Orkhan Aghazadeh : la résidence comme tremplin
Le réalisateur azerbaïdjanais Orkhan Aghazadeh a été accueilli en février 2021 en résidence d’écriture de La Prévôté, à Bordeaux, dans le cadre du dispositif Jump In avec le Poitiers Film Festival et le festival Biarritz Amérique latine, pour travailler l'écriture du scénario de son projet de premier long métrage Le Prisonnier.
Dans quel contexte êtes-vous venu à Bordeaux pour travailler sur votre prochain scénario ?
Orkhan Aghazadeh : J'ai d'abord réalisé un court métrage, Les Chaises, sélectionné au Festival du film de Poitiers en 2018. Un an plus tard, en 2019, j'ai postulé à la résidence d'écriture de La Prévôté qu'ALCA propose en partenariat avec le festival de Poitiers et le festival Biarritz Amérique latine pour les réalisateurs étrangers qui veulent écrire leur premier long métrage. Ce programme s'appelle Jump In. J'ai été sélectionné grâce à mon scénario du Prisonnier.
Quand avez-vous participé à la résidence ?
O.A. : La résidence était initialement prévue en 2020 mais, en raison du Covid, elle a été reportée et a finalement eu lieu du 8 au 26 février 2021. Juste avant de venir à Bordeaux, j'étais à Paris pour la résidence de la Cinéfondation pour le cinéma avec six autres jeunes réalisateurs étrangers. Grâce à la bonne organisation de l'équipe d'ALCA, j'ai pu faire ces deux résidences l'une après l'autre, ce qui m'a été très bénéfique.
Dans quelle mesure la résidence de la Prévôté vous a-t-elle été utile ?
O.A. : L'équipe d'ALCA a été très accueillante avec moi. Ils ont essayé d'organiser autant de rencontres que possible, mais en raison des restrictions liées au Covid et au couvre-feu, c’était difficile. J'ai tout de même rencontré un consultant en scénario, Philippe Barrière, avec qui je me suis très bien entendu. J'ai eu deux séances de travail de trois heures avec lui et il m'a fait un retour très détaillé sur mon travail, soulignant tous les points positifs et les faiblesses du scénario.
N'était-il pas trop difficile d'être à Bordeaux au moment du Covid, sans connaître personne ?
O.A. : Je ne suis pas quelqu'un qui aime particulièrement les grandes villes. À Bordeaux, j'ai profité de mon temps pour travailler, mais j'ai aussi pu visiter les environs : Saint-Émilion, ses caves, ses vignobles, c'était très beau.
"J'ai ainsi rencontré François-Pierre Clavel de Kidam Production. Cette rencontre a été décisive car il est devenu le producteur de mon projet de docu-fiction Le Projectionniste."
De quelles autres manières La Prévôté a-t-elle facilité votre travail ?
O.A. : Noémie Benayoun et l'équipe d'ALCA ont organisé des rencontres avec des producteurs locaux. J'ai ainsi rencontré François-Pierre Clavel de Kidam Production. Cette rencontre a été décisive car il est devenu le producteur de mon projet de docu-fiction Le Projectionniste, en coproduction avec Lino Rettinger de Lichtblick, une société de production allemande.
Et votre projet de fiction, Le Prisonnier, de quoi s'agit-il ?
O.A. : C'est l'histoire de Rasim, 22 ans, qui va en prison à cause d'une blague que ses amis l'obligent à faire et qui tourne mal. En Azerbaïdjan, dans certaines zones rurales, il existe une tradition - que l'on retrouve également dans d'autres régions d'Iran ou d'Afghanistan : lors des célébrations de Nowruz, le nouvel an persan, un homme choisi par la communauté s'habille en femme et exécute des danses à la manière des femmes.
S'agit-il d'une tradition répandue ? Que signifie-t-elle ?
O.A. : Non, ce n'est pas une tradition très répandue, on ne la trouve que dans certains endroits en Azerbaïdjan. Rasim et ses amis se rendent dans un village qui ne connaît pas cette coutume et Rasim danse comme une femme lors d'un mariage. Le marié se met en colère, il y a une bagarre et le marié est tué. Rasim va en prison. Là, les prisonniers lui demandent de se déguiser et de danser pour eux. Lorsqu'il sort de prison, les autorités pénitentiaires lui demandent de revenir en ville et de danser. Il est piégé dans la ville, piégé dans ce rôle. Il rencontre une femme qui est également obligée de rester en ville pour d'autres raisons. Le film traite de cette relation : un couple qui n'est pas fait pour être ensemble, qui vit une vie dont ils ne veulent pas, mais qui trouve du réconfort dans la présence de l'autre.
