Tangente, rassembler pour mieux diffuser
Composée de cinq producteurs de films documentaires, l’association Tangente Distribution vise à améliorer la visibilité de leur catalogue grâce à une mutualisation des réseaux et une réflexion sur les moyens de diffusion novateurs.
"L’essentiel de la vie d’un film documentaire se passe en festival, spécialisé ou généraliste. Certains trouvent également leur place à la télévision, mais c’est déjà plus rare. C’était une année particulière et difficile." Malgré le contexte sanitaire, Aziza Kaddour, chargée de distribution au sein de l’association Tangente, ne se veut pas pour autant défaitiste. "La pandémie a remis plein de choses en question par rapport à la place de la culture et nous avons dû trouver de nouvelles solutions, comme ont pu le faire Cinemanifeste ou Ubuntu Culture."
Basée à Montreuil, l’association a été créée lors du premier confinement afin de réfléchir à des méthodes de distribution alternatives par cinq sociétés de production de films documentaires : La Société des Apaches (Auvergne Rhône-Alpes), Les Films du Bilboquet (Hauts-de-France), Les Films de l’œil sauvage (Île-de-France), Cinéphage Productions et Films de Force Majeure (Sud). Une volonté de mutualisation amorcée avant la pandémie de Covid-19 mais catalysée par son embourbement culturel. "L’objectif est de permettre à ces films documentaires de trouver leur public et de leur rendre leur rôle de réflexion, de facilitation du débat. Nous n’essayons pas de nous substituer à une entreprise de distribution mais plutôt d’utiliser des réseaux communs et de travailler avec les acteurs citoyens du territoire (salles indépendantes, médiathèques…)", déclare Aziza Kaddour.
Pour ce faire, Tangente pallie la fermeture des salles obscures et des festivals en investissant les rares espaces de diffusion encore autorisés. Ainsi, l’éducation à l’image, du collège à l’université, s’est muée en enjeu capital pour l'association. D’autant plus que le format documentaire coïncide parfaitement avec la volonté instructive de l’école : "Nous essayons de faire rentrer les films dans les cycles scolaires, notamment en sciences humaines. L’association Image des villes a travaillé à l’élaboration de brochures explicatives autour de certains films. Ce sont des outils précieux dont les enseignants peuvent se saisir pour approfondir les œuvres."
François-Pierre Clavel, co-président de la PEÑA (Produire en Nouvelle-Aquitaine) et co-gérant de la société de production Kidam, salue ce retour sur les bancs de l’école du film documentaire : "On n’apprend pas assez aux enfants à lire et à analyser des images. Les documentaires sont un support inégalé pour la discussion, le développement de la pensée critique et la compréhension de la grammaire cinématographique".
Écran total
À défaut de pouvoir montrer directement les films de son catalogue à des publics extrascolaires, Tangente s’est nécessairement orientée vers l’exploitation de contenus dématérialisés. Surfant sur la croissance de 50% à 70% des plateformes de streaming (statistiques Franceinfo), le collectif s’est lancé dans un long processus de digitalisation. En raison de sa récente création, une poignée des vingt documentaires de son catalogue sont pour l’instant disponibles sur Vimeo, à l’achat ou à location. "Nous essayons de sortir les films qui résonnent avec l’actualité. Nous avons notamment mis en ligne Brise-Lames (Hélène Robert, Jérémy Perrin) qui fait écho au triste anniversaire du tsunami qui a provoqué l’explosion de la centrale nucléaire de Fukushima", explique Aziza Kaddour.
