Le livre, cet objet paradoxal


On rentre dans sa maison par le jardin. La caravane qu’elle utilise comme librairie mobile est devant le local de sa maison d’édition Aux cailloux des chemins. Christine Saint-Geours nous accueille parmi les livres et les auteurs qu’elle défend.
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Qui es-tu, Christine Saint-Geours ?
Ma philosophie c’est que les gens qui s’intéressent à moi viennent et me le demandent.
Je ne suis pas à la recherche de publicité. Ce n’est pas mon truc.
Aujourd’hui, j’ai une seconde vie professionnelle après quarante ans d’enseignement. Pendant ma première vie professionnelle, j’étais professeure en CP, une année charnière où les enfants apprennent à lire en poésie. J’ai enseigné dans toute la Communauté urbaine de Bordeaux (CUB) et j’ai fini ma carrière à Bruges où j’habite maintenant et où je mène ma seconde vie professionnelle, celle d’éditrice. Cette maison d’édition Aux cailloux des chemins est une association et ce n’est pas un vain mot ; c’est quelque chose de participatif.
Pourquoi devenir éditrice ?
Le désir de donner vient de l’enseignement.
Les projets avec les scolaires me tiennent à cœur, c’est là qu’émerge ce désir de poésie, c’est dès le plus jeune âge qu’il faut l’éveiller.
Cette année, je mène un joli projet avec les classes d’arts appliqués au Lycée du Mirail grâce au dispositif du Pass Culture. C’est une demande qu’on m’a faite. On a commencé avec la pièce Montaigne Les essais, Jouir loyalement de son être, d’Éric Sanson, qu’il jouait au Petit Théâtre à Bordeaux. Le comédien est venu au Lycée et a fait un bord de scène. C’est ainsi que les quatre-vingt élèves ont approché les Essais de Montaigne. À partir des citations de Montaigne, ils ont réalisé cinq productions plastiques et une seule a été retenue par élève pour la constitution d’un livre. Avant la publication, les élèves ont créé leur collectif Ad Radicem, qui, étymologiquement signifie "à la racine", et qui est lié à la notion des débuts. C’est eux qui ont choisi le nom. Je leur explique en quoi consiste le métier, comment je travaille avec les auteurs, comment je les rémunère. En mai, je vais réaliser un atelier au Collège Montaigne à Lormont, une sorte de jeu de rôle où les élèves seront les auteurs désireux d’être édités et moi, l’éditrice bien sûr.
Depuis combien de temps la poésie, la littérature, t’habitent-t-elle ?
Depuis petite. J’ai évolué entourée de beaucoup de livres, j’étais abonnée à plusieurs revues. Tous les grands classiques, je les avais. Ma mère est une lectrice invétérée.
Je lis et continue à lire Marguerite Yourcenar.
En ce qui concerne la poésie, j’ai toujours écrit et beaucoup lu.
Je lis les blogs de poésie et je suis quotidiennement certains poètes, notamment Stéphane Bernard, Hervé Gouault.
Je suis fan d’aphorismes, de poésie contemporaine…
Toi qui adores les blogs de poésie tenus par des poètes, pourquoi t’es-tu lancée dans l’édition de livres ?
J’ai un amour du livre en tant qu’objet. Pour moi le livre est un objet très paradoxal : c’est à la fois un objet culturel et commercial et ce paradoxe du livre est très intéressant. Je ne laisserais pour rien au monde la distribution ou la diffusion des livres à un tiers. J’ai envie de le faire parce que le lien avec les libraires, la rencontre de tous les gens qui tournent autour du livre, m’intéressent. C’est un boulot titanesque mais j’y suis attachée.
Je ne crois pas à la mort du livre papier : c’est charnel un livre, le choix du papier, le choix du façonnage, il y a une esthétique du livre !
J’ai une collection principale "Nuits Indormies". Il y a des sous-collections, certaines sous abonnement comme "Feuillets de nuits". La collection "Vu par" est une collection graphique, c’est le bonbon de la maison car aucun livre ne doit ressembler à un autre.
Tu es membre de l’association du Marché de la Poésie. Est-il important ce Marché de la Poésie de Bordeaux ?
Oui, c’est un marché qui existe depuis vingt-six ans, c’est quelque chose de local mais qui s’ouvre à l’extérieur, des éditeurs viennent d’un peu partout. Il y a aussi l’esprit qui a été donné à cette manifestation qui m’importe. Elle est exigeante quant au rendu mais elle veut garder une relation fraternelle et familiale avec le reste. Il se passe toujours quelque chose.
Pour le Marché de la Poésie de Bordeaux, je m’occupe de la partie scolaire.
Cette année, on a programmé une journée pour les scolaires. On invite l’éditeur Cheyne et deux auteurs iront dans les classes.
Il y a également le concours de poésie.
Comment vois-tu l’avenir de la poésie ?
Tout a sa place. Il n’y a pas de mauvais auteur. Il n’y a pas de mauvais lecteur. Et tout auteur a un lecteur.
Aurais-tu des vers qui te viendraient à l’esprit pour clore cette interview ?
Je suis une fan absolue de la poésie grecque et notamment de la poésie de George Séféris1. Je pense notamment aux premiers vers du poème Un vieillard sur le bord du fleuve, traduit par Jacques Lacarrière :
Il faut pourtant considérer comment nous avançons ;
Sentir ne suffit pas, ni penser, ni bouger,
Ni exposer son corps aux vieilles meurtrières …
1. Le poète Georges Séféris (1900-1971) a reçu le Prix Nobel de Littérature en 1963.
