accompagné de sa grand-mère, et ces trois femmes avec leurs robes ajustées se terminant par une sublime queue de poisson le font rêver : pourquoi ne pourrait-il pas leur ressembler ? À peine revenu à la maison, il affirme : "Mamita, moi aussi je suis une sirène" et en effet, dès qu’il se retrouve seul, il devient cette sirène : une coiffe végétale en guise de cheveux longs, un long rideau noué pour figurer la queue de poisson et le tour est joué ! Vraiment ? Non, l’incarnation n’est totale que quand Mamita lui offre un collier de perles et, surtout, lorsqu’elle l’escorte dans l’espace public pour rejoindre la Mermaid Parade de New-York… accompagnant ainsi la sirène que Julian est vraiment. Accessible dès 6 ans, cet album tendre et doux aux teintes chaudes est une ode joyeuse au bonheur d’être pleinement soi.
Remise du prix
C’est donc le 23 juin dernier que ces deux albums ont été récompensés lors d’une cérémonie de remise des prix parfaitement adaptée à l’âge des enfants : lors de cette grande fête, la majorité des participants ont pu se retrouver, échanger autour des ouvrages qu’ils ont lu cette année et participer à une dizaine d’activités, dont certaines ont été menées par des artistes-autrices. Camille Victorine et Anna Wanda, respectivement autrice et illustratrice de Ma maman est bizarre avaient fait le déplacement pour rencontrer les jeunes lors d’un atelier. Alice Brière-Haquet, autrice de La Princesse qui n’aimait pas les princes et Élise Courtois, pour la maison d’édition Talents Hauts, s’étaient, elles, rendues disponibles en visioconférence et assuraient des ateliers questions-réponses à distance. Et pour clore la journée de manière conviviale, un grand goûter était proposé.
Au vu du succès de cette manifestation et de l’enthousiasme qu’elle suscite chez les jeunes lecteurs, ALCA souhaite à présent se réorganiser pour déployer le prix T’as lu ? Ça t’a plu ? afin qu’il aille au-delà des seuls centres UFCV, que ce soit dans des structures publiques ou privées, et puisse toucher une plus large partie des enfants en dehors du temps scolaire. Alors que la lecture a été décrétée priorité nationale, on ne peut que souhaiter ardemment que ce déploiement régional soit couronné de succès !
Paulo est un petit spermatozoïde. Il vit à l'intérieur de monsieur Dupont avec 300 millions de camarades. Tous se préparent pour la grande course de natation qui se profile.
Prix Coup de coeur
Julian est une sirène de Love J. et Goyon S., Ed. Pastel – École des loisirs
Julian est avec Mamita, sa grand-mère. Leur métro s'arrête et des sirènes montent à bord. Julian adore les sirènes. "Moi aussi, je suis une sirène", dit-il. Une fois seul, il s'apprête, couronne sa tête de longues feuilles vertes qu'il orne de fleurs colorées, noue un long rideau crème à sa taille.
Prix de l’illustration préférée
Comment devenir un pirate ? d’Isaac Fitzgerald et Brigette Barrager, Ed. Kimane
Ah, les stéréotypes sexistes ont la dent dure… Mais moins que la tête de Manon ! Quand les garçons lui disent qu’elle ne peut pas être une pirate, elle est furieuse ! Et elle doute un petit peu d’elle aussi, même si elle a un sabre. Alors elle va voir celui qui a un bateau et plein de tatouages, histoire de savoir comment on devient pirate. Son grand-père, car c’est bien lui le navigateur, lui dresse la liste des compétences requises pour la fonction : courage, audace, humour, liberté, amour. Bingo, Manon coche toutes les cases ! Attention les gars, une pirate à l’abordage !
Ma maman est bizarre de Camille Victorine et Anna Wanda Gogusey, Ed. La ville brûle
Grandir avec une maman à qui on demande si elle une fille ou garçon (et qui ne répond pas), qui écoute du rock, a "des peintures sur tout le corps", revendique dans les manifs et vit seule, c’est "bizarre" selon les copains-copines de la jeune narratrice. Mais pour la petite, c’est sa vie, sa norme joyeuse, émancipatrice et follement libre. Il y aurait donc plusieurs façons d’être mère ? L’autrice n’érige pas son personnage en modèle, elle présente simplement sa manière d’être parent comme une voie possible. Les tranches de vie présentées dans cet album à l’italienne aux tons pastel nous plongent dans un quotidien guidé par l’amour, l’amitié, l’art, le respect de sa (ses) propre(s) identité(s), de celle(s) des autres et la fidélité à soi-même. Et c’est déjà pas mal comme projet éducatif…
Ce court roman illustré, destiné aux lecteurs et lectrices débutant.es, s’ouvre – presque – comme un conte classique : "Il était une fois, dans un beau et paisible royaume, une jolie princesse qui réussit un jour une mayonnaise." Il est évidemment grand temps de la marier. La princesse voit donc défiler toutes sortes de princes : ceux du coin, puis ceux d’un peu plus loin et enfin ceux d’encore plus loin. Mais comme elle n’en veut aucun, le roi, en désespoir de cause, appelle la fée afin qu’elle vienne l’aider. Coup de foudre immédiat ! À vous de deviner comment cette histoire s’achèvera.
C’est à peu près la question que les enfants vont poser, sans jamais dévier, à la bibliothécaire qui s’apprête à leur raconter l’histoire d’une princesse. Quelque peu révoltés par le fonctionnement d’un royaume, le statut de roi, l’injustice sociale et l’importance accordée à l’apparence de la princesse, les gamins vont faire évoluer la narration dans une direction inattendue, moderne, festive et joyeuse, loin des clichés éculés de la princesse belle, discrète et passive.