Toutes les vies de Kojin
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Toutes les vies de Kojin, soutenu par la Région Nouvelle-Aquitaine et accompagné par ALCA, est projeté au cinéma Utopia ce 12 février, jour de sa sortie en France. Un documentaire puissant sur la condition homosexuelle au Kurdistan signé Diako Yazdani, réalisateur Kurde iranien de 39 ans qui a fait de cette cause un combat personnel. Nous l’avons interrogé sur les raisons de cet engagement.
Vous avez étudié le cinéma pendant 4 ans à Téhéran et avez réalisé des courts métrages sous la direction d’Abbas Kiarostami. Qu’avez-vous appris à ses côtés ?
Diako Yazdani : J’ai eu de la chance car je suis arrivé dans cette école à un moment où Kiarostami voulait faire une pause dans sa carrière de cinéaste et enseigner. Il a supervisé mes quatre courts métrages. Il a éduqué et aiguisé mon regard. Mais c’était plus que mon professeur… J’aurais adoré pouvoir lui montrer un de mes films mais il est mort il y a trois ans. Si je pouvais retourner aujourd’hui dans mon pays, j’aimerais projeter mon film sur sa tombe pour lui rendre hommage mais ce n’est pas possible pour le moment.
Est-ce le fait d’être cinéaste qui vous a contraint à l’exil en 2011 ?
D.Y. : Depuis que je suis en France, je me demande pourquoi je n’ai pas quitté mon pays plus tôt. Je n’en pouvais plus de me censurer tout le temps, de ne pas pouvoir être moi-même. Je suis plus Kurde en France que dans mon propre pays.
Pourquoi avoir choisi la France pour demander le statut de réfugié politique ?
D.Y. : Je fais partie d’une génération qui vénère le cinéma français. Et toute sa mythologie : mai 68, la Nouvelle Vague, la Cinémathèque… au point que quand je suis arrivé à Paris, j’ai couru à la Cinémathèque à Bercy pour me recueillir dans ce temple de la cinéphilie. Même si elle a déménagé et qu’elle ne ressemble plus à ce qu’elle était dans les années 60 !
Qu’est-ce qui vous a décidé à faire un film sur l’homosexualité au Kurdistan ? Pourquoi cet engagement ?
D.Y. : Parce que j’ai un ami iranien homo qui a vécu l’enfer. Non seulement il a dû quitter son pays pour des raisons politiques mais il a en plus été rejeté par sa famille. Quand il m’a fait part de sa souffrance, je me suis senti très mal. J’ai longtemps été homophobe et d’une certaine façon, j’étais responsable de son calvaire. A germé alors en moi l’idée de faire un film sur la façon dont est perçue l’homosexualité au Kurdistan irakien qui prétend pourtant être un territoire émancipé.
Qu’est-ce qui vous a poussé vers le documentaire plutôt que vers la fiction pour traiter ce sujet ?
D.Y. : L’urgence. C’est plus rapide de prendre une caméra et un micro pour aller sonder la population et poser des questions que d’imaginer des situations fictives.
Pourquoi avez-vous eu envie d’intervenir personnellement dans votre film ?
D.Y. : Avant de critiquer ma famille et la société toute entière, je voulais faire mon autocritique. Peut-être que si un homophobe voit le film, ça le fera réfléchir en voyant qu’on peut évoluer…
Dans le film, il est plusieurs fois question de "la légende de Loth". Pouvez-vous nous en parler ?
D.Y. : Dans une sourate du Coran, il est question d’hommes qui "auraient" couché entre eux (Sodome et Gomorrhe dans la Bible). Loth était leur prophète et il a demandé à Dieu de les tuer. Les musulmans se sentent donc autorisés à rejeter les homosexuels. Certains imams ont tenté une autre lecture de cette histoire. Ce ne sont pas les homosexuels que Dieu aurait condamnés, mais les violeurs. Malheureusement, les imams progressistes ne sont pas très soutenus…
"Chez les religieux, dans cette région, il n’y a pas de voix progressiste sur la question des droits LGBT. Au pire, on les tue, au mieux, ils doivent s’exiler."
Pourquoi l’homosexualité est-elle si problématique pour les musulmans ?
D.Y. : Depuis 40-50 ans, on assiste à une ré-islamisation de la société irakienne, probablement à cause de la corruption des partis politiques laïques pendant la guerre. Quand j’étais enfant, la religion n’était pas aussi présente qu’elle ne l’est aujourd’hui. Ma grand-mère me disait que petite, elle ne savait même pas ce qu’était l’islam. Avec les réseaux sociaux, les islamistes ont infiltré les foyers et diffusé leur idéologie rétrograde pour contrôler la société. Et les mosquées se sont multipliées. Depuis 30 ans que le Kurdistan irakien existe, on y a construit 16 fois plus de mosquées que d’écoles ! Chez les religieux, dans cette région, il n’y a pas de voix progressiste sur la question des droits LGBT. Au pire, on les tue, au mieux, ils doivent s’exiler. L’islam a urgemment besoin d’être réformé.
