Sonate en 2 mouvements et à 4 mains
Un an après leur résidence à la fabrique Pola qui a vu naître l’installation "Alors de ce côté, ça va" issue d’une réflexion sur la double catastrophe de Fukushima, Marina Bellefaye et Hélène Ferrié-Otani poursuivent ce projet, au chalet Mauriac, du 15 septembre au 13 octobre 2014. Toujours sur le principe d’une écriture à 4 mains, elles reviennent sur la toute première matrice, la photo d’une fenêtre de maison japonaise, pour s’orienter cette fois, vers la création d’un poème fiction.
Vous avez toutes les deux "fait" l’École des Beaux-arts et ça vous a mené vers l’écriture, ce qui est inhabituel. Votre parcours depuis est semé de nouvelles structures éditoriales et de projets mêlant littérature, musique et arts plastiques...
Hélène Ferrié-Otani : Ça nous a habité très tôt. Mais jusqu’à présent notre travail autour de l’écriture s’inscrivait "dans la page du livre".
Marina Bellefaye : Mais le projet "Alors de ce côté, ça va" a vraiment modifié notre approche de l’écriture avec une présentation sonore et en volume.
Comment est donc né ce projet lié à la catastrophe de Fukushima ?
H.F.-O. : Ça part d’un point d’accroche personnel. On est allé au Japon avec mon mari, un an après, en 2012. Sa famille habite à 500 kilomètres de la zone sinistrée et son père lui a proposé d’y aller. Il a pris beaucoup de photos, on les a regardées et on en est resté là. Puis, on s’est retrouvées avec Marina et on eu envie de travailler ensemble sur un projet à 4 mains. La photo de cette fenêtre de Fukushima était encore posée chez moi. Elle nous a accrochées toutes les deux parce qu’au-delà de ce qu’elle représente, elle est totalement énigmatique et ça pourrait être n’importe où.
M.B. : Hélène m’a alors raconté ce que son mari lui avait dit de ce qu’il avait vu ; ces niveaux de narration étaient un point de départ parfait. On a commencé à écrire sur cette photo et à récolter des témoignages sur la catastrophe. Mais ce qu’en avait "traduit" les médias (radios, reportages, Internet...) nous a amené à creuser le contenu de ce qu’on trouvait. On a mis de côté ce qu’on avait déjà écrit et on a continué nos collectes ; on s’est réapproprié l’ensemble qu’on a totalement recomposé.
H.F.-O. : La masse de textes était conséquente ; on parlait de terreau, d’humus, c’était presque palpable ; on y entendait un brouhaha de paroles qui s’entrecoupaient se superposaient et créait une distorsion comme quelque chose qu’on n’entend même plus.
M.B. : Quand on a décidé que ce serait un objet en volume, que le texte serait porté sur trois murs délimités dans une pièce, on a tout écrit avec un crayon graphite puis on est repassé par-dessus parce que des parties s’effaçaient. Plus on repassait, plus ça se noircissait et plus ça disparaissait... Ce qui, finalement, était bien à l’image de notre matière : comme la radio qui égrène en boucle la même info...
Alors à quel moment cette photo est réapparue puisque c’est l’objet de votre résidence ici ? Elle évoque un espace très calme, très silencieux ; l’inverse de ce que vous venez de décrire.
H.F.-O. : En fait elle a toujours été là, en nous. Elle n’apparaît pas dans l’installation mais c’est comme si elle était le quatrième pan du mur. Et elle nous a fait passer du dehors au... dedans avec l’envie de créer une fiction. On a ressorti tous les textes écrits autour d’elle et on les a "versifiés" pour en extraire de petits blocs. On s’est aussi documentées sur la notion de catastrophe pour être plus générique.
Comment vous procédez pour écrire à 4 mains ?
M.B. : Le but est d’uniformiser pour que le lecteur soit face à une matière unique. On écrit séparément et ensuite on se lit, on choisit, on coupe, on colle et on monte. On fonctionne extrêmement bien ensemble ; on arrive à produire sans se perdre ni se diluer. La question de l’égo, on l’a vite évacuée. Et s’emparer d’une matière qui n’est pas la nôtre permet de maintenir une distance.
Pensez-vous que ce nouveau texte vous projettera encore "hors de la page" ?
H.F.-O. : On est arrivé hier au chalet et on commence déjà à mettre en place les fils de notre fiction. C’est plus narratif. On a deux personnages, on a un espace... On se donne comme objectif d’écrire le texte et de l’avoir en entier à la fin de la résidence. On aimerait quand même que ce soit un livre mais qui sait... "Sortir de la page", on ne l’avait jamais fait. Un projet comme celui-ci, ça peut paraître étonnant, mais on le choisit autant qu’il nous choisit ; alors comment savoir où il nous mènera...
(Photo : Centre international de poésie Marseille)