Jo Witek : peur sur le domaine
D’abord actrice, puis lectrice pour le cinéma et scénariste, Jo Witek a investi depuis plusieurs années le champ de la littérature jeunesse avec un vrai talent. Elle œuvre dans l’album et le roman pour adolescents où, de Récit intégral (ou presque) de mon premier baiser, en passant par Peur express et Un hiver en enfer, elle trace un parcours d’écriture à la fois divers dans ses genres, allant du roman confession au thriller, mais aussi et surtout terriblement cohérent et performant dans sa voix.
C’est à l’occasion de sa résidence de travail au Chalet Mauriac, en partenariat avec le Salon du Polar de Saint-Symphorien Du Sang sur la Page, qu’elle nous parle de son chemin, ses lectures et son prochain projet.
Comment s’est construite ton écriture ?
Jo Witek : Il est évidemment difficile d’aborder cette réflexion sans parler de soi, de la façon dont on a grandi. Je raconte souvent aux lecteurs en rencontre que l’écriture était pour moi plus jeune une question de survie. Elle m’est venue très tôt, comme une seconde respiration. J’ai été ensuite élevée chez les sœurs – ce qui n’est pas étranger au fait que beaucoup de mes livres traitent de l’enfermement –, dans une école avec de hauts murs, dans une forêt un peu semblable à celle qui nous entoure ici. Et dans cette école, pour tromper et l’ennui et le silence et la pesanteur d’une éducation religieuse très stricte, j’écrivais énormément de lettres. Des lettres que je conservais dans une grosse pochette et dans lesquelles je me posais pour moi-même toutes ces questions que je ne pouvais pas poser à voix haute. Des questions d’adolescentes auxquelles on ne me répondait pas, des questions considérées comme mauvaises car allant parfois contre le dogme et la morale. Jusqu’à ce qu’une religieuse trouve ces lettres et les lise toutes. J’y parlais de garçons, j’y parlais d’amour... J’ai été alors identifiée comme une jeune fille diabolique, dangereuse, et cette religieuse m’a mené la vie dure. J’ai quitté cette école, mais il m’en est resté un trauma – que j’ai compris bien plus tard, en croisant notamment l’expression de Beaumarchais : "métier d’auteur, métier d’oseur". Toujours est-il qu’après cet incident, ma pratique de l’écriture s’est brusquement arrêtée.
Elle n’est revenue que bien plus tard, après être passée par l’art dramatique – où un temps sûrement j’avais pensé que dire les mots des autres m’exposait moins. Je m’y suis remis à travers le scénario, ceux que j’ai conçus, mais aussi tous ceux que j’ai analysés, décortiqués, quand j’étais lectrice en charge d’acquisitions.
Ainsi au final, je crois que tous ces éléments fondent mon écriture. Ce mélange de culture théâtrale, cinématographique et littéraire explique tour à tour mon amour pour les atmosphères, ou les décors ou les dialogues. C’est le résultat de mon parcours, de mes lectures.
Quel type de lectrice es-tu justement ?
J.W. : Bordélique ! Je ne lis pas tout un auteur, je ne suis pas un chemin raisonné ou cohérent. Je suis une lectrice avant tout curieuse. Je n’ai pas une lecture organisée, méthodique comme pourrait l’être celle d’un universitaire – ce que je ne suis pas. Je peux passer de Virginie Despentes à Anna Karenine, lire en même temps un roman jeunesse et la poésie de Houellebecq. Je fonctionne aux coups de cœur, aux coups de tête. Un peu comme dans mon écriture. Par exemple, pour Peur Express, c’est le sujet qui m’a amené vers le genre. J’avais envie avant tout d’une histoire avec deux jeunes dans un huis clos à bord d’un TGV, et la peur est arrivée en cours. Ainsi j’ai écrit des thrillers, alors que je ne suis pas une lectrice de Noir. Je fréquente essentiellement la littérature française, les classiques russes, et beaucoup moins les auteurs anglo-saxons. Je ne lis plus trop de théâtre, je n’y ressens plus de plaisir, mais je peux encore aller voir des pièces.
En vérité, je ne sais pas très bien parler de ce que je lis. Je peux souvent oublier le titre, ou l’auteur, mais me souvenir très précisément d’un détail, d’une ambiance ou d’une atmosphère m’ayant particulièrement marquée. J’ai au final un rapport peu intellectuel à la lecture, une relation plutôt de l’ordre de l’émotion, du ressenti.
Tu es un mois en résidence au chalet Mauriac : pourquoi ici, pourquoi maintenant ?
J.W. : C’est la première fois que je pars réellement en résidence. J’aime bien l’idée de poser les bagages. Dans une vie d’auteur où l’on bouge pour faire beaucoup de choses, il y a parfois le risque de s’éloigner de l’essentiel – à savoir écrire. Et écrire c’est aussi et avant tout prendre du temps pour moi. Cela reste le truc de la petite fille de 13 ans, qui a besoin de respirer.
Quant au chalet, j’ai en fait eu ici même l’idée du roman sur lequel je travaille actuellement. Je suis venue l’année dernière voir quelques jours Guillaume1 qui était en résidence, et j’ai tout de suite aimé l’atmosphère qui plane sur les lieux, le domaine, la nature à la fois foisonnante et artificielle, l’horizon étrangement barré... Et puis ce domaine, cette demeure ont fait ressurgir des souvenirs d’enfance. Je me suis souvenue de cette éducation chez les sœurs, avec des enfants de milieux sociaux très favorisés, de famille aux fortunes colossales, quand j’étais moi fille d’une famille d’ouvriers avec quatre enfants et vivant en appartement.
Les lieux m’ont rappelé cette dichotomie étrange que j’ai vécue, et j’ai eu envie de traiter ce sujet, concevoir une histoire où je pourrais mettre en scène et la nature et l’opposition de milieux sociaux, de mœurs, de rapports. Pouvoir travailler ici, en plein cœur de mon décor est, pour ce projet spécifique, quelque chose d’important. J’ai très envie d’un roman un peu impressionniste, à la manière des romans anglais, avec une nature omniprésente, dont on peut percevoir les changements, les humeurs, le caractère tant nourricier... que parfois mortel.
1NDLR : Guillaume Guéraud, auteur et compagnon de Jo Witek