Traces de mocassins
Le titre l’annonce, en six nouvelles dessinées que publient les éditions Moelle Graphik, Louis Rémillard est parti à la recherche des empreintes laissées par les autochtones dans les écrits des explorateurs du dix-septième siècle. Ces quelques traces marquantes nous font cheminer ou le plus souvent canoter en compagnie de Champlain, Outetoucos, Savignon et bien d’autres…
À l’automne 2017, la saison de canot et de pêche n’est pas terminée au Québec. Arraché à ses rivières, ses lacs et ses forêts, le Québécois Louis Rémillard prend l’avion pour venir en résidence croisée de création dans le cadre du partenariat entre l'Institut canadien de Québec et ALCA. Lors de ce séjour, il travaille sur une première nouvelle. Il s’agit de celle qui traite du personnage de Savignon, un jeune Huron qui se rappelle de son séjour en France en compagnie de Champlain. Là-bas, il a eu une vie facile, mais s’est étonné des coutumes inégalitaires de ce pays. De retour au Québec, Savignon réalise que la vie huronne lui donne plus de travail mais qu’elle le rend également plus heureux…
L’auteur québécois se trouve des points communs avec l’histoire du jeune Huron et décide de l’accompagner de cinq autres récits. Traces de mocassins prend forme. Il devient le deuxième tome d’une trilogie sur l’histoire autochtone du Québec au temps de Champlain. En lisant ce très bel album, on ressent très vite la nostalgie de l’auteur et sa tristesse de constater la transformation, voire la disparition de ces paysages du début du dix-septième siècle. Son illustration en noir et blanc raconte tout autant que sa plume la surannéité de ces histoires. Louis Rémillard parle d’un "sentiment de perte très fort", une course contre la montre qui se poursuit à "un rythme effréné". Pour lui, dessiner ces lieux disparus est une espère de thérapie. Le choix du noir et blanc est aussi lié à son parcours de bédéiste et à une de ses activités alimentaires. D’un côté, la couleur coûtait trop cher à l’impression pour l’auteur issu de l’autoédition. D’un autre côté, il a eu l’occasion de pratiquer la sérigraphie et la peinture pour essayer de gagner sa vie et a eu la bonne idée de fusionner ces techniques à son dessin, découvrant dans cette contrainte une perpétuelle recherche graphique. Le résultat est souvent saisissant.
"Louis Rémillard est un des rares créateurs de cette période encore actif aujourd’hui. Ce qui, dit-il avec humour, fait de lui une "espèce de curiosité archéologique" et paradoxalement un artiste émergent qui vient d’être découvert avec les albums Le Retour de l’Iroquois et Traces de mocassins."
Louis Rémillard se définit comme un autodidacte "pure laine" et se désigne lui-même comme un "vestige" du printemps de la bande-dessinée québécoise des années soixante-dix. Il est un des rares créateurs de cette période encore actif aujourd’hui. Ce qui, dit-il avec humour, fait de lui une "espèce de curiosité archéologique" et paradoxalement un artiste émergent qui vient d’être découvert avec les albums Le Retour de l’Iroquois et Traces de mocassins. Ces derniers ont d’ailleurs été nommés dans plusieurs prix BD du Québec.
Mais, au fait, pourquoi cette thématique récurrente des Premières Nations ? L’auteur s’intéresse depuis longtemps à l’histoire de son pays. Il dit avoir toujours eu l’impression de vivre en pays indien au Québec. Il rappelle que si les Européens ont pu s’installer en Amérique du Nord, c’est grâce aux autochtones et, ce qui le passionne, c’est de découvrir comment la vie s'y déroulait avant leur arrivée. Malheureusement, la culture autochtone était une culture de l’oralité et les seuls témoignages sont ceux qui ont été écrits pas les nouveaux arrivants qui les ont côtoyés (peu de colons savaient écrire, ce sont donc surtout les explorateurs et Jésuites qui ont écrit sur eux). C’est la raison pour laquelle la plupart des histoires racontées dans Traces de mocassins viennent des écrits des "premiers contacts" avec les Européens, comme ceux de Champlain…
Ainsi qu’en témoigne la bibliographie indiquée à la fin de son ouvrage, Louis Rémillard a beaucoup lu. Au fur et à mesure qu’il se documentait, il s’est étonné de la méconnaissance de ses pairs concernant l’histoire des Premières Nations. Le fait de réaliser que personne ou presque n’y connaissait rien l’a conforté dans son idée de créer des albums à la fois didactiques et divertissants. Noble intention, mais c’est pourtant ici que le bas peut blesser… En effet, depuis quelques années, les autochtones du Québec se réapproprient leur culture, leur langue et leur histoire. Ils ont le sentiment justifié qu’on leur a tout pris et peuvent se révolter à l’idée qu’on parle en leur nom ou qu’on raconte leur histoire à leur place. Louis Rémillard est tout à fait conscient de cette problématique, mais il considère qu’il fait "un travail de promotion culturelle plutôt que d’appropriation culturelle". Il sait bien que certains des principaux intéressés ne sont peut-être pas de son avis mais il avoue aussi que, pour le moment, il n’a eu aucun retour de leur part. En attendant, les livres se vendent, y compris à la librairie du village Huron, près de Québec…
On peut parfois avoir le sentiment que Louis Rémillard aurait voulu vivre comme les Premières Nations. Mais s'il admire leurs techniques de survie, leur savoir-faire ou leur société égalitariste, il ne les idéalise pas pour autant. À aucun moment son propos n’est manichéen. Il raconte les qualités et les défauts de chacun de ces peuples qui, avant leurs particularismes, sont simplement des hommes et des femmes. Néanmoins, ce qui touche l’auteur et son lecteur, c’est ce concept d’égalité présent chez les peuples d’Amérique du Nord. Pour étayer cette idée dans l’histoire de Savignon, Louis Rémillard s’est référé à l’ouvrage de Lahontan qui s’intitule Dialogues avec un sauvage. Évidemment, il ne s’agit par vraiment d’un "dialogue" mais d’une critique d’un Français à propos de la civilisation européenne quelques temps avant la Révolution française qui tentera de mettre à l’honneur de nouvelles manières de vivre ensemble à savoir Liberté, Égalité et Fraternité…
"L’auteur pratique le canotage depuis de nombreuses années, tant sur les rivières sportives qu’en canot-camping ou sur les lacs à la pêche et, comme Outetoucos, le héros de sa deuxième histoire, il connaît les dangers de cette pratique."
