"A Thousand Girls like me" : quand le cinéma s'engage pour les droits humains
Alors que s'ouvre à Bordeaux la Semaine des droits des femmes, destinée à prolonger la journée d'action nationale du 8 mars, sort sur les écrans le beau portrait d'une femme combattant pour obtenir justice. A Thousand Girls like me, soutenu par la Région Nouvelle-Aquitaine et accompagné par ALCA, relate le parcours de Khatera, victime d'inceste, qui décide de briser les tabous de la société traditionnelle afghane afin d'obtenir la condamnation de son violeur de père.
Poignant et édifiant, ce documentaire est né, entre autres, d'un coup de cœur. Celui de la société de production bordelaise Marmitafilms pour le travail de la réalisatrice Sahra Mani. Un coup de cœur qui a aussi à voir avec la ligne éditoriale de Marmitafilms, comme nous l'explique sa gérante, Martine Vidalenc.
Martine Vidalenc : Nicole Levigne, des Films du Tambour de Soie, m'a appelée un jour pour me parler de ce projet. Elle m'a dit qu'une réalisatrice, Sahra Mani, s'était engagée depuis un certain temps auprès de Khatera et la suivait au quotidien, dans sa bagarre juridique, sa volonté d'émancipation et de justice, et qu'un film était en train d'émerger de cette rencontre. Elle m'a alors expliqué qu'elles étaient toutes les deux à la recherche de partenaires pour mener à bien ce projet. Nicole savait combien nous étions sensibles aux problématiques des droits humains, à la manière dont l'individu trouve sa place dans le monde en se battant pour le rendre un peu plus juste. Je lui ai demandé un peu plus d'informations et elle m'a envoyé une demi-heure de rushes. Dès que je les ai vus, il m'a paru évident qu'il y avait là un film en devenir, quelque chose de très fort à accompagner et nous avons décidé de partir dans cette aventure ensemble.
Avec Nicole et Sahra, nous avons avancé étape par étape, en se demandant si le film avait la capacité d'aller au cinéma ou pas. Est-ce qu'il y avait assez de matière pour réaliser un long métrage documentaire ? Est-ce que cette histoire allait être concernante pour le plus grand nombre ? Sahra a filmé plusieurs années, seule à Kaboul, parfois avec un ingénieur du son. Elle a fait l'objet de beaucoup de menaces et n'a donc pas toujours tourné dans les meilleures conditions. Mais nous nous sommes rendus compte qu'en termes de matière et d'esthétique, il y avait une vraie ambition cinématographique. Au départ, il y a une histoire terrible, un personnage très fort ; Khatera dégage une sorte de beauté, de force qui porte le film et, au-delà de l'épreuve terrifiante qu'elle traverse, elle est extrêmement digne et parvient à faire passer un message universel.
A Thousand Girls like me sort en salles le 6 mars, soit deux jours avant la Journée Internationale des Droits des Femmes... J'imagine que ce n'est pas un hasard...
M.V. : Non, effectivement, ce n'est pas une coïncidence. D'abord c'est l'un des rares films sur la thématique des droits des femmes à sortir cette semaine-là, et pour un documentaire de ce type, c'est très important de pouvoir se raccrocher à un événement international fort, comme la Journée Internationale des Droits des Femmes. C'est une date importante qui agit comme un levier pour le film. On sait très bien qu'à cette date, on songe un peu plus aux droits des femmes… Il y a beaucoup de concurrence entre les films et ce projet est fragile : il avait besoin d'un cocon pour obtenir la plus grande résonance possible. Tout le mérite de cette programmation revient à notre distributrice Saïda Kasmi de BlueBird Distribution, une femme de cœur qui accomplit un travail de terrain d’une intelligence remarquable.
"Nous avons la chance de faire un beau métier et il prend davantage de sens encore lorsqu’il s’inscrit dans la défense des droits humains."
M.V. : Marmitafilms est une société qui existe depuis neuf ans. Nous produisons de l'animation, du documentaire et depuis peu, nous nous intéressons à la fiction. En documentaire, notre ligne éditoriale est en effet orientée sur les droits humains, mais aussi sur les thématiques d'Histoire et d'Art. C'est un engagement qui nous porte : produire un documentaire, c'est un geste culturel et politique. D'année en années, notre ligne éditoriale s'est affinée davantage. Nous sortons maintenant A Thousand Girls like me et dans quelques mois Le Delta de Bucarest, un film sur l'histoire de la Roumanie contemporaine, qui évoque notamment le combat des femmes incarcérées sous Ceausescu. Nous avons la chance de faire un beau métier et il prend davantage de sens encore lorsqu’il s’inscrit dans la défense des droits humains.
Qu'est-ce que peut le cinéma, en matière de défense des droits humains ?
M.V. : Il y a beaucoup à dire ! Nous vivons dans un monde surpeuplé d'images. Je crois que la qualité fondamentale du cinéma, c'est de proposer une construction créative qui permette d'alimenter un point de vue, de réfléchir et de se questionner. Nous avons une responsabilité vis-à-vis des images que nous montrons, des films que nous défendons, du discours que nous portons. Le cinéma a un rôle particulièrement fort à jouer sur notre manière de voir les choses. Un film, ça permet de se rassembler dans des salles, de discuter, de débattre et d'essayer de voir le monde différemment.
En faisant ce film, Khatera et Sahra ont voulu montrer que le monde pouvait changer, car c'était la première fois en Afghanistan qu'une femme entamait ce genre de procédures, qui plus est contre son propre père, et ça a fait jurisprudence : elles ont montré à toutes les autres femmes que c'était possible. Par ses films, Sahra essaye de changer son pays et d'aller vers la paix.
Comment ce type de cinéma très social trouve-t-il sa place dans la production régionale ?
M.V. : A Thousand Girls like me est passé devant un comité sélectif qui a décidé de l'aider pour ses qualités artistiques et cela nous a permis de financer une partie importante du processus de postproduction. La Région Nouvelle-Aquitaine, avec le concours de son agence culturelle ALCA, a montré depuis quelques années quelle terre de cinéma sans frontières elle était, en soutenant, entre autres, des films internationaux. Elle est au cœur d’un espace-monde qui porte haut les valeurs de la diversité culturelle. Elle est aussi un laboratoire intense de la création sous toutes ses formes. Elle a suscité un écosystème d’une grande richesse où, l’ensemble des métiers de la production cinématographique et audiovisuelle a pu se développer. Auteurs, réalisateurs, techniciens, producteurs, distributeurs… mais aussi des diffuseurs TV qui s’engagent vraiment en faveur des œuvres. C’est une chance que nous mesurons quotidiennement. Dans un monde frileux de toute part, nous avons une responsabilité commune des contenus et il est urgent de décloisonner nos mentalités pour travailler ensemble en faveur du plus grand nombre.