"Vincent doit mourir", le "je" persécuté
Si l’affiche exhibe un homme traqué fuyant une scène de chaos général, Vincent doit mourir se révèle être un film sentimental et psychologique. Il porte les attributs du film de genre, avec son lot d’horreurs et de séquences pré-apocalyptiques, mais le sous-texte invite chacune et chacun à prendre confiance en soi et à se risquer à rencontrer les gens, en les regardant dans les yeux.
Vincent est un quarantenaire menant une petite vie tranquille de créatif dans une agence de province. Fraîchement séparé de sa compagne, avec laquelle il partage les mêmes bureaux, Vincent tente d’échapper à sa solitude par des rencontres glanées sur des applis. Un matin, alors que la réunion d’équipe va commencer, Vincent découvre l’existence d’un jeune stagiaire et tente une blague : "Bah, il est où mon café, Théo ?". Personne ne rit, tout le monde est gêné. Il s’excuse et laisse le malaise s’installer en lui. Un peu plus tard, le jeune Théo vient violemment s’en prendre à lui, lui assénant des coups d’ordinateur sur le visage.
Tout part de là, d’une mauvaise blague qui le fait se sentir médiocre, méchant, et lui donne envie de disparaitre. Peut-être même qu’il mériterait d’être tué...
C’est la paranoïa et le mal-être de Vincent qui vont être mis en scène dans ce premier long métrage, profond et audacieux. On peut y voir la matérialisation concrète des états dépressifs que peut subir une personne à certains moments de son existence, en l’occurrence après une rupture. Les attaques contre Vincent se multiplient et ce dernier finit par prendre ses dispositions. Il s’éloigne de la ville comme de la société, pour ne s’y confronter qu’en cas d’extrême nécessité. La névrose de persécution qu’expérimente le héros prend des proportions évidemment cinématographiques, donc démesurées. Il subit ce sentiment commun, que tout le monde le regarde de travers, que littéralement, le monde entier lui en veut d’exister. Or, cela tient bel et bien de la science-fiction, du film d’horreur, du monde du fantasme, mais pas de la réalité. C’est bien pour ça que Stephan Castang grossit le trait et s’amuse à planter un décor de plus en plus apocalyptique et désolé. Il veut exprimer visuellement le désarroi de son protagoniste.
Déranger pour mieux montrer
Ici, tout est moche. Son visage : tuméfié ; les paysages, constitués d’aires d’autoroutes, de fosses septiques à ciel ouvert, de chaînes de restaurants sans âmes, ou même, l’uniforme de Vimala Pons. Le réalisateur tente de nous raconter la dépression, de l’exhiber dans toute sa laideur. Le personnage, qui n’est plus capable de voir la beauté, se coupe de son travail, de ses amis, débranche ses réseaux sociaux. Il génère un tel malaise ou une telle violence chez les gens que ceux-ci l’écartent et le tiennent pour responsable au lieu de chercher à le comprendre. Il part loin de tout, se barricade, se protège, prend un chien. Il s’arme. Et puis la machine qui commence à être bien huilée s’enraye. Il rencontre Margaux, la serveuse paumée d’un diner miteux chez qui il vient se ravitailler. Elle le regarde, dans les yeux. Pas de violence, mais du désir naît de cette interaction.
L’amour qui chasse la déprime, voilà encore une étape de vie que le réalisateur va nous narrer à sa manière romerienne1. Le romantisme surgit dans la noirceur, mais attention, pas de fleurs bleues ici. Les deux personnages, épris, vont connaître des pulsions meurtrières l’un envers l’autre, mais l’envie d’être ensemble sera plus forte. Ils vont tâcher de s’adapter à ces sautes d’humeur létales et d'organiser une manière d’être à deux, en dépit des démons de chacun. Les interprètes du couple, Karim Leklou et Vimala Pons, parviennent à plonger le public dans un roadtrip angoissant mais comique, inventant ensemble le style du thriller de l’absurde. Attachants, inquiétants, ils désarçonnent et touchent les spectateurs mal menés par trop d’images écœurantes et de situations injustes. Leur passion arrive à temps, pour Vincent, pour Margaux, et pour la salle. En somme, Vincent doit mourir est une comédie romantique cachée dans un film d’horreur.
1. George A. Romero, La Nuit des morts-vivants, 1968
Vincent doit mourir de Stéphan Castang
Fiction / Production : Bobi Lux, Capricci Films, GapBusters, Arte / France, Belgique / Sortie le 15 novembre 2023 / 90 min / VF
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