"Exorama 0-5", voyage en Exopotamie


Ce livre-événement, Exorama 0-5, dépose sur la peau des échantillons comme une once de parfum de chaque univers poétique. Il nous invite à abandonner nos appareils, nos boussoles, pour que ces poèmes constellés nous ramènent à ce qu'il en est de nos ailleurs, de notre propre étrangeté, à l’image d’un endroit tenu secret de nous : l’endorama, originel d’une poésie qui, sans même n’avoir jamais quitté sa maison de naissance, peut faire surgir en nous, par instants fugaces, le sentiment d’exil de toute une vie.
L’incertitude réconfortante sous les étoiles
Une fois entre nos mains, ce diaporama est à la fois semailles, récoltes et pollinisation. Ces poèmes, à la fois du jour et encore à venir, nous enlèvent, avec leur géographie instable, nous déplacent, nous ramènent à l’inconsistance des frontières, à l’incertitude réconfortante sous les étoiles. Tous les cinq ans paraîtra désormais un nouvel Exorama, dont celui-ci est le premier épisode.
Pour donner le ton, dans sa note de présentation, l'éditrice Mélanie Cessiecq-Duprat va jusqu’à créer le néologisme "exorama", accolant ainsi la notion d’’ailleurs avec la volonté de faire entendre ce que montrer veut dire. Une façon de souligner que ce qui est d’abord hors de vue (exo - horama) a la possibilité de s’incarner par l’écriture. Le verbe "monstrare" : faire voir, révéler, accouchant du mot: "monstre" nous restituant ainsi le sens originel disant qu’un monstre n’est pas rupture avec l’humanité mais manifestation d’un désir de montrer, de faire entendre, au milieu d’un fleuve, disons L’oued Atoun, ce que la barque du poème emporte avec elle, c’est à dire l’infinité de ce que nous sommes, quelque soit l’endroit où l’on se trouve. Faire naître le montré serait alors la vocation d’une maison d’édition.
La poésie est ailleurs
Un poème dit quelque part dans ce livre voyageur "ce qu’il n’est pas". C’est son titre et c’est un inédit. Il fait écho à la présentation de l’ouvrage en quatrième de couverture où s’énonce la nécessité de dire avant tout ce que cet objet littéraire n’est pas, pour signifier qu’il résiste comme le poème à toute définition qui l’enferme.
Éclipser les frontières, estomper les bords de la forêt pour que les poèmes-animaux, espèce en voie d’apparition, soient impossibles à circonvenir.De l’énergie créatrice à la matérialisation de l'objet, l'Éditrice se fait tisseuse de liens entre les autrices, les auteurs et l'Édition, l’imprimerie, le travail subtil de correction, les libraires, pour réaliser cet objet. Un objet planant au-dessus de territoires non encore répertoriés, aéronef silencieux, piloté cette fois par le petit prince lui-même, propulsé par l’essence des premiers mots vers des contrées lointaines.
Où est cet ailleurs ? Le philosophe Jacques Derrida né à El Biar tout près d’Alger nous dit : "si l'on savait où se trouve l'ailleurs on aurait plus besoin de chercher". Quand on parle à la va vite d’un endroit reculé du monde, en le situant très loin dans l’imaginaire dans le but de le présenter volontairement comme une incongruité géographique inatteignable, pour évoquer en plaisantant le vertige d’un non lieu, l’improbabilité d’un coin perdu dans le temps et l’espace, hors du monde, peu civilisé, on utilise des expressions dépréciatives comme "à Trifouillis les Oies" ou "à pétaouchnok" allant jusqu’à confondre l’existant avec l’inexistant en disant par exemple : "à Bab El Oued" alors qu’il s’agit en réalité d’un quartier d’Alger bien vivant, traversé en son cœur par L'oued Atoun. Certaines scènes du film Stars Wars ont été tournées à Tataouine. À l’occasion d’une rencontre, l’éditrice originaire d’Algérie confiera d’abord n’avoir pas connu l’existence de ce quartier d’Alger, puis, s’étant renseignée, avoir réalisé ce qui, au moment de l’embarcation, avait pu inspiré son projet de maison d'Édition, au bord de s’appeler alors Bab El Oued, comme possible symbole de ce là bas que l’on chercherait toujours, cet ailleurs en nous, source de poésie. Une poésie si précieuse au moment où l’on parle, au moment où on ne se parle pas, en cet instant de froideur du temps où le monde semble vouloir menacer en son sein sa propre étrangeté.
Le mot Exopotamie sera finalement le nom donné à la maison d’Editions, un mot inventé par Boris Vian dans son roman Automne à Pékin où il n’est question ni d’automne ni de Pékin mais d’un homme ayant raté son autobus qui construit des voies de chemin de fer en plein désert, pour atteindre une nouvelle terre, on ne sait où. Exopotamie pour évoquer une trajectoire hors du fleuve, ne suivant pas le cours habituel des choses.
La lecture, ce voyage immobile
Une pluie de météores pour consacrer ce moment éclairant de chaque univers, instant suspendu de la trajectoire des poèmes, photographies d’un ciel d’écriture en mouvement. Comme on échange à partir des images qui témoignent d’un voyage, lectrices et lecteurs seront alors invitées à dire ce qui leur aura été possible de voir, allongées dans l’herbe. Les six autrices et les six auteurs de ce livre-événement parsèment, éclaboussent, distillent, glissent des mots entre les failles, déclenchent dans la nuit des petites fusées roses d’alarme, embrassent des silences, alertent sur l’immanence de la douceur, font trembler les lignes et les ondes, accrochent des rayons aux arbres, disent dans le lait de leur aube autant de regrets que d’intuitions.
Les visuels apportent un certain éclairage si bien qu’on aimerait qu’il y en ait d’autres à offrir à l’ouvrage pour d’autres traits fins de liaison.
Jasmin Lilmans dit vouloir "retrouver le moment de la parole" - Marie Lo Pinto "tenir sa langue comme on tient son cap" - Maxime Morel "nous ferons un dernier trou pour y faire entrer la lumière" - Nicolas Rouzet "toutes les pièces de ce vaste puzzle se rejoignent quelque part" - Murièle Camac "je trafique des trucs pour pour voir si j’y suis" - Samuel Buckman "les absences se sont remplies d’ailleurs" - Tom Saja "c’était le mot de la fin d’un monde pour enfanter" - Julie Nakache "l’enfance la violence l’amour s’échouent sur ces pages" - Cécile A. Holdban "je cherche ma part d’inconnu même dans le chemin cent fois parcouru" - Matthieu Lorin "je dépose l’ensemble à l’endroit où mon angoisse se transforme en une révérence ou un journal en feu" - Marnie Holzer "la route en même temps qu’elle se dessine, tandis qu’au loin on galope sur le dos de la bête" - Pierre Vinclair "le poème est l’événement qui nous fait passer de l’autre coté du miroir".
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Exorama 0-5, collectif, éditions Exopotamie
