Essor des adaptations au cinéma : une chance pour le retour à la lecture
Procédé classique, l’adaptation de textes à l’écran semble connaître ces dernières années un boom significatif. En attestent des alliances nouvelles entre les filières du livre et du cinéma, conscientes de la nécessité de mieux se connaître. Les histoires circulent, prennent des formes variées et ont pour effet vertueux de ramener, quand elles sont bien racontées, le public au commencement, c’est-à-dire, au texte.
L’adaptation du best-seller d’Alexandre Dumas Le Conte de Monte Cristo, sorti en salles à l’été 2024, comptabilise quasiment 9,5 millions d’entrées. Un chiffre qui dénote alors que les cinémas tirent la sonnette d’alarme sur une fréquentation en baisse constante depuis la Covid et l’essor toujours plus concurrentiel des plateformes de streaming. Mais avec un personnage comme Edmond Dantès, planté par un Pierre Niney au sommet de sa gloire, le succès s’est propagé jusqu’en librairies. Gallimard, en charge du texte, affirme avoir vu ses ventes multipliées par dix en seulement un mois grâce à la sortie du film. L’histoire imaginée par Dumas, vieille de presque deux siècles, continue ainsi d’imprégner les imaginaires et surtout, d’être lue. Et si, au lieu de considérer les adaptations au cinéma comme un truc de fainéant qui ne voudrait pas ouvrir un livre, on les considérait comme les meilleurs incitatrices à la découverte ou la redécouverte de la lecture ?
Le 1er décembre 2025 étaient restitués les travaux des États généraux de la lecture pour la jeunesse. L’enjeu d’inciter les jeunes à ne pas abandonner l’objet livre et de les inviter en librairies ou en bibliothèques apparaît comme crucial, bien qu’ardu. Les écrans prennent le pas sur les livres ? Qu’à cela ne tienne. Mettons des livres à l’écran. Dans ces quelques mots tient toute la philosophie de la SCELF, Société Civile des Éditeurs de Langue Française, à l’initiative du dispositif Shoot the book !. La structure, créée en 1960 et qui regroupe désormais plus de 400 éditeurs, aide depuis une quinzaine d’années à la mise en réseaux entre les professionnels du livre et du cinéma, pour que les œuvres opèrent le passage du texte à l’image dans les meilleures conditions, et le plus souvent possible.
"Je ne parlerais pas forcément d’un boom de l’adaptation, nuance Valérie Barthez, Directrice générale de la SCELF, mais plutôt d’une plus grande mise en lumière. Par exemple, le film Chien 51 (sorti en octobre 2025, ndlr), a organisé sa promo médias avec la présence de l’auteur, Laurent Gaudé. L’adaptation est devenue, dans certains cas, un argument marketing fort, alors qu’il y a dix ans, le procédé était généralement passé sous silence, souligne l’experte en droits d’auteurs. Cela fait 15 ans que la SCELF a fait le constat du manque de relai entre les éditeurs et les réalisateurs/producteurs. Le premier Shoot the book ! s’est tenu à Cannes et a vite été déployé sur d’autres événements professionnels incontournables comme Séries mania, le Fipadoc ou encore le Salon du livre et de la presse jeunesse de Montreuil. Parce qu’il existe tant d’histoires, et autant de possibilités de les tordre ou de les transformer en d’autres formats, genres ou esthétiques !" s’enthousiasme Valérie Barthez.
La SCELF nous apprend que sur dix options posées sur un texte, une seule sera levée et transformée en œuvre audiovisuelle (film, série, animation…). Pour les neuf restantes, les raisons sont diverses : le manque de budget arrive en tête de liste, mais il y a aussi les changements d’avis, les désengagements, les engorgements de projets… Le temps de la création audiovisuelle est long, ce qui favorise les péripéties.
Retour d’expérience
La maison Finitude a connu l’immense chamboulement d’une adaptation à succès. Tout d’abord, c’est un texte qui la propulse au-devant de la scène littéraire : En attendant Bojangles d’Olivier Bourdeaut. Publié en 2016 et vendu à 330 000 exemplaires, (plus les 500 000 en Poche), le roman entre dans la famille des best-sellers. Son adaptation au cinéma en 2021 avec un casting de stars grand public, le duo Romain Duris - Virginie Efira, provoque un regain des ventes. "On peut attester de deux pics de ventes, confirme l’éditrice de Finitude Emmanuelle Boizet. Un pic après la sortie en salles, et un second suite à la première diffusion télé." Outre l’aspect chiffré de l’adaptation avec ses multiples temporalités, c’est une aventure inédite qui s’est imposée à la maison d’édition bordelaise.
