L'écrit pour faire dialoguer l'Homme et la nature
Hermine Yollo a été lauréate de la bourse d’écriture francophone Afriques-Haïti organisée par ALCA et l’Institut des Afriques (IdAf). Elle a, malgré les difficultés de circulation et les restrictions imposées par la situation sanitaire, réussi à venir à Bordeaux pour effectuer son séjour de six semaines l'hiver dernier. Malheureusement, à la suite du décès de sa grand-mère, elle a été obligée de partir plus tôt que prévu, une semaine avant le terme de sa résidence, mais elle nous a confié qu’elle avait quand même pu bien avancer sur son projet d’écriture, le roman Les racines du Baobab-Totem agrippaient la Lune, et qu’elle avait eu le temps de découvrir Bordeaux dont elle affirme avoir apprécié de flâner dans ses rues et ses environs malgré un emploi du temps contraint.
Le texte que je livre aujourd’hui puise sa matière dans les échanges qui ont eu lieu avec Hermine Yollo et qui se sont déroulés en trois temps. La première rencontre a eu lieu à sa résidence de la Prévôté, quatre jours après son arrivée à Bordeaux, la deuxième à la MÉCA, Maison de l’économie créative et de la culture de la Région Nouvelle-Aquitaine, où nous avons enregistré un entretien puisque la rencontre prévue avec le public n’a pas pu avoir lieu à cause des restrictions sanitaires, et la troisième, virtuelle, a eu lieu quelques semaines après son retour au Cameroun.
Une vraie enfant de la balle
"Mon enfance, confie-t-elle, ce sont des livres, du théâtre, des films, de la musique, tout ce qui tourne autour des arts… aller voir des spectacles de danse, des concerts … je suis une vraie enfant de la balle."
Le théâtre, Hémine Yollo est tombée dedans dès sa plus tendre enfance puisqu’elle est née dans une famille d’artistes. Ses deux parents étaient des comédiens et metteurs en scène qui ont fait partie de la Troupe du Théâtre national camerounais et qui ont fondé, en 1991, la compagnie Ngoti. Une troupe qui non seulement présentait des pièces de théâtre mais a joué un rôle important dans l’animation de la scène culturelle locale et africaine en organisant des ateliers et des résidences d'écriture.
"J’ai souvenir, raconte-t-elle, que quand on m’a demandé pour la première fois qu’est-ce que tu veux faire quand tu seras grande j’ai répondu : je veux faire du théâtre comme papa et maman. Et à chaque fois qu’on me posait cette question, la réponse a toujours été la même." C’est donc tout naturellement que la jeune Hermine s’est engagée dans la voie de la création artistique qu’elle ne quittera jamais. Cet apprentissage du théâtre se poursuivra de façon continue tout le long de sa carrière. Un apprentissage sur le tas comme elle dit, qui commença en observant le travail de ses parents, se poursuit en participant, dès le primaire, à des ateliers de théâtre organisés par son école, puis un peu plus âgée, à des stages et à des ateliers donnés par des professionnels ou parfois organisés dans le cadre de la troupe Ngoti. Même quand, poussée par sa mère, elle s’était inscrite à l’université de Yaoundé pour suivre des études en Lettres bilingues (français/anglais), elle n'avait pas abandonné sa passion puisqu’elle avait intégré la troupe du Théâtre universitaire au sein de laquelle elle a vécu une riche expérience qui lui a permis de rester au contact de la scène et de participer à des manifestations importantes comme le festival professionnel de théâtre international RTEIS (le plus grand festival de théâtre au Cameroun).
2004 et 2005 furent des années terribles pour la jeune étudiante qui a vu disparaitre successivement son père et sa mère. Elle avait le sentiment de "tomber dans un gouffre" et d’être "coupée de tout". Elle décida d’arrêta tout ce qui était artistique en s’éloignant de Douala, sa ville natale (, celle de ses parents), pour aller continuer ses études en intégrant une école de traduction (Asti) à Buea où elle passa deux ans. Master en poche, elle revient à Yaoundé pour s’établir à son compte en tant que traductrice indépendante. Mais encore une fois, malgré cette coupure, au fond d’elle la flamme du théâtre est toujours restée vivace.
Si Hermine a réussi à traverser les années difficiles qui ont succédé au décès de ses parents, c’est grâce à sa famille. D’ailleurs, lors de nos conversations, le mot "famille" revenait souvent dans sa bouche car, en effet, comme il est courant dans les sociétés africaines traditionnelles, celle-ci occupe une place centrale dans sa vie. Pour elle, cette famille n’est pas composée seulement des proches parents, des cousins et cousines mais elle s’élargit à celles et ceux qu’elle appelle les tontons et les tatas, les mamans et les mémés qui gravitent autour. Il s’agit d’une communauté où les liens qui unissent ses membres ne sont pas forcément de sang, mais aussi d’amitié, de solidarité et de partage. Et ce sont les tontons et tatas, anciens comédiens de la compagnie Ngoti "qui l’ont vu naître et l’ont portée bébé", qui l’ont encouragé à prendre une décision d’une grande importance qui changera le cours de sa vie : redonner vie à la compagnie Ngoti et perpétuer l’expérience et la mémoire des parents. Une responsabilité qui paraissait trop lourde pour les frêles épaules de la jeune artiste.
