Nouvelles voix d'auteurs : aides à l’écriture et auteurs émergents
Dans ce troisième volet des nouvelles voix d’auteurs, nous avons interrogé des créateurs qualifiés tour à tour de jeunes auteurs, d’auteurs émergents, voire de débutants, c’est-à-dire des caractérisations très floues, voire péjoratives, et ne cernant en rien les réalités multiples de ces artistes écrivant un premier film ou un premier livre. Quel est l’accès aux bourses d’écriture lorsque l’on débute ? Comment montrer son travail, le défendre et le valoriser par rapport à des auteurs confirmés ?
Si la crise actuelle a notamment révélé au grand public les difficultés des auteurs du livre et du cinéma à vivre de leur travail, le problème est en vérité ancien. Il est courant depuis plusieurs années de parler d’industries culturelles ou d’économie du livre et du cinéma, mais force est de constater qu’il existe aussi une économie de l’auteur, souvent méconnue et très fragile.
Le quotidien d’un auteur n’a en effet plus rien à voir avec l’idéal romantique d’un créateur solitaire. De nos jours, écrire un livre ou un film demande en amont des compétences spécifiques — d’entrepreneur, de gestionnaire ou de communicant — pour se donner les moyens matériels de créer. Cette nécessaire évolution se voit d’autant plus renforcée que la rapide mutation des marchés culturels — fragilisation de l’économie du livre, bouleversement de la diffusion audiovisuelle — s’accélère. Et c’était sans compter la crise sanitaire qui sévit aujourd’hui.
À l’heure où ALCA s’est saisie de ce constat et développe des dispositifs spécifiques visant à accompagner les auteurs — bourses pour le livre, aides à l’écriture pour le cinéma, formations ou aide juridique, etc. —, il semble éclairant de recueillir l’avis sur cette mutation des auteurs ayant obtenu une aide financière à l’écriture de leurs projets cinéma ou littérature.
Entretien croisé avec Aurélie Champagne (écrivaine) et Maylis Dartigue (autrice-réalisatrice), à lire avec les témoignages sonores de Camille Auburtin (autrice-réalisatrice) et Thomas Verhille (illustrateur et bédéiste).
Cela vous gêne-t-il d’être qualifiées d’autrices débutantes ou émergentes ?
Maylis Dartigue : Je n’y vois pas d’inconvénient puisque, en ce qui me concerne, cela correspond à la réalité. Même si je travaillais auparavant dans le milieu en tant qu’assistante de production, c’est bien mon premier documentaire, à la fois dans une version film et une version télévision, auquel je travaille actuellement. Je sors tout juste d’un passage par une formation professionnelle et je découvre encore chaque jour des choses sur le métier. Écrire un projet, le montrer à des producteurs, le présenter à des commissions de financement et maintenant le tourner : tout est une première fois pour moi — y compris des problématiques un peu moins visibles. Car l’écriture d’un film n’est pas seulement un acte de création artistique, on découvre vite aussi que cela nécessite la maîtrise d’une autre écriture quand on en vient à rédiger des dossiers de financement. Et c’est probablement sur cette partie du travail que je me suis sentie le plus démunie. Il a fallu que j’apprenne tous les codes de ces démarches par moi-même, ce n’est pas une chose à laquelle j’avais été formée.
"La différence qui se joue, et qui est somme toute assez artificielle, se tient entre la pratique de l’écriture et le statut d’artiste-auteur."
Aurélie Champagne : Pour ma part, même si la dénomination ne me gêne pas, je m’imagine plus inscrite dans un processus de reconversion. La vie d’écrivaine dans laquelle je débute ces dernières années fait suite à une première existence de journaliste et de documentariste radio, où l’écriture avait donc déjà une part importante, même si elle était de nature un peu différente. Je crois que l’écriture est un processus sédimentaire, qui s’inscrit dans le temps et diffuse de bien des façons. D’anciens reportages, réalisés il y a plusieurs années, peuvent par exemple venir irriguer mes projets de livres. Et je continue en plus à écrire dans d’autres champs que la littérature, notamment des scénarios pour l’audiovisuel. Donc si je débute effectivement dans le roman, j’ai l’impression d’avoir toujours écrit, depuis l’enfance même. La différence qui se joue, et qui est somme toute assez artificielle, se tient entre la pratique de l’écriture et le statut d’artiste-auteur. Nous sommes environ 260 000 je crois en France, mais derrière ce statut, se cachent de multiples réalités qu’il est difficile de faire entrer dans des cases, notamment celle de l’auteur débutant.
Avez-vous rencontré, pour vos premières demandes d’aides à l’écriture, des difficultés à repérer les dispositifs existants ?
M.D. : J’ai certes affronté quelques obstacles, mais en partageant avec d’autres auteurs passés par là avant moi, je n’ai pas trouvé cela si compliqué. Il est vrai aussi que d’avoir travaillé dans la production documentaire m’a permis de bénéficier des conseils de nombreux professionnels. Et puis il y a de nos jours des structures bien établies, comme le bureau des auteurs d’ALCA, qui sont très vite identifiables et nous guident dans les méandres de ces parcours de financement.
J’ai quand même remarqué qu’il y avait parfois pour certains auteurs débutants un gouffre à franchir entre l’envie de faire un premier film et le fait de commencer à toucher du doigt la compréhension du secteur, de son fonctionnement et de ses différents acteurs. J’ai eu la chance pendant plusieurs années de côtoyer tous les corps de métiers du film documentaire (producteur, auteur, réalisateur, monteurs, techniciens, etc.), j’ai beaucoup appris grâce à eux et cette connaissance de la chaîne de fabrication d’un film a été une aide inestimable au moment de bâtir mon propre projet ou de chercher des financements adaptés.