Dans le film vous faites débattre quelques hommes sur l’homosexualité. Certains d’entre eux y sont très hostiles et semblent bien moins tolérants que vos parents qui ne la cautionnent pas mais qui sont pourtant bienveillants à l’égard de Kojin…
D.Y. : Cette scène a été difficile à tourner. Je voulais un échantillon "représentatif" de la jeunesse masculine. Des hommes religieux et patriarcaux et d’autres plus ouverts d’esprit. J’ai été obligé de leur mentir en leur faisant croire que Kojin était un acteur qui se préparait à jouer un homo… L’un d’entre eux avait un flingue dans sa poche, j’avais vraiment peur que ça dérape. Quant à mes parents, ils sont très croyants mais très humains. Et ils cherchent au moins à comprendre.
Les scènes avec l’imam sont surréalistes. Son discours est à la fois effrayant et totalement contradictoire…
D.Y. : Et pourtant il est extrêmement populaire auprès des Kurdes irakiens et iraniens ! Il y a toujours une foule immense de gens, toutes religions confondues, qui vient le voir pour être guérie. Je voulais une figure qui se ridiculise tout seul. Je n’ai pas eu à le forcer (rires) ! Mais il tient le discours que tiennent tous les imams radicaux, le même que Daesh en fait… C’est désespérant mais curieusement, dans mon film, c’est la seule personne qui prenne Kojin dans ses bras.
"C’est le tournage en tant que tel où je craignais toujours pour ma sécurité et celle de Kojin. J’ai même été emprisonné une semaine."
D’où viennent les rumeurs insensées que propage l’imam au sujet de la sexualité des Européens ?
D.Y. : Je crois qu’il regarde trop de films pornos ! (rires)
Un ex-amant de Kojin prétend que tous les hommes kurdes couchent entre eux parce qu’il est impossible d’avoir des relations sexuelles avec une femme avant le mariage…
D.Y. : Ce qu’il résume par : "Ici avant le mariage, soit on est enculé, soit on encule !" Ils sont trop frustrés. Il y a aussi énormément de viols. Pénétrer un mec, c’est montrer sa toute puissance alors ça passe. Mais être pénétré, c’est la honte. Un déshonneur total.
Êtes-vous toujours en contact avec Kojin ? Comment va-t-il ?
D.Y. : Oui. Il déprime dans son camp de réfugiés allemand. Il est toujours sans papiers. Il souffre toujours d’homophobie mais aussi de racisme. C’est la double peine. Il est très triste. Mais je ne sais pas quoi faire pour l’aider, je me sens démuni.
Avez-vous espoir que le film soit vu au Kurdistan et en Iran ?
D.Y. : J’adorerais franchement mais c’est trop risqué pour moi. J’aimerais bien le projeter au parlement du Kurdistan irakien auprès des dirigeants non religieux.
Comment avez-vous réussi à faire produire Toutes les vies de Kojin ?
D.Y. : Grâce à Raphaël. Mais c’est pas l’argent qui m’a posé le plus de problèmes. C’est le tournage en tant que tel où je craignais toujours pour ma sécurité et celle de Kojin. J’ai même été emprisonné une semaine. Pour protéger Kojin, je mentais sur le sujet du film, du coup, on m’a pris pour un espion à la solde du régime iranien !
Raphaël Pillosio, producteur du film (l'atelier documentaire)
Comment avez-vous rencontré Diako et comment vous a-t-il convaincu de produire son film ?
Raphaël Pillosio : J'ai rencontré Diako par des amis communs très peu de temps après son arrivée en France. À l'époque, il ne parlait pas français et la communication n'était pas facile. Mais il avait déjà des projets de films. J’ai d’abord produit Le 2e chemin, un court métrage de fiction qu’il a réalisé en Irak…
Parlez-nous de votre collaboration avec le réalisateur ?
R.P. : Je travaille avec Diako mais notre relation dépasse le cadre d'une relation strictement professionnelle. Il y a une grande confiance entre nous et nous travaillons déjà à un prochain film.
Comment s’est passé le processus de financement du film et comment la Région Nouvelle-Aquitaine est-elle arrivée sur le projet ?
R.P. : Nous avons dès le début pensé "cinéma". La Région Nouvelle Aquitaine est intervenue grâce au Fonds d’aide au développement puis pendant la phase de production. Ces soutiens ont été essentiels pour nous permettre de monter le film. Il a également été financé par l'Aide aux Cinémas du Monde (CNC/ministère des Affaires étrangères) destinée aux pays où produire un film est plus compliqué. La Région Île-de-France a participé au financement de la post-production.
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