"Reprendre la compagnie Ngoti me faisait peur, mes parents avaient de l’expérience, ils avaient du métier derrière quand ils ont décidé de lancer la compagnie, qui avait une réputation et une notoriété internationale… En plus, eux, ils la portaient à deux. Pendant longtemps j’ai eu peur… Il s’agissait d’un héritage très lourd à porter que je le veuille ou non."
Poussée par son entourage et encouragée comme nous l’avons dit par les anciens membres de la compagnie, Hermine Yollo reprend les rênes de la compagnie Ngoti dont elle devient présidente-directrice en 2009.
On peut dire que c’est à partir de ce moment qu’Hermine Yollo a pris son véritable envol professionnel car, afin de réussir le grand défi de redonner vie à la compagnie, il fallait s’y consacrer entièrement et déployer tous les moyens possibles pour la faire vivre. C’est ainsi qu’elle signa ses premières réalisations : elle a mis en espace Tryptique, une lecture-spectacle, puis a joué dans Il avait plu sur la rose de l’autrice camerounaise Wegang Nicaise avant qu’elle ne se trouve, à la suite du départ du metteur en scène de la troupe à l’étranger, "obligée de réaliser sa première mise en scène" : Je déteste le théâtre d’Edouard Elvis Bvouma.
Il faut porter la voix des femmes sur scène
"L’écriture, affirme Hermine Yollo, est partie d’une urgence."
En effet, l’élément déclencheur pour se lancer dans l’écriture fut pour elle une quête qui s’est soldée par un échec. Après avoir passé quatre ans à chercher sans succès un texte qui parle des femmes et qui soit dit par des femmes, Hermine Yollo se rend à l’amère évidence : il n’existe pratiquement pas de texte qui remplisse cette condition.
"Je cherchais des monologues de femmes qui traitaient de questions qui m’intéressaient […] Je ne trouvais pas et je me demandais pourquoi il n’y avait pas beaucoup de femmes qui écrivaient des textes. Et souvent quand tu tombes sur un texte qui donne la parole aux femmes, il est écrit par des hommes. Où sont les femmes qui osent écrire, qui prennent cette parole-là ?"
Cet événement a fait prendre conscience à Hermine Yollo qu’il était urgent et nécessaire de redonner aux femmes africaines la place qu’elles occupaient jadis dans leurs sociétés, avant qu’elles ne deviennent patriarcales, en rendant leurs voix audibles sur scène.
Grande lectrice et aimant depuis toujours écrire, Hermine Yollo décida de combler cette absence béante de texte féminin en écrivant La Femme-Iset, une pièce qui met en scène un personnage féminin, Iseut et l’autre nom de la reine égyptienne Isis, dont elle emprunte les traits à l’une des figures féminines majeures de l’histoire africaine, à savoir Anne Zinga reine du royaume de Matamb (Angola). Une femme, selon Hermine, d’une force incroyable qui a combattu les Portugais. (Je n’ai pas réussi à dénouer l’écheveau de cette phrase-labyrinthe. S’agit-il d’un de deux ou de trois personnages ? Qui emprunte les traits de qui ? Entre la reine d’Egypte (Isis, sic), la reine de Matamb, Zinga et le personnage "féminin" d’Iseut ?)
En puisant sa fable dans l’histoire et l’imaginaire africains locaux, cette pièce révèle une autre préoccupation chez la dramaturge camerounaise qui prendra avec le temps plus d’ampleur, à savoir raconter une Histoire de l’Afrique qui a toujours été occultée voire effacée. Une autre Histoire qu’elle a appris à connaitre dès sa jeune enfance grâce à ses parents : "Ma mère me disait souvent que l’Histoire qui est écrite dans les livres correspondait très peu à la réalité. Il faut aller chercher ce qui n’est pas écrit, ce qu’il y’a derrière. L’histoire est écrite par les vainqueurs, ils se trouve que chez nous les vainqueurs ont été les colons et les esclavagistes." Et pour accéder à cette autre histoire occultée, il fallait emprunter d’autres voies dont la plus importante est celle de l’oralité.
"On nous a toujours appris que 'l’histoire est la connaissance du passé basée sur les écrits'. En fait c’était pour nous dire que vous peuples qui n’avaient pas d’écrits, vous n’avez pas d’Histoire. On apprenait ce genre de définition à l’école, mes parents me disaient que c’était faux. L’histoire se transmettait par l’oralité, par le scriptural."1
L’imaginaire africain est bien présent dans le projet du roman Les racines du Baobab-Totem agrippaient la Lune sur lequel Hermine Yollo travaille en ce moment. Un "conte écologique moderne" qui traite du rapport que l’être humain entretient avec l’environnement et la nature. L’Histoire de cette jeune fille née au sommet d’un Baobab millénaire qui lui transmet ses pouvoirs magiques est puisée dans les contes qu’Hermine a eu à lire ou à écouter quand elle était enfant. "Mon envie, dit-elle, de conter cette histoire à des jeunes et des adultes se nourrit de mon envie des veillées d'autrefois où, la nuit, mes grand-mères ou encore certaines de mes tantes et oncles nous racontaient des histoires issues soit du folklore, soit de leur imagination. Mais toujours c’étaient des histoires du temps où les animaux parlaient encore et où l’Homme comprenait le langage des plantes et de la Terre et communiquait avec les éléments."
