"Vertige et Ferveur", un nouveau recueil du poète Jean-Marc Fournier
Alors que le monde contemporain nous donne le vertige par la façon dont il malmène l’Agapè, la poésie nous murmure ici que l’Éros et les conditions de notre Être-au-monde exigent de nous plus de méditation et de ferveur et, en même temps, beaucoup plus de respect du symbolique et de la pensée critique dont il est indissociable.
Selon la quatrième de couverture de l’ouvrage, "Jean-Marc Fournier continue d’approfondir sa démarche" initiée et mise en œuvre par ses publications de 2016 et 2017, Un peu de parole dans un âge de fer et Un éclat de nuit sauve la lumière, parus aussi aux Éditions des Vanneaux. "Approfondir", soit, à ceci près que l’expression poétique a ses ressources propres, avec des intentions et des effets intrinsèques sensiblement différents de ce que peuvent apporter la théorisation et la pratique clinique relevant de la nébuleuse que l’on a parfois qualifiée de "psychologie des profondeurs".
Une section du début du livre intitulée "La femme, l’homme, l’ombre de Dieu" comporte un "Préambule" où l’auteur commente ses fréquentations de l’œuvre de C. G. Jung et, gage pondéré d’ouverture, convient d’une possible lecture religieuse, "au sens le plus large" et "paradoxalement", de ses poèmes sur les thèmes de "la partie féminine de Dieu" et "de La colère de Dieu absent ou caché, etc." Il s’agit là en fait d’un éclaircissement concernant le vaste propos poétique de l’ensemble du recueil sur la féminité et la masculinité. Ces notions sont envisageables sous les aspects de la complémentarité, d’oppositions irréductibles, d’apports à des processus d’humanisation en perpétuel recommencement tout au long de l’histoire des sociétés humaines et de leurs rencontres. La poétique de Jean-Marc Fournier les envisage de plus dans le contexte du monde naturel en tant que matrice universelle des cultures, des cosmologies et des religions, des créations symboliques et des œuvres de pensée qui concourent tant bien que mal à rendre possible et maintenir de génération en génération un Être-au-monde. Du fait de la finitude biologique de chacun, cela ne saurait aller sans une dimension fondamentalement tragique, d’autant que le sentiment de la Beauté et le jouïr ont précisément à voir avec notre conscience de la finitude. C’est pourquoi sans doute, même si la parole poétique confine dans certaines compositions de ce Vertige et ferveur au monologue, ou du moins au dialogue à mi-voix, à la fois raisonné et sublimé, entre soi et soi, elle n’en est pas moins entièrement tournée vers ce qui relie le plus réellement l’un et l’autre. Elle appréhende sans cesse l’articulation du temps cyclique et du temps linéaire qui constituent l’universelle toile de fond de la condition commune. Mieux, elle s’appesantit avec un souci constant d’en bien comprendre les vertus et les enjeux, par de subtiles variations prosodiques, sur le thème des contrastes propres au passage du jour à la nuit et de la nuit au jour en tant qu’expérience humaine à longueur de temps vécue et revécue.
A fortiori si l’on a à l’esprit la teneur des recueils précédents, les qualités les plus remarquables de cet édifice poétique résident certainement dans l’art du mot et de la syntaxe par lesquels il confère la polysémie requise au message qu’il nous livre à propos de nous-mêmes, des failles et des chances d’éclaircies de nos mondes présents et à venir. Sur les plans de la prosodie et des formes de métaphorisation, se réalise là une unification du sens à proportion de la complexité et de l’étonnante diversité des images et traits de langue. Prose ou vers libres, la composition y reprend à son compte le traitement des figures propre à la tradition poétique et à ce qu’il en est advenu depuis les métamorphoses opérées par l’école symboliste et le surréalisme, puis par les démarches ultérieures, que ce soient celles d’avant-gardes revendiquées ou d’autres courants non moins rigoureux dans leurs exigences de sens. L’audace formelle de Jean-Marc Fournier, dont il nous fait discrètement partager l’efficience au fil de sa pensée, est en même temps l’outil et le fruit d’une patiente maturation. Celle-ci s’attache à traduire des inquiétudes, des espoirs et des révoltes, et à amplifier, en les justifiant par l’énoncé intégré d’une poétique, la portée de ses thèmes comme l’écho implicite de ses formulations.
Vertige et ferveur, de Jean-Marc Fournier
Précédé de Le Miroir et la lampe,
préface de Serge Canadas
Éditions des Vanneaux
160 pages, 14 x 21 cm
Juin 2018
ISBN : 978-2-37129-127-0
André Paillaugue a fait des études de Lettres à Bordeaux et Paris. Il a été critique littéraire et critique d’art pour Spirit, Junkpage, les Cahiers de Critique de Poésie du Cipm. Il a pubilé aux Éditions de l’Attente et en revue : Ouste, Le Festin, Le Bord de l’Eau, les Cahiers Art & Science, L’intranquille, Espace(s)-CNES.