L'humain avant tout
L'auteur Mouloud Akkouche était accueilli en résidence d'écriture au Chalet Mauriac du 5 septembre au 28 octobre 2022 pour son projet de roman Réclusion volontaire. Rencontre.
De quoi n'avons-nous pas parlé ? C'est la question que nous nous sommes posée après plus de deux heures d'entretien. Auteur à l'affût des détails de la vie qui construiront les personnages de ses romans de demain, Mouloud Akkouche collecte dans chaque conversation, avec une sincère bienveillance, la nourriture de son imagination. Dériver d'un sujet à l'autre, rebondir sur les idées tout juste évoquées, entretenir les échanges pour mieux les étoffer, ça prend du temps, forcément ! L'esprit vif et curieux, il tire de son quotidien des histoires baignées d'humanité.
En pleine ébauche de son dernier projet, Mouloud Akkouche a passé huit semaines de résidence d'écriture à Saint-Symphorien. Le Chalet Mauriac est une imposante bâtisse, plantée en sortie de village (incroyablement préservée des incendies qui ont ravagé les forêts alentours à l'été 2022). Avec ses trois étages de briques, ses larges marches d'accès, ses hauts plafonds, ses murs lambrissés et son parc d'arbres centenaires, le lieu incarne les notables de province qui ont fait les heures de gloire de la littérature française. Autant dire, très loin de l'histoire de l'auteur, installé à la campagne, au sud de Toulouse, après des années d'apprentissage à Montreuil, en banlieue parisienne.
Pour l'auteur, écrire est un rêve d'enfance. "Sans livre à domicile," écrit-il dans sa lettre d'intention, "j'ai voyagé à travers les rayons de la bibliothèque municipale de ma ville. Puis, après avoir quitté le lycée sans le bac, j'ai caboté de petits boulots en petits boulots, avant d'atterrir sur une page blanche." "Quand j'étais gosse", raconte-t-il, "j'écrivais des poèmes d'amour que je donnais aux copains qui donnaient à leurs copines. C'est le syndrome de Cyrano. Il y a plein d'auteurs qui ont fait ça. Je rêvais vraiment d'écrire… Écrire, c'était là. C'était hyper important pour moi, je ne sais pas pourquoi. Et à 60 piges, ça me revient. Maintenant je me sens plus libre. Je ne suis pas un transfuge social, je préfère le terme 'voyageur' parce qu'un transfuge peut être considéré comme un traître. Je suis un voyageur qui passe du Chalet Mauriac au Cercle ouvrier."
Des humains écorchés
"Le Cercle, c'est comme un 'saloon'. Tous les mecs ont arrêté de parler et m'ont regardé quand j'y suis entré la première fois. J'y ai rencontré des gens différents de moi sur tel ou tel autre point, avec des préoccupations diverses, mais on se retrouvait sur d'autres. J'ai écouté, j'ai appris… De belles rencontres qui ne s'arrêteront pas avec la fin officielle de la résidence. 'Le comptoir d'un café est le parlement du peuple', disait Balzac. Le Cercle ouvrier en est un bon exemple. En espérant revenir y lire le 'fruit de l'écriture' de ces huit semaines à Saint-Symph' comme disent certains des habitants."
Mouloud Akkouche s'est installé en résidence avec un projet de roman. Inspiré de l'expérience des recluses de la grotte de Lacave en 1965, l'histoire suit le parcours d'une femme de bientôt 80 ans, qui veut retourner sous terre, comme elle l'avait fait 50 ans plus tôt. "Je suis venu avec une idée de texte, et finalement je me suis rendu compte que mon personnage principal allait changer. J'étais partie sur une femme un peu prolo, un peu campagnarde, qui a de la gouaille. Maintenant, le personnage va être une femme qui vit peut-être dans une grande maison comme ici. Et je vais m'obliger à me mettre dans sa peau. En même temps, je suis en train de créer une vingtaine de personnages de femmes, toutes venant de milieux différents, qui ont répondu à une annonce pour participer à l'expérience de réclusion volontaire… Frottements de mondes éloignés."
