L’Institut d’études occitanes du Limousin : perpétuer la langue du territoire
Transmission, formation, publication, organisation d’événements culturels, collectage, socialisation : la section limousine de l’Institut d’études occitanes (IEO Lemosin) œuvre tous azimuts pour le maintien et le développement de la langue et de la culture occitanes.
"Adiu", "En vos merceja", "Bona jornada", "Amistas"… Dès les premiers échanges avec les responsables de l’IEO du Limousin, les conversations se mettent à chanter occitan, au hasard d’un bonjour et autres formules de politesse que l’on comprend d’emblée, tout néophyte que l’on soit en parler patois. "C’est notre mission première : faire vivre une langue qui se parle de moins en moins", prévient Jean-Marie Caunet, le directeur de cette structure depuis 1999. Corrézien d’origine, Jean-Marie Caunet a travaillé un temps dans le tourisme et la muséographie en Auvergne avant de revenir "au pays" dans les années 1990. C’est là qu’avec un petit groupe, l’envie lui prend de redynamiser l’Institut d’estudis occitans dau Lemosin.
Fondé en 1977, l’IEO du Limousin fait alors partie des trente-six sections locales de l’Institut d’études occitanes1, une association créée en 1945 à Toulouse par d’anciens résistants occitanistes, qui se donne pour but le maintien et le développement de la langue et de la culture occitanes dans son ensemble et dans le respect de sa diversité dialectale. Très actif jusqu’au milieu des années 1980 (semaine culturelle occitane sur la place publique à Limoges, stages d’occitan, publication d’ouvrages et de revues, etc.), l’IEO du Limousin connaît ensuite une phase de relative léthargie, faute de moyens notamment.
En 1998, Jean-Marie Caunet, entouré d’un petit groupe de défenseurs de l’occitan, décide donc de remettre sur pied l’association. "On avait tous eu cette langue dans l’oreille quand on était petits, c’étaient nos racines, et nous avions envie d’y revenir, de valoriser cette richesse", explique Jean-Marie Caunet. En 1999, l’IEO du Limousin se structure alors autour d’une petite équipe de salariés et monte sa première action : une exposition sur les auteurs occitans en Limousin. La voie de la redynamisation est ouverte. Aujourd’hui, l’IEO du Limousin, c’est une équipe permanente de cinq salariés aidés de vacataires et d’intermittents du spectacle qui interviennent sur l’ensemble de la région Limousin, l’est de la Charente (Charente occitane) et le nord de la Dordogne, soit en grande partie l’aire linguistique limousine et une partie de l’auvergnate. Quant aux adhérents, ils sont environ une centaine. "Principalement des amoureux de la langue occitane, des militants, des sympathisants à la cause, des musiciens de musiques traditionnelles", comme le précise Jean-Marie Caunet.
"[…] notre rôle est aussi de faire découvrir toute la littérature et la création musicale occitanes contemporaines"
L’IEO du Limousin a depuis toujours un point d’ancrage majeur : sa librairie, installée rue Haute-Vienne à Limoges. Tenue par Magalí Urroz depuis 2009, la librariá occitana est dotée d’un fonds d’environ trois mille ouvrages. "Les livres que nous vendons le plus sont tous ceux qui permettent l’apprentissage de la langue occitane. Quant à nos principaux clients, ce sont surtout des étudiants en littérature médiévale ou en linguistique, notamment, ou des universitaires", détaille la quadragénaire, dont l’occitan est la langue maternelle. "Mais notre rôle est aussi de faire découvrir toute la littérature et la création musicale occitanes contemporaines." À l’instar de l’auteur périgourdin Joan Ganhaire, connu pour ses polars mais aussi pour ses nouvelles fantastiques et ses romans de cape et d’épée, de Jan dau Melhau, écrivain, musicien et fondateur des Edicions dau Chamin de Sent Jaume, ou encore de la poétesse Marcela Delpastre (décédée en 1998). "Nous mettons aussi en avant les auteurs occitans de la jeune génération, comme Cecila Chapduelh, Aurelià Lassaca, Silvan Chabaud ou Matthieu Poitavin", poursuit la libraire. Et les groupes de musique occitane actuels, tels Cocanha, Laüsa ou De La Crau, pour n’en citer que quelques-uns, peuvent aussi compter sur la Librariá occitana pour se faire connaître. La librairie occitane est également un espace de rencontres et d’échanges grâce aux rendez-vous et animations réguliers qu’elle organise : cours d’occitan, ateliers de conversation, ateliers d’écriture ou encore son fameux café platussant, tous les premiers samedis du mois, où l’on peut venir platusser (comprendre bavarder) à sa guise.
