Pascale Moisset : une résidence partagée, deux lieux, deux livres
Au fil du temps et des livres publiés (cinq en sept ans !), Pascale Moisset construit une œuvre en littérature jeunesse et tisse des liens durables avec ses partenaires de route. Que ce soit avec ses éditeurs – Voce Verso, Courtes et longues – ou avec l’illustrateur et ami Yves Viallard, c’est une histoire commune qui se bâtit peu à peu, dont les deux prochains fruits seront un roman jeunesse illustré et un album.
Dans cette aventure littéraire, les résidences d’écriture tiennent une place de choix. Après un premier séjour à Saint-Symphorien en 2024, Pascale Moisset a été lauréate jeunesse 2025 de la résidence partagée Chalet Mauriac/Maison Julien Gracq, à Saint-Florent-le-Vieil, avec le soutien du Centre national du livre. Deux mois de créativité intense pour l’autrice, qui en revient plongée dans une douce béatitude.
"À chaque fois, c’est une expérience incroyable. Je viens juste de rentrer et je plane encore. J’ai l’impression que lorsque je suis en résidence, je suis à ma place. Je mène la vie que je veux, à la fois dans l’écriture, dans le nomadisme, dans la possibilité de m’extraire de ma routine, dans les rencontres…" Pascale Moisset serait presque intarissable sur le récit de cette double expérience après un mois passé dans le Sud Gironde, au Chalet Mauriac, puis un autre en Maine-et-Loire, dans la maison de l’auteur d’Un Beau ténébreux, dont l’ombre intimidante plane encore sur ce site qu’elle découvrait. "Il y a une mise en route nécessaire pour se familiariser avec les lieux et la région, que je ne connaissais pas. Mais je me suis mise à écrire rapidement, car je me suis sentie tout de suite très bien. C’était nouveau pour moi de me retrouver dans un espace dédié à la littérature pour adulte. J’étais la première résidente jeunesse. Autour de moi, je n’avais pas de références à l’enfance. J’étais loin de mon univers. Mais j’ai été très bien accueillie du fait de ma singularité. Je leur amenais un peu de légèreté et de spontanéité." Tandis qu’au Chalet, l’autrice retrouvait ses marques et les temps de joyeuse convivialité dans la cuisine partagée, travaillant dans une douce fluidité, la découverte des paysages angevins avait la saveur et l’intensité des premières fois : "La maison Julien Gracq m’a beaucoup inspirée, car elle est au milieu de la nature, au bord d’un fleuve où rien ne m’était routinier. Chaque promenade était une aventure, une découverte. Tous mes sens étaient en alerte."
Des histoires comme elles viennent
Cette proximité avec la nature, le corps et l’esprit en éveil pour accueillir ce qu’elle nous offre, est sans doute le moteur d’une écriture qui s’inspire plus des sensations, des ressentis, que d’une construction intellectuelle préméditée. Il y a bien une intention au début de chaque projet, celle d’écrire sur telle ou telle thématique, mais le traitement et la forme que l’autrice va lui donner relèvent avant tout d’une impulsion et d’un cheminement créatif fondé sur l’authenticité des émotions et des perceptions. "Pour moi, la nature, c’est la paix, la joie et un refuge. Je me rends compte qu’elle est très présente dans mes livres, comme elle l’est dans ma vie. Cela s’est imposé au fil des projets, sans presque que je m’en rende compte. Tout passe par la sensibilité et donc, la sincérité. Dans un second temps, au moment de la relecture, je prends du recul par rapport à ce que j’ai écrit, mais jamais avant. Y compris lorsque je décide de parler d’une problématique difficile, sensible."
