Tentative d’épuisement des voies
Depuis de nombreuses années, Sandra Moussempès explore la façon poétique de faire sens et de débrouiller le brouillard. Avec ce nouveau texte, Cinéma de l'affect, que publient les éditions de l'Attente, elle questionne de nouvelles tessitures qui font l’étrange son du monde.
Un nouveau texte de Sandra Moussempès paraît aux éditions de l’Attente. C’est Cinéma de l’affect (Boucles de voix off pour film fantôme). Réjouissons-nous de cette singularité supplémentaire qui engramme l’œuvre de la poétesse. Ce texte – comment dire à la fois, en un seul mot, en un seul bloc, qu’il est prose, poésie, tentation de l’essai, expérimentation d’un genre biographique, autobiographique, historique, musical, qu’il est aussi fantasmagorie, féerie, magie ? – s’avance d’abord un peu masqué. Ceux qui n’ont pas encore lu le moindre livre de Sandra Moussempès seront peut-être un peu désarçonnés. Comme les partitions de Mozart, ses textes aiment les départs en anacrouse. Ils se demanderont aussi quel est ce prodige à l’œuvre qui s’en va par les branches, comme on dit dans le Gers, dans certaines occasions de la raison supposée enfuie. Les autres applaudiront à ce subtil charivari des strates qui brouille les généalogies, l’explication du monde par le simple constat de la succession des couches de terres, de fossiles, de roches, de magma, de substrats, de gravats de toutes natures.
Du texte, émergent des voix – on sait Sandra Moussempès passionnée par elles – les voix, toutes les voix du réel, du spiritisme, d’un au-delà qui s’abouche toujours à cet étrange présent – présent mais im-présent – toutes ces voix dont on ignore la provenance – comme si elles surgissaient d’une spélongue, d’une gorge profonde, d’un trou de la personne au fond duquel, finalement, il n’y a personne, comme l’écrit Valère Novarina à moins que ce ne soit Lorand Gaspar.
"Du texte, émergent des voix – on sait Sandra Moussempès passionnée par elles – les voix, toutes les voix du réel, du spiritisme, d’un au-delà qui s’abouche toujours à cet étrange présent – présent mais im-présent – toutes ces voix dont on ignore la provenance."
Dans letexte de Sandra Moussempès comme Lacan disait qu’il y a lalangue - émerge bien sûr la voix de la cantatrice sicilienne Angelica Pandolfi. Elle fut l’ancêtre de l’auteur. Une tessiture particulière – celle nécessaire au bel canto, dans des tons assez graves que Sandra l’héritière du grain retrouve dans sa propre émission vocale (mais dans le fond cette particularité appartient à tout type de voix) - que la colonne d’air, les articulations, les modulations ont consacré à l’art lyrique. Toute voix est chant. Toute voix converse comme les airains de Dodone. Vient un vent, s’agitent les airains, naît une forme d’oracle.
De cette voix naît un nuage de questionnements qui croise l’univers du cinéma – on retrouve ici et là des parallélismes avec le monde de l’écrivain Pierre Cendors, mais ne demandez pas pourquoi ni comment, c’est ainsi – et, une fois encore, du spiritisme, lequel ambitionne de convoquer les esprits d’une façon que nous ignorons et qui fut très en vogue jadis. L’esprit de la diva Angelica traverse le temps grâce à un enregistrement de 1903 redécouvert grâce aux techniques contemporaines.
"Finalement de ce Cinéma de l’affect qui affecte d’être un cinéma, c’est-à-dire un mouvement des vies, même des vies mortes et anciennes, au fond toujours très vivantes, s’engage une ronde infinie qui éclaircit notre nuit."
C’est une forme de miracle et dans le fond, c’est cette grâce, cette forme inattendue que semble explorer livre après livre Sandra Moussempès, ancienne pensionnaire de la Villa Médicis, qui publie essentiellement son œuvre chez Flammarion et chez l’éditeur bordelais l’Attente dont on connaît le goût pour les expérimentations littéraires singulières. Cette forme inattendue, c’est peut-être tout simplement le façonnage poétique, cette manière de s’intéresser plus au nimbe qu’au saint, plus à l’orbe qu’à la main qui le tient. C’est cette enquête autour de la struction poétique. Ce désir demeuré désir de faire poésie étant entendu que pas plus les mots - même les plus justes, les plus adaptés – que les sons n’atteignent le soleil. Mais simplement l’idée que l’on se fait du soleil. Dans ce poien, ce faire intégral qu’elle ambitionne, peut-être Sandra Moussempès cherche-t-elle - comme Deleuze pour la pensée, quelle que soit la forme dans laquelle elle se développe, - à fouailler le flou dont nous sommes les fruits incertains, somnambuliques, ectoplasmiques. Et pour ce faire, à lutter contre le chaos, le hasard et l’infini. La terrifiante marche spectrale du monde. Cela passe par les petites aventures de la magie, des brouillards de l’amour, des boucles de voix blanches ou tellement timbrées, off, on, de l’humour aussi – le texte de Sandra n’en est pas exempt. Finalement de ce Cinéma de l’affect qui affecte d’être un cinéma, c’est-à-dire un mouvement des vies, même des vies mortes et anciennes, au fond toujours très vivantes, s’engage une ronde infinie qui éclaircit notre nuit. Et qui, à la façon du poème d’Emily Dickinson cité en exergue, réchauffe l’intime, cette vie du château intérieur bien plus glaçante que l’effroi de la rencontre avec le Fantôme extérieur.
Cinéma de l’affect (Boucles de voix off pour film fantôme), de Sandra Moussempès
Éditions de l’Attente
104 pages
13 euros
ISBN : 978-2-36242-085-6