Au-delà de ce noyau dur et de cette vitrine qu’est la librairie, l’IEO du Limousin travaille à la diffusion et à la sauvegarde de la langue occitane en menant des actions sur le terrain – en particulier auprès des plus jeunes – comme des animations dans les établissements scolaires de la région. Sous forme de balades contées ou paysagères, ces ateliers permettent aux écoliers de découvrir, entre contes traditionnels et devinettes, la langue du pays. C’est Jean-François Vignaud, Corrézien depuis toujours, qui mène ces ateliers depuis 1999 : "J’ai appris à parler patois chez mon pépé et ma mémé, par imprégnation", explique-t-il. Fervent défenseur et amoureux de l’occitan, Jean-François Vignaud n’a de cesse de mettre en valeur "la grande richesse des langues non normalisées", en déclinant par exemple les nombreux termes qui signifient balai en patois : balai (prononcer aïe), escoba (pour les cendres du four), ginesta et penesta pour les balais en genêts et lo gensa du côté de la Charente limousine. "J’ai quarante-sept ans aujourd’hui et j’ai bien conscience que l’avenir de la langue occitane est plutôt noir. Sur le plan de l’oralité, elle disparaît. Je ne la parle plus qu’avec mes vieux voisins, mais ils meurent… L’occitan est aujourd’hui devenue une langue patrimoniale."
"[…] l’IEO du Limousin travaille à la diffusion et à la sauvegarde de la langue occitane"
Conscient de cette extinction en cours, l’IEO du Limousin s’est donné une mission dite de socialisation de la langue : il s’agit d’aider les collectivités dans la mise en valeur de leur patrimoine culturel occitan (signalétique bilingue, fêtes à thème, animations, etc.). Il a aussi lancé depuis 2012 La Biaça, qui signifie la besace, un site Internet en accès libre où sont disponibles gratuitement plus de quatre cents heures d’enregistrements audio, des films, des écrits et des photographies. L’IEO du Limousin conduit et rassemble depuis plus de vingt ans des enquêtes de sauvegarde de la mémoire occitane. Il s’agit d’un patrimoine oral considérable, principalement en occitan (en patois, en limousin… coma voletz !) mais parfois aussi en français, collecté en Corrèze, Creuse, Haute-Vienne, mais aussi en Charente, Dordogne, Vienne, Cantal, etc. "Il nous a semblé essentiel de le numériser pour le rendre public", indique Jean-Marie Caunet. C’est Pascal Boudy, aujourd’hui à la retraite, qui a monté La Biaça : "On ne voulait pas d’un lieu de consultation physique, ni d’un site avec identifiants. Notre objectif était que tout le monde puisse accéder à nos fonds. On a travaillé avec Gérard Perier, un génie de l’informatique, pour que tout soit en open data. Il suffit d’aller sur notre site, de cliquer sur Fossinar dins la biaça, c’est-à-dire 'rechercher dans les collections' et d’entrer un thème, un nom, un lieu. En tapant 'Faure' dans ce moteur de recherche, par exemple, vous pourrez écouter notre plus vieil enregistrement récupéré sur un disque de cire ! Il s’agit de cinq figures de quadrille limousin jouées aux environs de 1938, sans doute, à la clarinette, par Pierre Faure !" Aujourd’hui, c’est Nicolas Granier, par ailleurs professeur de mathématiques à Limoges, qui est en charge de La Biaça. À lui de convertir en MP3 les enregistrements audio réalisés sur K7 et minidisque, puis de les séquencer et de les indexer. Ce travail d’archivage est selon lui une 'manière de résister pacifiquement' : "C’est important de conserver toute cette diversité, non ? On voit bien ce que ça donne, la monoculture, n’est-ce pas ?"
1 L'IEO est membre du Réseau européen de promotion de la diversité linguistique, du Comité français du bureau européen des langues moins répandues, du European Language Equality Network et des Rencontres interrégionales des langues et cultures régionales, qui regroupent des représentants des diverses langues de France. L'IEO est aussi un club Unesco (voir la Fédération française pour l'Unesco).