"Macunaíma" ou l'âme transculturelle brésilienne selon Felipe Bragança
Dans le cadre des résidences internationales d’écriture Cinéma de La Prévôté portées par ALCA, le réalisateur brésilien Felipe Bragança a été accueilli à Bordeaux du 22 octobre au 12 novembre 2021, en partenariat avec le festival Biarritz Amérique latine. Il a ainsi pu se concentrer sur l’écriture de son projet de cinquième long métrage, après notamment Um animal amarelo (2020) et La Fille alligator (Não devore meu coração, 2017).
Ses films ont été sélectionnés à la fois à Cannes, à Locarno, à Rotterdam, à Sundance et à Berlin. Il est également scénariste des films d’autres cinéastes, comme notamment Praia do futuro (2014) et Le Ciel de Suely (O Céu de Suely, 2006) de Karim Aïnouz, Tourbillon (Girimunho, 2011) de Clarissa Campolina et Helvécio Marins Jr., ainsi que Mormaço (2018) de Marina Meliande.
Pouvez-vous présenter votre projet de film Macunaíma : pour le 21e siècle en l’état actuel d’écriture ?
Felipe Bragança : Notre Macunaíma : pour le 21e siècle sera le fruit d’une création à plusieurs mains : par moi, par l'artiste visuel Zahy Guajajara, par l'anthropologue Hermano Vianna et par l'artiste Denilson Baniwa. C'est un film fait d'échanges entre ces personnes. Une aventure qui réfléchit sur les identités brésiliennes, sur les dilemmes de la relation humaine avec la nature et sur la complexité de la vie telle que notre confrontation avec tout imaginaire basé sur l'élitisme, la xénophobie et les idées de pureté.
Comment ce film prolonge votre exploration du réalisme fantastique et du tropicalisme de vos films précédents ?
F.B. : Le film est une fabuleuse immersion dans les réalités brésiliennes, notamment dans le nord du Brésil, avec des histoires traversées par les légendes amazoniennes et par la violence contre les peuples et cultures indigènes. Nous irons au-delà de la souffrance du corps et de la culture non européenne sur le territoire brésilien, nous essaierons de parler de pouvoir, de capacité de transformation et de construction de nouveaux mondes comme caractéristiques de ces images appelées indigènes, qui à travers le temps ont été persécutées et massacrées... mais jamais vaincues. La réalité fantastique que nous proposons n'est qu'une réalité qui n'obéit pas à la manière hégémonique de dicter le réel. Macunaíma défie et joue avec tout cela. Il traverse les mondes et mélange tout. Il mélange le jeu et ne s'accorde pas avec les cartes préparées par n'importe quel "découvreur".
Quels liens aura votre film avec celui du même nom de 1969 du réalisateur Joaquim Pedro de Andrade ?
F.B. : Notre principale inspiration sont les écrits de Mário de Andrade et certaines des légendes amazoniennes qui entourent le personnage mythologique Makunaimã. Nous continuons d'enquêter, d'observer, d'écouter et de connaître les voix – telles que la voix puissante du grand artiste brésilien macuxi Jaider Esbell, décédé en 2021, et qui a proposé dans son travail l'installation de véritables mondes visuels. Dans ce cadre d'images, le film de Joaquim Pedro s'est imposé comme une œuvre fondamentale du cinéma brésilien des années 1960 et 70, en raison de la manière dont il abordait le livre de Mário de Andrade, et il recevra un petit hommage et notre désir sincère de dialoguer avec son statut iconique et des images puissantes.
"Macunaíma est la jungle qui nous interpelle et nous rappelle que nous ne sommes qu'une branche dans un vaste réseau de vies et de rencontres. Un grand contrepoint à tout imaginaire de pureté de conduite, de pureté raciale, de pureté culturelle ou de pureté religieuse."
Comment le film dialogue-t-il avec le Brésil d’aujourd’hui ? Que souhaitez-vous en refléter ?
F.B. : J'ai beaucoup parlé avec Zahy Guajajara et Hermano Vianna lorsque nous étions sur le point de commencer le processus d'écriture, et la question que nous nous sommes posée était : pourquoi Macunaíma aujourd'hui ? La réponse intuitive était déjà en nous, mais c'est au milieu de nombreuses conversations que nous avons compris que notre Macunaíma est en quelque sorte l'antithèse de tout le fascisme et la peur qui se sont emparés de l'imaginaire brésilien ces trois dernières années. Macunaíma est le désir généreux de connaître, de mélanger et de créer. Macunaíma est la jungle qui nous interpelle et nous rappelle que nous ne sommes qu'une branche dans un vaste réseau de vies et de rencontres. Un grand contrepoint à tout imaginaire de pureté de conduite, de pureté raciale, de pureté culturelle ou de pureté religieuse. Un contrepoint à l'idée d'une réalité statique et d'un système capitaliste invincible.
Comment s’est déroulée pour vous la résidence proposée par ALCA ?
F.B. : Il s’agissait de 20 jours où j’étais concentré sur l'écriture du scénario et l'étude des références visuelles du film, qui comprendra des effets visuels et de l'animation. Ces 20 jours de réflexion sont indispensables pour préparer la prochaine étape de développement, constituée de déplacements sur les lieux des futurs tournages. Cette résidence m’a également permis de planifier les déplacements importants à venir.
Comment envisagez-vous la production de votre film compte tenu de la disparition de l’Ancine (Agence nationale du cinéma) ?
F.B. : L'Ancine survivra à Bolsonaro et au néolibéralisme en rage qui l'a élu et dit maintenant qu'il le regrette. Notre film est actuellement en plein développement, financé grâce à un partenariat initial avec Globo Filmes et un prix que nous avons remporté suite à la carrière internationale des films précédents de notre société de production cinématographique, Duas Mariola. En outre, nous venons de recevoir l’appui de coproducteurs français et, peut-être bientôt, de partenaires dans la péninsule ibérique. Nous pensons qu'avec des partenaires européens et brésiliens, il sera possible de tourner dans un peu plus d'un an. Bolsonaro ne nous fera pas taire.
Comment s'est déroulée la présentation de vos films en sélection à Biarritz ?
F.B. : Le festival Biarritz Amérique latine bénéficie d’un public passionné. En raison de la pandémie, c'était la première fois que nous présentions Um animal amarelo sur grand écran depuis la première au festival de Rotterdam, six mois plus tôt. C'était une rencontre forte avec la force que le cinéma peut encore avoir dans une salle pleine de personnes qui partagent un même espace et un même temps.
(Photo : Esteban Chinchilla)