Il faut aller à la rencontre de la scène artistique africaine contemporaine
Hermine Yollo fait partie de cette nouvelle génération d’artistes africains qui, tout en étant ouverts sur l’Autre et sur les différentes expériences artistiques mondiales, restent profondément attachés à leur continent où ils puisent leur inspiration et dont ils expriment les espoirs et les douleurs. Cette attitude est le fruit d’une formation qui fut en grande partie accomplie en Afrique grâce à des artistes africains. En effet, elle a eu l’occasion de parfaire sa formation en passant par quelques-unes des structures africaines phares dédiées à l’art et à la formation artistique comme "Mantsina sur scène" créée par l’auteur et le metteur en scène congolais Dieudonné Nianguna qu’Hermine apprécie énormément, ou "Récréâtrales", "espace panafricain d’écriture, de création, de recherche et de diffusion théâtrales" fondé par le comédien et metteur en scène Étienne Minoungou où elle a eu la chance d’être sélectionnée en 2017 pour participer à l’atelier de mise en scène dans le cadre de Labo Élan (programme de relance de l’activité théâtrale en Afrique). Elle y a vécu une riche expérience qui donna lieu à une co-mise en scène avec l’artiste sénégalais Moussa Doumbouya du spectacle Das Dong qui fut présenté dans plusieurs festivals comme le festival import-export (Nuremberg), ou au festival l’Univers des mots à Conakry (2019).
Lors de nos échanges, Hermine Yollo a souvent tenu à préciser qu’elle n’était pas la seule artiste qui se bat pour que l’art africain existe et rayonne, mais qu’elle faisait partie d’une mosaïque d’artistes qui évoluent sur tout le continent africain et qui font vivre, malgré les difficultés et le peu de moyens, les scènes culturelles locales.
On ne doit pas, selon elle, comme on est souvent tenté de le faire en Occident, réduire la création artistique africaine à quelques manifestations folkloriques ou à quelques noms promus et imposés par des parrains européens.
Si l’on veut vraiment découvrir la création artistique africaine contemporaine, il faut selon elle aller à la rencontre de créatrices et de créateurs de talent tels Joël Amah Ajavon (Togo) dont elle a monté le texte Juste savoir et "qui a une écriture très fine", Nicaise Magloire Wegang (Cameroun) qui a une écriture explosive, Cyril Juvenil Assomo (Cameroun), "un jeune auteur qui a un panache pas possible quand il écrit", Mariusca Moukengue, autrice et slameuse du Congo (République du Congo), Kokouvi Dzifa Galley (Togo), Kocou Yêmadjè (Bénin), Edouard Elvis Bvouma (prix RFI Théâtre 2017), Ambara Martin (Cameroun), Botomogne (Cameroun), Honorine Diama et Jeanne Diama (Mali), Souleymane Thiâ'Nguel Bah (Guinée - Prix RFI Théâtre 2020) ou Vhan Olsen Dombo (République du Congo) ou encore Djo Kazadi Ngeleka (République Démocratique du Congo). Et la liste est loin d'être exhaustive car "il faudrait aussi voir ce que recèlent comme trésor les dramaturgies africaines lusophones, anglophones, hispanophones, arabophones, swahili, etc. Bref, s'intéresser à ce vivier d'écritures plurielles, diversifiées, foisonnantes du Continent-Berceau, c'est s'ouvrir à des mondes plus vastes que ce que pourrait s'imaginer un public français", ajoute-t-elle.
"L’Afrique, conclut Hermine Yollo, c'est 54 États, c'est 54 conditions ou environnements ou réalités qui ont l’air de se ressembler mais qui sont différents, parce que ce n’est pas le même état d’esprit ni la même mentalité. Et même en Afrique francophone, ce sont 14 États, il y a pas mal de différences […] Les Africains n’ont rien à prouver à personne sinon à eux-mêmes. Nous sommes capables de faire, nous le faisons chaque jour. On pourrait nous accorder plus de crédit que cela. L’humanité est diverse, si on veut s’enrichir soi-même, il faut oser regarder ce que l’autre fait, écouter la pensée de l’autre, oser regarder la vision qu’a l’autre du monde."
1En 2020 Hermine Yollo écrit File(s) d’attentes, qui fut sa première pièce éditée aux éditions Le Jeune Auteur (ce texte a bénéficié de la résidence d’écriture Le Camaroes de Yaoundé, organisée par l’association Le Jeune Auteur).