Coopération et émotions : retour sur la première rencontre régionale d'éducation aux images en Nouvelle-Aquitaine
Les trois structures constitutives du pôle d'éducation aux images néo-aquitain, ALCA Nouvelle-Aquitaine, Les Yeux Verts et la FRMJC Nouvelle-Aquitaine, se sont retrouvées le 6 juillet dernier dans le cadre d'une première rencontre organisée à l'auditorium de l'agence au sein de la MÉCA, à Bordeaux. L'événement était l'occasion de présenter le fonctionnement de ce nouveau pôle, son site officiel, Imagi'na, ainsi qu'une plateforme pédagogique portée par le Bureau d’accueil des tournages du Lot-et-Garonne (47). L'après-midi était quant à lui consacré à la question des émotions au cinéma : une présentation proposée par Léo Souillés-Debats, maître de conférences, a servi d'introduction à une table ronde animée par le chercheur spécialiste notamment de l’éducation aux images.
Les participants – exploitants, médiateurs, enseignants ou encore artistes intervenants –, ont été accueillis par les mots d'ouverture de Patrick Volpilhac, directeur général d’ALCA, se félicitant de ce premier rendez-vous et notant "une offre structurée et organisée" sur le terrain de l'éducation artistique et culturelle du côté du cinéma ainsi que du livre. Elisabeth Douzille, adjointe au DGA, directrice de la culture et du patrimoine par intérim à la Région, pôle Éducation et citoyenneté, a salué "cette première manifestation publique et cette démarche vertueuse d'association entre trois structures" tandis que Yves Le Pannerer, conseiller pour le cinéma, l'audiovisuel et le numérique pour la direction régionale des affaires culturelles (Drac), a tenu à souligner qu'"il est précieux d'avoir ces temps pour échanger et valoriser ces pratiques".
Chaque structure s'est ensuite présentée afin que puissent être identifiés "les référents qui accompagneront les porteurs de projets1". Les objectifs et les moyens associés sont clairs : il s'agit, comme ils l'ont expliqué, "d'éduquer les jeunes générations dans leur rapport à l'image" avec "des croisements, des échanges" dans une logique de "démocratie" grâce à la "mise en réseau des structures et des professionnels". Cela tout en faisant en sorte que "chaque structure garde ses spécificités et modalités", comme l'a indiqué peu de temps après Mélanie Millet, chargée de mission éducation à l’image, lors d'un rappel des rapports entretenus entre les pôles d'éducation aux images et le CNC pour lequel elle travaille.
Deux sites Internet ont ensuite été présentés. Tout d'abord Imagi'na, site officiel du pôle nouvellement créé ayant pour but de "rassembler les informations et les ressources", comme l'actualité de l'éducation aux images néo-aquitaine, les films d'ateliers issus de projets, une carte en ligne référençant les actions menées et les cinémas partenaires sur le territoire, un lexique destiné à "palier certains questionnements" ou encore un formulaire de contact afin de rediriger les utilisateurs vers les interlocuteurs adéquats. "Tout retour est apprécié" afin que le site soit "le plus dense et adapté possible", comme l'a expliqué Virginie Mespoulet avant de céder la parole à Hervé Bonnet, directeur du BAT47, venu présenter Comett, une plateforme "complémentaire à Imagi'na" prochainement accessible qui hébergera des courts métrages, "des pépites accueillies" en tournage dans le Lot-et-Garonne "difficiles à montrer" faute d’espace dédié. Elle a la particularité et la force, comme en a témoigné l'enthousiasme de l'audience, de "détailler la pensée d'un réalisateur sur sa totalité" en proposant, en plus notamment d'analyses filmiques et d'une cartographie des tournages, des documents propres à la conception de chacune des œuvres diffusées, de la note d'intention à la feuille de service en passant par le scénario.
"Comment reçoit-on les émotions en tant que jeunes spectateurs ? Comment contribuent-elles à leur épanouissement et à leur construction ? Qu’est-ce que l’expérience collective de la salle de cinéma y change ?"
L'après-midi a commencé par une présentation des problématiques et des enjeux propres aux questions des émotions et du plaisir au cinéma. Animée par Léo Souillés-Debats, cette introduction a permis de poser les bases2 théoriques, notamment historiques, sociologiques et culturelles, qui ont nourri la table ronde ayant débuté à son issue. Ont participé la comédienne et réalisatrice Laetitia Spigarelli, Renaud Fély, réalisateur contribuant régulièrement à des ateliers auprès de publics jeunes, Cerise Jouinot, responsable cinéma de la Cité internationale de la bande dessinée et de l’image ainsi que Virginie Courrèges, enseignante et correspondante départementale éducation artistique et culturelle pour le second degré en Gironde (33). La diversité des expériences et des parcours a aidé à répondre aux quelques questions suggérées avant la prise de parole du conférencier : "Comment reçoit-on les émotions en tant que jeunes spectateurs ? Comment contribuent-elles à leur épanouissement et à leur construction ? Qu’est-ce que l’expérience collective de la salle de cinéma y change ?"
