Bulles interactives
La librairie bordelaise Krazy Kat a reçu récemment le Grand prix Livres Hebdo des librairies dans la catégorie animation. Cette récompense vient saluer notamment les Dédikatz, des rencontres ludiques avec des auteurs de BD qui participent à la vie culturelle locale. Une réussite qui dépasse les frontières régionales.
Festives, conviviales, familiales… les Dédikatz sont tout cela à la fois ! Leur créateur, Matthieu Saint-Denis, est le directeur de la librairie Krazy Kat à Bordeaux. S’inspirant des quiz, le but du jeu est de deviner des thèmes à partir d’indices et de dessins réalisés en direct par un auteur de BD : un lieu célèbre, un personnage littéraire, un film culte, un événement historique, etc. Dissimulé à la vue du public, le croquis apparaît petit à petit sur grand écran grâce à une caméra. Chaque spectateur note sur un carton numéroté la réponse qu’il pense être la bonne et la remet à Matthieu. En fin de séance, le premier qui a vu juste repart avec le dessin original signé de l’auteur. C’est beaucoup plus interactif qu’une dédicace classique ! Lorsqu’il a imaginé ce spectacle ludique en 2018, Matthieu l’a déposé à l’Inpi avec le nom, le logo, les règles, etc. Inventeur du concept, il en est aussi l’animateur, s’amusant avec le public comme sur la scène d’un théâtre. Pour répondre aux demandes de plus en plus nombreuses, il a mis au point un kit qui permet d’organiser soi-même sa Dédikatz dans sa librairie ou sa médiathèque.
Passeur de culture
Tombé dans la BD tout petit, Matthieu Saint-Denis a d’abord eu un parcours professionnel dans le jeu vidéo, puis il a créé une start-up d’impression 3D, avant de revenir à sa passion d’origine et de racheter la librairie Krazy Kat en 2018. Située dans le centre de Bordeaux, celle-ci occupe 300 m2 sur deux niveaux, possède un stock de 30 000 références et emploie cinq salariés. Rattachée au groupement d’indépendants Canal BD, Krazy Kat présente un chiffre d’affaires en belle progression. Les clients peuvent prendre un café sur place, grignoter un morceau ou boire un verre. Le lieu est chaleureux et les animations contribuent à cette bonne santé. Généraliste et spécialisée en même temps, la librairie invite toute l’année près de 80 auteurs dans ses murs et sur les salons professionnels. Ce chiffre a beaucoup diminué pendant le Covid mais depuis la rentrée les activités repartent de plus belle ! La librairie organise des expositions, accueille des clubs de lecture, participe à des événements comme le récent festival Gribouillis. Depuis le départ, Matthieu Saint-Denis a toujours voulu multiplier les occasions de rencontres avec le public. "Un libraire n’est pas un commerçant comme les autres. C’est un passeur de culture et les deux piliers d’une librairie sont le conseil et l’animation. Chez Krazy Kat, nous voulons aussi défendre la bande dessinée et soutenir les nombreux auteurs bordelais."
Des rencontres tous publics
Préparées en amont avec chaque dessinateur, les Dédikatz reflètent aussi ses goûts, ses envies, tantôt pop culture, tantôt plus littéraires… Parmi la trentaine de sessions déjà organisées à la librairie, on peut citer entre autres celles avec Alfred, Richard Guérineau, Régis Lejonc, Jérôme Lereculey, Laureline Mattiussi ou Guillaume Trouillard. "Généralement, les auteurs sont ravis, ils s’amusent et gagnent un peu d’argent", commente Matthieu. La différence avec une dédicace classique tient beaucoup à cette complicité qui s’établit avec le public, animateur et dessinateur ménageant le suspens ! Richard Guérineau, auteur bordelais publié chez Delcourt, apprécie l’exercice : "C’est une autre manière de dessiner. On a plus de temps, il y a cette interaction avec les spectateurs… Au moment des pauses, je discute avec eux, tous ne me connaissent pas, et ceux qui lisent déjà mes albums me découvrent sous une autre facette." Matthieu Saint-Denis tient à cet esprit de découverte et à ce gameplay qu’il a mis en place dans les Dédikatz, qui rejoignent son parcours professionnel dans l’univers du jeu. Chaque session est aussi préparée en fonction des spectateurs : jeune public, familles, amateurs avertis ou simples curieux qui accompagnent un ou une amie le temps d’une soirée. Et puis il y a le côté magique du dessin. Les traits qui apparaissent sur la feuille blanche, la mise en page d’un personnage, le choix d’un détail, l’aquarelle qui rehausse une silhouette… Il paraît que certains spectateurs viennent autant pour regarder les dessins que pour jouer !
Sortir la librairie de son image
Les Dédikatz suscitent un intérêt grandissant auprès d’autres professionnels du livre. La librairie Mollat a été l’une des premières à inviter le jeu. Plusieurs médiathèques de la métropole bordelaise ou de Gironde ont également programmé des Dédikatz : à l’occasion d’un événement particulier, comme la Nuit des Bibliothèques, dans le cadre d’une saison thématique (les robots à Mérignac en 2022), ou pour enrichir leur offre et renforcer les liens avec le public. Grâce au kit mis en place par Matthieu Saint-Denis, complété d’une petite formation au téléphone, l’animation peut être déléguée à une autre personne. "La jauge idéale est une vingtaine de participants mais il nous est arrivé d’en accueillir beaucoup plus", précise Matthieu. Les Dédikatz s’exportent désormais en dehors de la Nouvelle-Aquitaine : à Toulouse, à Châteaudun, dans l’Eure-et-Loir, à Sarrant, dans le Gers, bientôt à Lille. À Sarrant, la projection a eu lieu sur la place du village ! "C’est aussi une manière de sortir la librairie de son image habituelle", observe Matthieu Saint-Denis. Ce travail d’animation à l’année, qui comprend également la promotion des livres et la participation à des salons, représente un investissement humain important. Mais c’est aussi l’une des clés de la réussite. "Matthieu a su faire de la librairie un lieu de vie autour de la culture, où les gens viennent pour un moment festif", commente Alain Ayroles, scénariste récompensé au festival d’Angoulême* et amateur des Dédikatz. Les sourires des spectateurs quand ils repartent avec leur dessin en sont une belle illustration !
*Prix des Libraires pour Les Indes fourbes, co-signé avec le dessinateur Juanjo Guarnido chez Delcourt.
(Photo : Nico Pulcrano)