La réflexion de l'auteur touche à tout – fictions, pièces radiophoniques, blogs, ateliers d'écriture –, s'enrichit de tout ce qui s'invite dans son environnement. En évoquant Stendhal, son écrivain préféré à l'adolescence, il cite 'Le roman est un miroir qui se promène sur une grande route', qui traduit en tous points son approche d'écriture. "Je cherche la beauté en fait, la beauté et le doute. Parfois, je me mets dans la peau de quelqu'un qui pense des saloperies. Je me dis qu'il y a toujours quelque chose chez le pire des salauds, toujours cette espèce de part de lumière. Dans la haine, tu ne peux pas trouver de beauté, mais dans la colère, tu peux. La haine t'enferme, alors que la colère peut t'ouvrir. La beauté, il y en a partout, il faut creuser… sans jamais oublier de douter."
Sobriété volontaire
Auteur d'une quinzaine d'ouvrages, l'auteur vit avec très peu, sans voiture, en toute simplicité, avec sa femme bibliothécaire. Un choix de vie qui convient parfaitement au frais soixantenaire. Père au foyer quand ses deux fils musiciens étaient petits, il travaillait la nuit pour s'arrêter au chant du merle, comme dans la cuisine de ses parents où il a écrit son premier roman. "La majorité des écrivains sans autres revenus que l'écriture, court après le fric. Ce n'est pas un scoop ! Je n'ai pas beaucoup de fric, mais je me sens nanti. Faire ce qui t'habite, habiter ce que tu fais, ce que tu aimes, c'est un luxe. À 60 piges… c'est un choix de vie, je ne regrette pas du tout. Des fois ça empêche la désinvolture, la liberté. Mais ça passe très vite parce que ça a toujours été ma vie. J'ai des hauts et des bas. Quand j'ai un peu de fric, je suis content – mon compte en banque aussi –, quand j'en ai un peu moins, je suis un peu moins content, mais ce n'est pas mon unité de valeurs. Que j'aie du fric ou pas, je continuerai de faire la même chose, de la même manière."
Ami fidèle aux copains des débuts – la bande du Poulpe, pour ne pas la nommer –, Mouloud Akkouche réfléchit à ceux qui arrêtent d'écrire parce que les temps sont durs. "Quand on s'attaque à nos premiers textes, on ne le fait pas pour être publié. C'est un acte loin du milieu de l'édition et des lecteurs… À un moment, il faut se souvenir de ce premier désir d'écriture, revenir aux sources. Moi, je voulais dire quelque chose. J'avais trop de choses en-dedans… je voyais qu'il se passait plein de choses… je me demandais comment les sortir…Et puis c'était aussi une manière d'occuper un peu le pays… pas la France, un pays à moi, une patrie à moi tout seul que je construis avec mes règles : il y a du 'je' du 'il' du 'nous', il y a plein de choses, des contradictions, les échecs, les frustrations, son propre pire… J'aime bien travailler sur le pire, parce que personne n'est un individu parfait."
"L'humour c'est une manière de chialer sans déranger les larmes."
"Comme disait Prévert : 'Il faudrait essayer d'être heureux, ne serait-ce que pour donner l'exemple'. Moi c'est ce que je fais. Je suis totalement sombre, mais bon, j'aime bien… quitte à être sombre, autant rire quoi. L'humour c'est une manière de chialer sans déranger les larmes.
Après ça ne t'empêche pas d'écrire des trucs sombres, de réfléchir, d'avancer, de reculer. Mes personnages sont souvent sur le bord des fêlés. 'Bienheureux les fêlés, ils laissent passer la lumière' [citation apocryphe attribuée à Michel Audiard, NDLR]. Même si un mec marche droit en apparence, s'il titube à l'intérieur, j'aime bien. En fait, j'aime bien les gens qui titubent."
Vieillir n'empêche en rien l'auteur de travailler, il adapte tout juste son modus operandi. "Je vais moins vite… ouais, c'est sûr. Et j'ai le cerveau qui part dans tous les sens. Donc je m'aide, je fais des rituels, je mets de la guitare, des trucs qui me cassent la tête, les Ramones, les Clash, ou un truc qui dépote. Mais en général quand j'écris, j'ai pas de musique, il faut que je voie vraiment les mots sur le papier."
Avec un recueil de poèmes et un roman qui attendent la réponse d'éditeurs –"je préfère ne pas en parler, auteur échaudé craint l'eau froide", commente Mouloud Akkouche –, l'auteur retrouve une liberté de l'âge. "Je suis plutôt content et, bizarrement, en étant libre comme ça, il y a des choses qui commencent à se concrétiser, comme quand j'ai commencé à 17 ans. Il a fallu que je fasse tout un tour, pour retrouver qui j'étais," conclut-il de ce sourire plein de chaleur qui le caractérise. Tant qu'il aura des projets…