L'introduction s'est ouverte sur quelques remarques, parmi elles l'importance de la salle "en tant que lieu idéal pour découvrir un film" et le rôle du septième art, "média vecteur d'émotions" dont il a rappelé l'actualité la plus récente qui est celle de son exploitation à des fins commerciales grâce notamment à la reconnaissance faciale : "un nouveau cap est passé, le cinéma peut être quantifié". D'autres constats ont émané à travers la diffusion d'une archive de l'Ina, un extrait d'une émission consacrée à la cinéphilie des jeunes3, qui a cristallisé l’ambiguïté de la légitimité des émotions qu'il a interrogée tout au long de sa présentation, de même que leur dimension contextuelle. "En fonction du cadre, on se sent plus ou moins libre d'exprimer des émotions" qui peuvent être perçues comme plus "légitimes que d'autres" ; "les questions de 1962 restent d'actualité" comme il l'a prouvé en commentant un article récent analysant la perception, par des jeunes, du dispositif Lycéens et apprentis au cinéma3. La projection du court métrage Cadavres exquis de Valérie Mréjen, dans lequel des enfants reviennent sur des films qu'ils ont vus, a permis de faire émerger la problématique générationnelle et ses implications comme le décalage des goûts. "La cinéphilie est une schizophrénie", a-t-il conclu après avoir dédié la fin de sa présentation aux liens entre raison et émotions.
"Quelle est la plus grande émotion que vous ayez observée ?" Les participants de la table ronde, venus rejoindre le maître de conférences, ont fait part de leur souvenir respectif allant d'un sentiment de choc quand des collégiens "ont rigolé devant Elephant" de Gus van Sant, pour la comédienne, à la joie intense "d'entendre rire, rire" des enfants lors d'une projection de La Ruée vers l'or organisée après les différents confinements, pour Cerise Jouinot, en passant par un étonnement agréable face à l'intensité de discussions, impliquant des jeunes, à l'issue d'une projection pour la professeure et l'artiste intervenant. La pluralité des réponses a abouti à des échanges concernant l'efficacité du cadre éducatif dans l'émergence des émotions ; "peu favorable" en raison de la difficulté "de faire confiance aux adultes" selon Virginie Courrèges, il l'est également pour Laetitia Spigarelli et Renaud Fély qui ont souligné une impression, chez les élèves, qui a à voir "avec la honte" mais également le rapport "au conformisme et à l'indépendance" que suppose l'espace social qu'est la classe.
La réception des films a également été interrogée. La professeure s'est souvenu d'élèves "qui ont détesté La Mort aux trousses" mais qui ont adoré des œuvres de Chaplin que les orateurs reconnaissent comme une valeur sûre. Toutefois, le rejet du film d'Alfred Hitchcock a interpellé : la responsable cinéma a souligné le besoin de "développer l'esprit critique" et de justifier les raisons de ce dégoût, le réalisateur, lui, a insisté sur la nécessité de ne "pas imposer un point de vue" tandis que le chercheur a demandé si "les émotions doivent être un critère d'évaluation" pertinent au même titre que la "technique, le montage, l'esthétique". Les discussions ont doucement continué vers la place des plateformes, auxquelles "réfléchit l'éducation nationale" comme l'a confié Virginie Courrèges, et la parole du public féminin avant de s'orienter vers les différentes modalités de réception et d'appréciation des films. La journée, riche en informations et apprentissages, ainsi que le débat se sont conclus sur une définition du but final de l'éducation aux images énoncée par Laetitia Spigarelli : "à la fois éduquer et faire que les chevaux restent sauvages".
1La FRMJC Nouvelle-Aquitaine avec Marc Loubaud, président, Anita Madavane, directrice, Damien Virgitti, coordinateur Passeurs d’images, ensuite Les Yeux Verts, avec Ingrid Krpan, directrice du centre culturel de Brive-la-Gaillarde (19) dont dépend la structure, et Valérie Mocydlarz, médiatrice cinéma en charge d’actions de pôle d’éducation aux images sur le territoire de l'ancienne région Limousin. Indisponibles, Olivier Gouéry, qui en est le responsable, ainsi qu’Olivier Bonenfant, coordinateur Passeurs d’images, ont eux aussi été présentés avant que ne prenne la parole le pôle éducation aux images d'ALCA composé de Sébastien Gouverneur, chargé de mission en temps scolaire, Émilie Escourido, en charge des projets hors temps scolaire, Anna Delvert, assistante EAI et diffusion ainsi que Virginie Mespoulet, responsable du pôle régional.
2Voir le PDF diffusé durant l’intervention en annexe.
3Legon, T. (2014). Malentendus et désaccords sur le plaisir cinématographique : La réception de Lycéens et apprentis au cinéma par les jeunes rhônalpins. Agora débats/jeunesses, 66, 47-60. https://doi.org/10.3917/agora.066.0047