A.C. : Dans le champ de la littérature, les aides sont peut-être plus diverses, moins repérables que dans l’audiovisuel où le chemin est assez balisé, mais de nombreux auteurs partagent sur les réseaux leur veille quant aux différents dispositifs. C’était la première fois que je sollicitais une aide à l’écriture pour un livre, et j’avoue avoir trouvé cette demande finalement facile à bâtir, d’une forme d’expression assez libre. Pour rejoindre ce que disait tout à l’heure Maylis, j’ai par le passé déposé des demandes d’aide à l’écriture pour des scénarios et j’ai l’impression de m’être alors confrontée à quelque chose de complexe, imprégné d’un formalisme rigide, et surtout truffé d’attendus plus ou moins explicites. J’avais trouvé à l’époque l’exercice très compliqué et avait beaucoup échangé avec des camarades de la profession pour éviter les écueils.
Mais je crois que le plus compliqué dans ces demandes d’aide à l’écriture est surtout le paradoxe auquel l’auteur est forcément confronté. On y attend un certain recul pour présenter notre travail en cours, alors que celui-ci en est bien souvent à ses balbutiements. On nous demande des informations précises, développées, alors que justement on cherche par cette aide les moyens matériels pour s’offrir le temps nécessaire d’y réfléchir.
Est-ce que les auteurs de la nouvelle génération ne sont pas devenus, un peu par obligation, avant tout des professionnels du dossier d’aide à l’écriture ? Est-ce que vous auriez notamment mené vos projets respectifs sans ces soutiens financiers ?
A.C. : Cette aide va me financer deux ou trois mois de travail, elle sécurise un certain périmètre consacré entièrement à l’écriture, c’est un fait et un confort notable, mais son obtention n’a jamais conditionné ma volonté d’écrire ce livre, loin de là. Je l’aurais évidemment fait sans. De toute façon, la littérature n’est pas ce qui me fait vivre aujourd’hui. Je compte avant tout pour assurer mon quotidien sur mon activité de scénariste et les cours de journalisme que je donne à côté.
M.D. : Je serais moi aussi allée au bout quoiqu’il advienne. Je n’avais d’ailleurs pas pensé au départ m’inscrire pour ce projet à forte dimension personnelle dans un cadre de production classique. Cela m’aurait simplement pris beaucoup plus de temps et, en avançant du coup sur fonds propres, j’aurais été contrainte de renoncer à certaines collaborations, comme la monteuse avec laquelle je suis très heureuse de travailler en ce moment. La démarche aurait été beaucoup plus artisanale en somme.
Avez trouvé dans vos recherches que les dispositifs d’aide à l’écriture étaient moins nombreux ou plus difficiles d’accès pour les auteurs en début de carrière ?
A.C. : J’aurais beaucoup de mal à répondre de façon pertinente à cette question. Si je m’informe, si je suis les possibilités offertes, je ne suis pas dans un mode de fonctionnement où je cours après les aides. Depuis longtemps, je veille toujours à travailler sur plusieurs projets à la fois, de façon à ce que leur temporalité et les revenus associés s’enchaînent au mieux. Et quand je peux, ou que je dois car je n’ai plus des ressources suffisantes, je donne un peu plus de cours. J’ai le sentiment d’œuvrer d’une façon artisanale. L’aide a été un plus, c’est évident, mais je deviendrais folle si je devais passer mon temps à rédiger des dossiers de demandes de financement. Ça prend énormément de temps, et c’est un pari. Du coup, quand j’ai un mois de libre devant moi, que dois-je préférer ? Utiliser ce temps pour produire un long dossier qui ne me sera pas véritablement utile en termes créatifs et peut bien souvent n’aboutir à rien, ou alors me lancer directement dans mon texte ? C’est un arbitrage qui revient souvent dans mon approche de l’écriture.
"Même si ce n’est jamais explicité, dans tous les dispositifs de soutien que j’ai rencontrés, on ressent qu’une attention particulière est portée au premier film."
M.D. : Contrairement à Aurélie, j’ai été contrainte à un moment pour avancer vraiment — acquérir du matériel, programmer des repérages — de rechercher des financements conséquents, d’abord par des fonds privés. J’ai pris ce temps-là, parce qu’il était nécessaire pour mon projet et parce que j’y ai vu une opportunité d’apprendre quelque chose. J’ai alors pu constater en me lançant dans cette jungle qu’il existait en vérité d’assez nombreux dispositifs en faveur des auteurs émergents... sous réserve toutefois d’émerger avant trente ans !
J’ai par exemple été repérée par la Fondation de France, dont le soutien m’a été précieux à plusieurs niveaux. J’ai pu ainsi bénéficier de nouveaux moyens financiers, mais cela m’a aussi apporté une certaine crédibilité pour les étapes suivantes de mon projet. Parce que pour faire un film, on ne cesse de demander des aides : à l’écriture, au développement, à la production, etc. Demander des aides, c’est inhérent au métier que j’ai choisi en décidant de faire ce film. Et puis, même si ce n’est jamais explicité, dans tous les dispositifs de soutien que j’ai rencontrés, on ressent qu’une attention particulière est portée au premier film. À tel point d’ailleurs que l’on peut se demander si le plus difficile n’est pas de débuter, mais plutôt ce qui vient après. Émerger, c’est une chose, mais ensuite ? Comment construit-on un métier, une œuvre ? C’est probablement là la vraie question et le vrai début de l’histoire...