À la lecture de cet album, Traces de mocassins, tout autant que dans le premier tome, Le Retour de l’Iroquois, le lecteur est fasciné par les mises en parallèle que fait Louis Rémillard entre les paysages du passé et ceux du présent. Pour cela, l’auteur travaille avec de vieilles photos. Il retrouve les lieux intacts avant la construction de barrages sur les rivières ou précédant le passage de grandes routes. Bien sûr, il fait aussi fonctionner l’imagination. Ainsi, lorsqu’il se trouve dans un lieu bâti, il se figure toujours "comment il pouvait être à l’époque du pays indien". Le reste du temps, assoiffé de nature intacte, Louis recherche et arpente les lieux "non altérés par l’homme". Il avoue que cette entreprise est de plus en plus difficile. À chacune de ses sorties, il constate que les bois sont dévastés par l’industrie forestière avec des coupes à blanc (on peut lire sur ce sujet cet album muet, comme sidéré, devant les ravages de l’homme sur la forêt et qu’il a intitulé sobrement Voyage en zone d’exploitation). Le paradoxe, c’est que c’est grâce à ces chemins tracés par l’industrie forestière qu’il peut accéder au territoire pour y faire ses recherches graphiques. Le cas échéant, il devrait, comme ses héros Savignon ou Kamaka, construire un canot et emprunter la voie fluviale sur des distances qui nous semblent aujourd’hui impossibles à parcourir en autonomie. À la place de Kamaka, L’Évadée d’Onondagué, héroïne de la cinquième histoire de Traces de mocassins, qui échappe à une mort certaine auprès des Iroquois et s’enfuit pour trouver refuge chez les Français à Ville-Marie, nous serions morts mille fois ! Louis Rémillard en est conscient. Il s’amuse parfois à appliquer des techniques amérindiennes, mais il ne chasse pas et ne sait pêcher qu’avec une canne à pêche moderne. L’auteur pratique le canotage depuis de nombreuses années, tant sur les rivières sportives qu’en canot-camping ou sur les lacs à la pêche et, comme Outetoucos, le héros de sa deuxième histoire, il connaît les dangers de cette pratique. Ce récit raconte une chasse au héron qui tourne mal par orgueil et excès de confiance en soi. Cette leçon philosophique m’a d’ailleurs fait penser à cette superbe nouvelle de Jack London qui s’intitule Construire un feu.
À l’écouter parler de son travail, on comprend vite que Louis Rémillard est un passionné et un perfectionniste. Il a besoin de beaucoup de temps pour venir à bout de ses bandes dessinées. Il travaille depuis un an sur le tome 3 de cette trilogie consacrée aux autochtones mais avoue qu’il est encore loin de l’avoir terminé. Pour le moment, la création de Routes de troc est sur pause, faute de soutien financier pour le finaliser et afin de prendre du recul pour l’évaluer. Entre-temps, un autre projet est venu s’insérer dans son agenda et va lui demander beaucoup de travail : une bande-dessinée sur les filles du Roy, figures historiques du Québec et mères de la nation, qui fêteront leur 400ème anniversaire en 2023, date à laquelle le livre devrait sortir.
Quand il ne dessine pas, Louis Rémillard s’enfonce le plus possible dans la forêt pour aller s’y ressourcer. Il s’y sent mieux qu’en centre-ville et peut-être a-t-il constaté, à l’instar du prêtre de sa sixième histoire, La Tente tremblante, que les prières fonctionnent mieux dans les profondeurs du bois ? Pour ma part, je ne suis pas chaman mais je ferais bien un Kushapatshikan pour pouvoir lire le tome 3 de cette excellente trilogie de bandes dessinées consacrée à l’histoire méconnue des peuples autochtones du Québec.
Traces de mocassins, de Louis Rémillard
Moelle Graphik
Novembre 2020
116 pages
ISBN : 978-2-923701-66-0
(Photo : Alban Gilbert)