Estelle Bachelard, un concentré d’humour et d’autodérision…
Estelle Bachelard est une auteure de bande dessinée et blogueuse québécoise. En septembre et octobre 2013, elle a été accueillie par Écla en résidence, dans le cadre des échanges croisés entre auteurs de BD bordelais et québécois. Rencontre avec Estelle vers la fin de sa résidence pour parler de son travail, de ses projets et de son séjour
Quel est ton parcours ?
Estelle Bachelard : Comme tous les enfants, je dessinais déjà beaucoup. Puis ça s'est avéré être une passion et j'ai continué. Je crois que c’est d’ailleurs la seule différence entre les dessinateurs et les autres : nous on continue, c’est tout.
Quant à mon parcours, j'ai étudié le graphisme au lycée. J'ai souhaité continuer à l'université mais finalement j'ai été engagée dans une entreprise de jeux vidéo, Frima Studio. À ma sortie du lycée j'y ai fait un stage, qui a débouché sur un emploi qui dure à présent depuis quatre ans et demi.
À quel moment as-tu décidé de faire du blog ?
E.B. : À l'adolescence je lisais beaucoup de blogs de bédéistes européens. Et c'est ce qui m'a donné envie d'en faire. Je devais avoir quinze ans lorsque j'ai commencé à poster des dessins, des recherches artistiques et des scénettes de ma vie personnelle. Au final, ça fait longtemps que je fais de la BD, d’autant que c’est avec elle que j'ai appris à lire. Enfants, avec mon frère, on en faisait ensemble, pour rire, pour s’inventer des histoires. Puis c'est autour de l'adolescence que je me suis mise à raconter des choses plus personnelles, de petites aventures de l'école, avec moi et mes amies.
Y a-t-il pour toi des avantages à publier sur Internet face à l'édition traditionnelle sur papier ?
E.B. : Ce qui est certain c'est qu'Internet est très accessible pour commencer. Parce que démarcher dès le départ une maison d'édition, c'est quand même gros, ça demande beaucoup de travail, et ce n'est pas facile de convaincre un éditeur de publier ton projet. Donc, Internet donne une première visibilité. Et cette première visibilité permet de déjà gagner un public à la base. Je vais sortir mon premier livre au printemps, et je sais qu'il y a parmi les gens qui me suivent des lecteurs qui vont vouloir l'acheter. Il y a même des fans de la première heure qui continuent de m’écrire des messages d'encouragements et qui m’ont fait savoir leur impatience. C'est vraiment chouette.
Pour ma part, n'ayant jusque-là écrit que de la fiction, je suis assez intrigué par la façon qu'ont les auteurs autobiographiques de repérer et de prélever des moments de leur vie quotidienne, de les transformer et de les rendre intéressants. Est-ce que tu as une façon particulière de t'y prendre ?
E.B. : Je ne sais pas vraiment comment je m'y prends. Il y a des moments où, en faisant quelque chose, je réfléchis et me dis "Ah, oui, ça ce serait vraiment drôle…" L’autre jour, mon copain lisait mon scénario et était surpris que j'isole un moment de notre vie qu'il trouvait ordinaire, pour en faire quelque chose de drôle. Je ne sais pas. Je prends le petit détail que je trouve intéressant, et je le romance un peu. C'est sûr que si on raconte un événement au premier degré, il risque de perdre de son intérêt… Il faut l’exagérer.
Dans ma BD, je me mets en scène, ainsi que mon copain, ma meilleure amie et son copain. Ce qui est certain, c'est que j'ai complètement exagéré les traits de chacun. Ma meilleure amie avait d'ailleurs peur qu'on voie son copain comme un fou, parce que je le montre en maniaque qui la suit partout ! Mais c'est une bande dessinée, j'ai besoin d’exagérer des traits pour les rendre intéressants.
Est-ce que tu as l'impression qu'il y a des moments où, tandis que tu es simplement en train de vivre ta vie, tu gardes quand même un œil alerte sur ce qui est en train d'arriver ?
E.B. : Oui, et j'ai déjà entendu des auteurs de BD autobiographique qui rapportaient que ça devenait un peu fatiguant à la longue. Parce que dès qu'on vit ou fait quelque chose, on y voit de la matière à raconter. Du coup, on cherche à vite noter chaque anecdote, et on se demande sans cesse comment tourner les choses pour les rendre intéressantes… Bref, c'est sûr que j'ai au fond de moi un petit quelque chose qui réfléchit tout le temps.
Peux-tu nous parler de ton premier livre qui va sortir bientôt ?
E.B. : Ce livre va sortir en avril 2014. C'est très inspiré de mes bandes dessinées que je publie sur Internet, mais ce n'est pas un recueil de ce que j'ai déjà fait. Je suis presque repartie à zéro. J'ai inventé de nouvelles histoires, ou pris des anecdotes que je n'avais encore jamais racontées. Et j'ai modifié les histoires que j'avais déjà mises en ligne, afin de les développer et pouvoir les raconter sur plusieurs pages. Donc, ce n'est pas un recueil, mais mes lecteurs habituels vont pouvoir retrouver les personnages et l'esprit général auxquels ils se sont attachés.