"On a été approchés par plein de gens, relate l’éditrice. Des réalisateurs, des producteurs, des acteurs… Il a fallu choisir et savoir qui était sérieux. On n’avait aucune expérience en la matière alors on s’est tourné vers une agente. Elle a demandé à tous les candidats de venir avec un projet construit. 17 récoltés au total, tous très différents. La décision de privilégier le film populaire que proposait le réalisateur Régis Roinsard a été prise conjointement avec l’auteur. C’était la première fois pour Finitude, mais pas la dernière ! Stella ou l’Amérique de Joseph Incardona fait l’objet d’une adaptation en ce moment-même. On en est au stade du scénario mais on a déjà le trio scénariste/réalisateur/producteur", révèle Emmanuelle Boizet.
Si Finitude est désormais rompue à l’exercice, la maison a dû apprendre sur le tas et se doter d’un accompagnement spécifique. Bien qu’elle conteste le terme de boom de l’adaptation, la SCELF s’apprête à lancer un programme de formations à destination des éditeurs entièrement dédiée à cette thématique. Comment repérer un texte au fort potentiel d’adaptation dans son catalogue de manuscrits ? Comment entrer en contact avec les bons interlocuteurs ? Comment bien négocier les contrats de cession de droits ? C’est tout un éventail de questions et de compétences auxquelles les professionnels de l’édition doivent pouvoir répondre, dans un contexte concurrentiel mais en plein essor. La SCELF n’a pas entrepris ce vaste chantier de formation de manière isolée. S’alliant à la Fill (la Fédération interrégionale du livre et de la lecture) et avec le soutien du Ministère de la Culture, elle touche ainsi tous les centres régionaux ou agences du livre, afin de proposer ce programme de formations au plus grand nombre de maisons d’édition, membres de la SCELF ou non, sur l’entièreté du territoire.
De la réciprocité
Les artistes sont pourvoyeurs d’histoires et se les transmettent. Leur rencontre ne nécessite d’autres intermédiaires que leurs sensibilités respectives. Monte Cristo était évoqué plus haut, mais on pourrait aussi mentionner Merteuil, nouvelle série événement de la plateforme HBO, qui emprunte à Choderlos de Laclos sa protagoniste La Marquise de Merteuil, née sous sa plume à la fin du 18ème siècle. Il y a fort à parier que certains spectateurs auront la curiosité d’aller découvrir les personnages originels des Liaisons dangereuses dans le texte. Le rôle des diffuseurs entre ici dans la danse. En miroir du duo auteur du livre / auteur du film se distingue celui du libraire (ou bibliothécaire) / diffuseur(s). C’est dans cet esprit de collaboration et de réciprocité souhaitée que s’est noué en 2024 le partenariat entre les entités régionales LINA et CINA. La première incarne les Librairies indépendantes de Nouvelle-Aquitaine, la seconde les Cinémas indépendants de la même région. "Lorsqu’on repère une adaptation, on développe un kit de communication déclinable dans les salles de cinéma et dans les librairies, explique Justine Ducos, responsable diffusion de CINA. On édite conjointement des marque-pages, des affiches, des cartons… On les envoie aux librairies et aux salles."
"On souhaite vraiment créer de la coopération et une habitude pour ces deux acteurs culturels de travailler ensemble, précise Coralie Chevallot, chargée de projets culturels pour LINA. Je crois que la baisse des moyens de production est peut-être une cause de la multiplication des adaptations. L’Amour ouf est un bon exemple. L’œuvre a connu un succès modéré en librairie, mais le film a très bien marché. Suite à sa sortie, nous en avons vendu beaucoup en librairie".
Les néo-aquitains ont pu voir ce type de communication durant l’été 2025 pour l’adaptation Amélie et la métaphysique des tubes, tiré du texte autobiographique d’Amélie Nothomb. En espérant que ces initiatives d’aiguillage culturel dans un paysage saturé d’informations favoriseront un regain d’intérêt de la jeunesse en particulier et de la société en général, pour la lecture, pour le cinéma, pour toutes les formes d’arts inspirées par un texte. Adapter, c’est survivre, écrivait Darwin. À l’échelle de la culture, l’adaptation préserve a minima une survie des œuvres, et garantit une vitalité de leur circulation dans le temps, l’espace et les esthétiques.
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Sources :
- CNC : Le marché des adaptations littéraires à l'écran
- Article de Capital "Le Comte de Monte Cristo, après la sortie du film, les ventes du livre explosent"