C’est le cas de la thématique abordée dans le roman illustré Quatre petits trucs verts, que Pascale Moisset a pu terminer durant sa résidence. L’histoire est celle d’un petit garçon qui rencontre des difficultés familiales. Sa mère, victime de violence conjugale, est partie. Le père n’a pas voulu qu’elle emmène leur fils. L’enfant se retrouve donc seul, sans frère ni sœur, auprès de ce père très rude. Au cours de l’une de ses colères, il met son fils à la porte. L’enfant est recueilli par le voisin de palier, un vieux monsieur bienveillant et attentif chez lequel le jeune garçon trouve un peu de réconfort. Ils construisent ensemble un havre de paix autour d’une plantation commune d’où émerge une nouvelle vie qui s’épanouit au rythme de la nature. "Je me mets à la place de ce petit garçon, de ce qu’il éprouve, explique Pascale Moisset. Il ressent le manque de sa mère, qu’il comprend malgré tout ; il ne lui en veut pas. Il dit qu’à sa place, il serait parti aussi. Il voit bien que son père déraille et il perçoit très bien qu’Alfred, le vieux monsieur, lui veut du bien. Il souffle dès qu’il entre chez ce monsieur ; l’ambiance est douce. L’enfant, en dépit de l’âpreté de sa vie, a la capacité de s’accrocher à l’instant présent, qui lui fait oublier ses difficultés. Il y a une immédiateté, dans l’enfance, qui peut être salvatrice, si on tombe sur les bonnes personnes."
Dire vrai
Il s’agit de parler vrai, quand on s’adresse à de jeunes lecteurs. Ce souci d’authenticité, cette volonté de sincérité, Pascale Moisset se l’impose comme une exigence incontournable par respect et honnêteté à l’égard des enfants pour lesquels elle écrit : "C’est beaucoup plus qu’une intention, c’est comme une loi. Ça ne peut pas être autrement. Pour moi, les enfants sont nos égaux en matière de droit. Ils sont capables d’entendre, de comprendre et de sentir les mêmes choses que nous. Je pense qu’ils sont excessivement perméables, qu’ils ont un avis, qu’ils sentent ce qui est vrai et ce qui ne l’est pas, et qu’on leur doit une justesse et une vérité totales. C’est aussi le rapport que j’ai avec eux dans les classes[1], et je crois qu’ils le sentent. Il se passe toujours quelque chose d’intense, et dans mon écriture, c’est pareil."
Une telle conviction ne saurait admettre de compromis. Pour cela, il fallait un éditeur qui partage les mêmes valeurs et qui n’hésite pas à publier des livres aux thématiques sociétales fortes, sans en édulcorer le propos, même lorsqu’ils s’adressent aux plus jeunes. En écrivant ce texte, Pascale Moisset savait à qui elle le destinait : les éditions Voce Verso, avec lesquelles elle a déjà travaillé pour un précédent roman jeunesse illustré (“H comme couper du bois”, 2023). "Je tiens beaucoup à ce que ce livre soit publié chez Voce Verso, parce qu’il correspond à leur ligne éditoriale. Les deux éditrices, Cécile Emeraud et Sophie Tran Van, n’hésitent pas à aborder des sujets difficiles ; elles se battent pour exister et j’ai envie de les encourager. Leur confier ce texte, c’est une démarche politique. Je me rends compte qu’il y a des valeurs qui nous lient ; on partage la même vision. Elles défendent des sujets difficiles, elles ont une conception du livre que j’aime, elles ont un parcours audacieux, des vrais choix. Le chemin n’est pas facile, il faut s’accrocher."
Une confiance réciproque dans le travail à accomplir ensemble que Pascale Moisset trouve également auprès de l’illustrateur Yves Viallard. De leur relation amicale, de leurs échanges, de l’étroite imbrication de leur travail, sont déjà nés deux albums : Surf, surf, surf et Feu !, tous deux parus aux éditions Courtes et Longues. À la demande de l’éditeur, un troisième est en préparation, qui formera avec les deux précédents comme une trilogie sur les éléments de la nature : l’océan, d’abord, puis la forêt et aujourd’hui, la rivière. Inspirée par les croquis de l’illustrateur, c’est dans la maison de Julien Gracq que Pascale Moisset a trouvé son souffle pour écrire cette histoire : "Ce projet m’a été proposé au tout début de ma résidence à Saint-Florent-le-Vieil. Je me suis mise au travail sur cette rivière, qui cadrait parfaitement avec la Loire, au bord de laquelle j’allais me promener tous les jours. La lumière, le rapport à l’eau, le courant, la végétation… J’y ai vécu au rythme de la nature." L’autrice le reconnaît avec gratitude, les deux livres à paraître doivent énormément à ces deux lieux qui l’ont accueillie et à l’accompagnement qui lui a été offert.
[1] Pascale Moisset intervient régulièrement dans des classes pour présenter ses ouvrages et mener des ateliers artistiques avec des élèves du primaire.