Que retiens-tu de cette résidence de deux mois à Bordeaux et ce que ça a pu apporter à ton travail d'auteur ?
E.B. : Ça m'a vraiment permis de me plonger et d’avancer dans la réalisation de mon livre. J'ai travaillé sur le scénario qui est pratiquement terminé, de même pour le découpage qui est désormais bien avancé. J'y ai même intégré quelques histoires bordelaises. Au départ, je ne comptais pas mettre d'anecdotes de voyage, mais au final je pense que certaines sont assez drôles.
J'avais également un autre projet pour lequel j'attendais d'avoir du temps. La résidence m'a permis de mettre ce temps-là de côté pour m'arrêter et réfléchir.
Aussi, ce qui est sûr, c'est que se retrouver seule de l'autre côté de l'océan, loin de ses amis et de ses habitudes, ça m'a beaucoup fait réfléchir à ce que pouvait être mon avenir dans la BD et dans le jeu vidéo. La résidence m'a été très bénéfique en ces termes. Une sorte de remise en question vis-à-vis de mon métier.
J'ai aussi réalisé un journal de voyage en ligne pendant mon séjour, afin de me rappeler ce qui s’est passé chaque jour. Et si tout est passé très vite, la résidence m'a aussi permis de travailler tout en profitant de mon séjour, avant de reprendre mon rythme habituel où je cumule le travail de BD à mon emploi dans le jeu vidéo.
C'est vrai que le cumul des deux doit être assez intense… Tu arrives à bien gérer ton temps ?
E.B. : Oui, mais c'est facile de procrastiner ! Dans le jeu vidéo, il y a des jours où on nous demande des tâches très automatiques, de fabrication de fichiers… pas nécessairement de création. Dans ce cas, c'est plus facile d'arriver à la maison et de se mettre à dessiner parce que justement, ton cerveau a été toute la journée en demande de création et tu as donc plus d'énergie à y consacrer. En revanche, lorsque le jeu vidéo te demande d’être plus inventif, arrivé le soir, tu es plus fatigué et moins disponible à faire de la BD.
Il me semble qu’à Québec, vous êtes plusieurs auteurs de BD à travailler dans le jeu vidéo…
E.B. : Oui ! On dit que c'est le domaine qui a sauvé les dessinateurs de Québec ! Il n'y a pas beaucoup de grosses maisons d'édition de BD chez nous. Donc, le jeu vidéo permet à beaucoup de dessinateurs de payer leur loyer tout en dessinant à temps plein. À Frima, on en compte pas mal déjà. Il y a Éric Asselin (Leif Tande), André Kadi, Valérie Morency, Jacques Hébert, Christian Daigle...
En tant qu'auteure autobiographique, tu as surtout travaillé seule, mais est-ce que ça te semblerait envisageable de collaborer avec quelqu'un ?
E.B. : Oui. Justement, cet autre projet, pour lequel j’avais besoin d’un temps de réflexion, est un projet que je compte réaliser en équipe. C'est une histoire familiale un peu plus difficile à raconter, plus sérieuse, et je me suis rendue compte que j'avais besoin de quelqu'un qui pouvait porter un regard distant sur le récit. Donc ça va être coécrit avec une amie auteure qui habite à Montréal. Mais nous n’en sommes qu’aux préliminaires, je ne peux rien en dire de plus pour l'instant.
Pendant ta résidence, tu as également fait tes premières interventions ?
E.B. : Oui ! À l'Esmi et à la prison de Gradignan. À l'Esmi, c'était devant soixante étudiants. C'était très intéressant et ils avaient beaucoup de questions. J'ai pu visiter l'école aussi. À Québec, on n'a pas vraiment d'écoles de ce genre. On a bien sûr des cours d'Art, mais pas d'écoles de ce type, uniquement centrées sur les arts ou le multimédia. On a beaucoup discuté de ça justement. Au Québec, c'est quand même très difficile de vivre de l'illustration ou de la BD.
J'ai pris beaucoup de plaisir à cet échange. Je me suis rappelée qu’autrefois je voulais être professeure. Ça m'a encore une fois questionnée sur ma carrière.
Et avec les détenues ?
E.B. : Ça aussi, c'était intéressant. On voit beaucoup les prisons dans les films et les séries, mais on n'a pas beaucoup l'occasion de se retrouver confronté à ce genre d'environnement. Il y a dix personnes qui s'étaient inscrites pour venir me voir et au final j'en ai eu trois. On connaît très peu de choses sur ces femmes, mais ce qui m'a beaucoup touchée chez elles, c'est de voir leurs côtés maternels. Les dessins que je leur faisais étaient toujours destinés à leurs enfants. L’une d’entre elles s'est mise à pleurer en m'en parlant. Il y a une fille qui a eu une dérogation spéciale pour venir me voir avec son bébé. Cette fille était elle aussi une artiste. Elle avait participé à un concours de BD dans les maisons de détenues, et était donc particulièrement intéressée par mon intervention. On a beaucoup échangé. Ça a été très instructif pour moi, et j'espère que pour elles aussi.