Même si Tangente prend en main la publication de son catalogue, l’association montreuilloise ne se veut pas "protectionniste" dans sa stratégie de distribution. "Nous n’avons pas l’ambition de devenir une plateforme de VOD sur abonnement comme Tënk [plateforme par abonnement mensuel spécialisée dans le documentaire, ndlr]. Certains de nos films sont sur UniversCiné et nous essayons de faire apparaitre nos films sur le plus de plateformes possibles", commente-t-elle. Les plateformes de streaming faisant la part belle au cinéma indépendant se sont d’ailleurs multipliées. Que ce soit pour célébrer le cinéma classique (Mubi) ou la série B et l’horreur (Shadowz), ces bibliothèques numériques reflètent l’essor exponentiel de l’exigence cinéphile en ligne. François-Pierre Clavel regrette tout de même la catégorisation systématique employée par la majorité de ces plateformes : "Les cinémas d’art et essai comme l’Utopia à Bordeaux font un travail de sélection et de diversité qui manque aujourd’hui au paysage cinématographique. Lorsqu’on va dans un cinéma les yeux fermés, on se donne la possibilité d’être surpris", insiste-il, avant d’ajouter : "Mais les plateformes restent une richesse complémentaire au cinéma en salle."
"Tangente s’est lancée dans une activité d’édition pour satisfaire cette clientèle, globalement friande de cinéma documentaire."
En dépit de cette orientation vers le streaming et l’achat dématérialisé, le modèle de Tangente conserve une certaine attache aux supports physiques. Les éditeurs de DVD et Blu-ray français ont vu leur chiffre d’affaires fondre de moitié depuis 2010 (statistiques Le Point) mais peuvent se reposer sur une niche d’invétérés du disque laser. À l’aide d’un packaging soigné et de bonus contextuels (livrets explicatifs, entretiens de réalisateurs…), Tangente s’est lancée dans une activité d’édition pour satisfaire cette clientèle, globalement friande de cinéma documentaire. En marge de ce travail, l’association réfléchit à de nouvelles façons d’"incarner" les contenus dématérialisés. "Nous avons pour projet de créer des clés USB personnalisées pour la distribution de certains films."
Ramener la salle à la maison
Ces stratégies de distribution, aussi variées soient-elles, ne répondent pas à la mission interactive des salles obscures. La projection cinématographique, parfois accompagnée d’échanges entre un artiste et son public, tire sa popularité du partage et du brassage (culturel, social…) qu’elle promeut. Certains tentent de répliquer ce lien brisé par les restrictions sanitaires en imitant l’expérience d’une séance traditionnelle. C’est le cas de La 25e Heure, salle de cinéma virtuelle proposant des visionnages géolocalisés à horaires fixes. Les diffusions sont ensuite suivies d’une discussion entre le public et des intervenants (artistes, journalistes…) par écrans interposés.
"Notre ambition est d’aller sur tous les territoires, en se rappelant qu’il n’y a pas des salles de cinéma partout."
"On a pu expérimenter des choses qui permettent de maintenir un semblant de lien avec l’expérience de la séance de cinéma traditionnelle. Pour La Terre du milieu et La Dernière d’entre-elles, des séances ont eu lieu en partenariat avec La 25e Heure et ont été suivies d’une rencontre avec les réalisateurs. On réfléchit d’ailleurs à ces problématiques au-delà du contexte pandémique. Notre ambition est d’aller sur tous les territoires, en se rappelant qu’il n’y a pas des salles de cinéma partout. Nous essayons de réfléchir à l’utilisation de plateformes interactives, à l’instar de Twitch", précise Aziza Kaddour.
Les mesures sanitaires ont également poussé les distributeurs à rivaliser d’imagination pour revigorer la fibre sociale de la toile. Mathieu Robinet, gérant de la société de production/distribution Tandem, avait notamment misé sur le concept très américain du drive-in en début d’été 2020. Une initiative culturellement enrichissante qui n’aurait pas été possible sans les déconvenues de l’an passé.
"La pandémie a permis de se poser les bonnes questions, d’être inventif. Mais comme pour toute période de diète, il faut que ça cesse", clame François-Pierre Clavel, en précisant : "Au sein de la PEÑA, on a fait le choix de miser sur les productions, plus que sur d’autres stratégies de distribution. En espérant que les choses reviennent à la normale et que l’on puisse enfin revoir les films dans l’endroit qui leur confère une résonnance unique, indispensable : la salle de cinéma."