Une pour tous, tous pour une
L’année 2020 restera dans l’histoire comme une année catastrophique, qui nous aura apporté son lot de déboires sous tous les aspects de la vie sociale et culturelle. Le monde littéraire, malheureusement pas en reste, a subi une nécessaire mutation, créé des freins ou des attentes, mais nous avons quand même eu le plaisir de faire des découvertes ou des redécouvertes, comme ce fut le cas pour Pascale Moisset. À travers son dernier roman, Une pour tous, tous pour une, nous avons retrouvé son coup de plume pétillant. Ce petit bijou, destiné à un public plus jeune, est la troisième œuvre de l’auteure et la deuxième publiée aux éditions Les petits moustaches.
Cette histoire de plus de cent pages met en évidence les convictions féministes de l’auteure. C’est d’ailleurs ce qui l’a motivé à l’écrire : "J’avais envie d’écrire une histoire dans laquelle j’aborde les questions d’égalité femmes-hommes, sachant que les femmes qui parviennent à inventer leurs vies me fascinent. Surtout lorsqu'elles ne sont ni filles de, ni belles, ni riches," m’a d’ailleurs confié l’auteure avec qui j’ai eu l’occasion d’échanger autour du texte.
Une pour tous, tous pour une commence avec Margot lorsqu’elle quitte ses fonctions de ministre des Sports pour continuer son chemin en suivant ces lignes qui l’ont toujours guidée :
Être qui je suis
tracer ma route
coûte que coûte
Cette démission, vécue comme une rupture par le personnage, lui fait mettre le cap vers la partie la plus orientale du Pays basque, pour aller se réfugier dans le col d’Erroïmendy et ainsi laisser libre cours à ses larmes en toute discrétion. Mais contre toute attente, elle rencontre dans le cayolar1 qu’elle avait repéré pour son séjour d’évasion temporaire une bergère du nom d’Argia en estive avec ses huit cent quarante-deux brebis. Une amitié les lie très rapidement. Le séjour se déroule au-delà des espérances de Margot, beaucoup plus agréable et plus enrichissant, et lui fournit l’occasion de découvrir chez Argia, qu’elle considère désormais comme une sœur d’âme, des qualités telles que son charisme, son énergie, son hypersensibilité et son hyperesthésie. Elle devine vite que ces qualités trouveraient aisément leur place dans la Team Raffut qui, dans sa mission de sauver l’équipe de France de rugby, a fait de Margot la première femme entraîneure d’une sélection masculine.
"Je ne connais pas de bergère, dit Pascale Moisset, et je n’ai personne dans mes connaissances qui m’ait inspirée Argia. Je crois que c’est l’histoire qui l'a créée […] Argia a surgi avec sa personnalité, son franc-parler et son hyperesthésie… Elle vient forcément de quelque part, mais pas d’une personne en particulier."
En effet, depuis plus d’une centaine d’années d’existence, les joueurs du XV de France n’ont eu que des entraîneurs traditionnellement masculins, une réalité qui s’applique aussi à de nombreuses autres disciplines sportives, incluant des sélections ou des clubs sportifs féminins. "Je voulais mettre le doigt sur les obstacles insidieux au partage du pouvoir entre les femmes et les hommes", m’a indiqué Pascale Moisset à propos du monde du sport en général. Elle poursuit : "Et l’univers du rugby qui ne m’est pas étranger et cadrait parfaitement avec le Pays basque s’est précisé dans la foulée. Il m’offrait aussi un terrain de jeu inspirant par sa culture prétendument virile."
L’auteure a découvert le Pays basque tout juste avant l’écriture de ce roman, ce qui explique que nous découvrons presque en même temps qu’elle ces lieux étonnants, ces activités pastorales qui mettent en vedette Argia. Le cadre bucolique permet de fournir en parallèle de nombreuses informations claires, riches et précises à propos de l’univers du rugby, ce qui explique que l’on peut se retrouver très facilement au milieu de la verdure des montagnes basques, en totale admiration du paysage ou dans une discussion très animée sur l’équipe de France de rugby.
Pour construire son histoire, l’auteure a effectué de nombreuses recherches sur le monde des bergers mais, sans surprise, n'a pas trouvé de bergère à part une éleveuse de brebis. Elle s’est aussi intéressée au monde de la botanique, aidée par une experte avec qui elle a correspondu. Bien que familière avec le rugby, elle a aussi consulté de nombreux documents et documentaires concernant notamment l’histoire du rugby féminin. Margot pourrait lui ressembler sous certains traits, mais en ce qui a trait à Argia, c’est au contraire le personnage, issu de son imagination, qui s’est imposé à elle : "Je ne connais pas de bergère, dit Pascale Moisset, et je n’ai personne dans mes connaissances qui m’ait inspirée Argia. Je crois que c’est l’histoire qui l'a créée […] Argia a surgi avec sa personnalité, son franc-parler et son hyperesthésie… Elle vient forcément de quelque part, mais pas d’une personne en particulier."
"Nul besoin de connaître le Pays basque ou le monde du rugby, Pascale Moisset nous amène dans un livre destiné aux jeunes à une histoire qui aussi bien toucher les adultes."
Une pour tous, tous pour une s’adresse autant aux jeunes qu’aux adultes qui savent garder une place dans leur cœur pour la fraîcheur de la vie, la nature et les merveilleuses complicités qui peuvent mener à des amitiés indéfectibles comme à des luttes pour l’égalité entre femmes et hommes. Nul besoin de connaître le Pays basque ou le monde du rugby, Pascale Moisset nous amène dans un livre destiné aux jeunes à une histoire qui peut aussi bien toucher les adultes. L’auteure manie les mots et les jeux de mots qui parfois défilent en cascade comme l’eau cristalline qui se fraie un chemin des fraîches cimes jusqu’aux abreuvoirs des brebis.
L’amitié de Margot et Argia est un chant d’espoir pour des femmes qui veulent prendre la place qui leur revient, dans tous les aspects égalitaires des vies sociales et sportives mais sans jamais tomber dans un dogmatisme mal avisé qui pourrait constituer un frein au déroulement de l’histoire. Les jeunes filles et jeunes garçons sauront le décoder et y adhérer alors même qu’ils vivront en direct cette amitié hors du commun dans un pays bucolique à découvrir et dans l’univers fascinant du rugby féminin, sport assujetti à de nombreux préjugés que l’auteure sait décoder et déboulonner un à un.
1Cayolar (ou coyalar) est un terme employé en Soule (province), mais aussi en Haut-Béarn. Il désigne initialement un abri de berger en pierre, assez sommaire. (source : Wikipedia)