Comment avez-vous eu cette idée ?
O.A. : Pendant la préparation de mon court métrage, j'étais dans un petit village rural et j'ai rencontré un homme habillé en femme qui dansait pour taquiner les autres.
"Je m'inspire simplement de films qui ont des thèmes similaires : un homme et une femme forcés de vivre ensemble, ou un paria qui essaie de survivre à sa manière : comme Naked (Mike Leigh), In The Mood for Love (Wong Kar Waï) ou Two Lovers (James Gray), par exemple."
Pouvez-vous nous donner une petite idée de la manière dont vous allez réaliser votre film Le Prisonnier ?
O.A. : À ce stade de l’écriture, je n'ai pas d'idées précises. Je ne veux pas me limiter. Je m'inspire simplement de films qui ont des thèmes similaires : un homme et une femme forcés de vivre ensemble, ou un paria qui essaie de survivre à sa manière : comme Naked (Mike Leigh), In The Mood for Love (Wong Kar Waï) ou Two Lovers (James Gray), par exemple.
Et votre court métrage Les Chaises, de quoi traitait-il ?
O.A. : Je l'ai tourné dans le cadre de mon master à la London Film School. C'est l’histoire d'un amour interdit. Un homme et une femme sont amoureux mais n’ont jamais pu se marier. Maintenant, ils ont la quarantaine, l'homme est veuf et la femme est mariée à quelqu'un d'autre. Ils ne se rencontrent qu'une fois par semaine lorsqu'ils montent sur la colline pour avoir du réseau. Et ils communiquent entre eux sans mots, en allumant et éteignant les lumières de leurs granges lorsque la nuit tombe dans leur village.
Parlez-nous de la production cinématographique en Azerbaïdjan.
O.A. : Comme vous le savez, l'Azerbaïdjan a fait partie de l'URSS pendant plus de 70 ans. À cette époque, les films étaient principalement des films de propagande destinés au public local. Il y avait une salle de cinéma dans chaque village. Et une fois par semaine, il y avait la projection d'un film. Puis, avec l'effondrement de l'URSS, l'Azerbaïdjan a connu des difficultés économiques. Des films étaient encore réalisés, mais ils étaient tous financés par l'État. Puis, il y a eu la guerre, et tous les films portaient sur ce sujet.
Et maintenant ?
O.A. : Maintenant, il y a une nouvelle génération de cinéastes qui veulent proposer de nouveaux thèmes. Mais l'Azerbaïdjan n'a pas le même système qu'en France ou en Allemagne. Il est assez difficile de trouver un bon producteur qui accepte de porter votre projet à l'extérieur. Le principal problème est le manque de producteurs et de sociétés de production.
Comment y êtes-vous arrivé ?
O.A. : J'ai étudié à Londres, avec trois autres compatriotes. J'ai reçu une bourse du ministère de la Culture. Mais mon contrat précisait que je devais retourner dans mon pays. Même si, en tant que cinéaste, on a du mal à s’en sortir à cause du manque d'opportunités. Heureusement, j'enseigne le cinéma à l'Université d'État des Arts et de la Culture de Bakou. Et je développe aussi un projet de documentaire.
Pouvez-vous nous en dire plus ?
O.A. : Le personnage principal est un ancien projectionniste qui travaillait avant la chute de l'URSS et projetait des films dans les villages. Il ne travaille plus, mais a gardé tout le matériel. Il lui manque juste la lampe de l’appareil de projection. Il est à la recherche de cette lampe pour organiser à nouveau des projections dans son village. Le film suit cette quête. Je pense qu'il y aura des éléments de fiction dans ce documentaire, ou peut-être dans la structure du film. Peut-être que je retournerai en Nouvelle-Aquitaine pour sa post-production, car nous avons déjà obtenu une aide au développement de la part de la Région. J'espère revenir à Bordeaux pour ça. Et pour ma fiction Le Prisonnier.
(Photo : Quitterie de Fommervault)