Joël Akafou et la "force révélatrice" du documentaire
Né en Côte d’Ivoire en 1986, à Bouaké, le cinéaste Joël Akafou, auteur du très juste Vivre riche, qui a fait la clôture du Mois du film documentaire 2017 en Nouvelle-Aquitaine à Biarritz, était en résidence au Chalet Mauriac à l'automne de la même année pour travailler sur son prochain documentaire. Un film qui questionne la traversée de la Méditerranée par de jeunes Africains.
Joël Akafou : Je n’ai jamais pensé être artiste ou cinéaste, j’ai d’abord fait de longues études philosophiques. Tout s’est déclenché en 2008 quand mon grand frère scénariste m’a dit de passer le concours de l’Institut national supérieur des arts et de l’action culturelle (Insaac) à Abidjan. J’ai été admis et, là, j’ai rencontré le théâtre. La scène m’est apparue bizarre, je n’aimais pas être devant. J’ai commencé à proposer des mises en scènes, peu à peu avec mes propres écrits. J’ai fait une première résidence d’écriture et un formateur m’a dit que j’écrivais en fait pour le cinéma. Ça m’a réveillé. J’ai commencé à voir et à manger des films, des styles de réalisation et à me dire que c’était ma vocation. L’envie de faire du cinéma sommeillait en moi, elle a pris le dessus.
Vous avez ensuite poursuivi vos études au Burkina Faso…
J.A. : Ma candidature avait été retenue par plusieurs écoles de cinéma mais je n’avais pas d’argent. J’ai fait une année "au carreau", sans boulot, à la maison, tout en cherchant des bourses mais cela a été très bénéfique. J’ai beaucoup écrit, j’ai appris à écrire. Ma mère a économisé pendant un an. L’année suivante, elle a pu payer mes études au Burkina à l’Institut supérieur de l’image et du son / Studio école (ISIS/SE), en réalisation audiovisuelle option fiction. J’ai aussi bénéficié d’une bourse d’État.
J’ai réalisé quatre courts-métrages en deux ans pour affiner ma réalisation et j’ai fait un documentaire collectif, Je danse donc je suis, qui a été primé en 2015 meilleur court-métrage au Fespaco1. Vivre riche a commencé avec un appel à projet d’Africadoc. Je suis allé en résidence à Bobo-Dioulasso et Saint-Louis au Sénégal. Cela a plu à des producteurs comme VraiVrai films, les Films de la Passerelle en Belgique et les Films du Djabadjah au Burkina. Puis à des chaînes de télévision européennes et l’aventure a commencé.
Vous étiez dans une formation de fiction mais vous êtes allé vers le documentaire…
J.A. : Des professeurs et des professionnels sont venus à l’école pour la partie documentaire, on a beaucoup discuté. Deux d’entre eux, dont Dragoss Ouédraogo, de Bordeaux, m’ont dit qu’ils sentaient que j’allais faire du documentaire. Cela m’a interpellé. Je me suis rendu compte que ce que j’adore dans le documentaire, c’est l’effet du réel, le fait d’essayer de capter le réel. C’est une force révélatrice sur des thèmes concrets qui est pour moi plus forte que la fiction. Je me suis dit qu’il valait mieux être celui qui arrive à raconter des histoires justes que celui qui cherche à raconter une histoire en cherchant la forme qu’il veut. J’espère avoir plus de force en captant et en faisant vivre le réel pour un public. Le documentaire est pour moi l’essence même du cinéma.
"Ils ne connaissent pas assez le sujet, contrairement aux producteurs africains."
J.A. : Déjà, ça m’a permis de faire un film ! Vivre riche n’a pas été financé par mon pays, je n’ai pas eu de financements africains. Ici, il a eu entre autres le CNC et la Procirep. Du côté artistique, c’est un autre regard. Tu as un retour des producteurs qui ne comprennent pas certaines choses. Ils ne connaissent pas assez le sujet, contrairement aux producteurs africains. Ils posent des questions pertinentes qui te permettent de mieux creuser dans ton écriture pour qu’elle devienne universelle. Ton sujet aborde ainsi un angle universel et ton film devient universel. Les productions Sud-Nord sont importantes car elles permettent une plus grande ouverture du sujet.
Quel est le projet sur lequel vous travaillez et pour lequel vous êtes en résidence au Chalet Mauriac ?
J.A. : C’est un film dont le titre provisoire est La mer ou ma mère. C’est le récit de jeunes Africains, dont un des personnages de Vivre riche qui, juste après le film, pendant que j’étais en montage à Bordeaux, m’a appelé de Libye pour me dire qu’il allait faire la traversée pour l’Europe. J’ai essayé de le dissuader mais il m’a dit une phrase qui m’a convaincu que je devais faire ce film : "Mieux mourir sur la mer que mourir devant ma mère". Dieu merci ! - la traversée avec quatre autres jeunes a marché et ils sont maintenant à Turin. Sa mère l’avait aidé à financer ce voyage. Je cherche à comprendre et à mettre en images cette forme d’amour d’une mère qui donne de l’argent à son fils pour une traversée suicidaire. Comment une mère en arrive là ? Pourquoi un fils en arrive là dans une société qui quelque part est riche mais qui offre peu de possibilités ?
"Mieux mourir sur la mer que mourir devant ma mère."
Qu’est-ce que vous apporte une résidence d’écriture comme le Chalet Mauriac ?
J.A. : Au Chalet, je ne sais pas comment l’expliquer mais il y a quelque chose qui te dit d’écrire. Tu en as envie quand tu te réveilles. Tout y est fait pour écrire et je l’adore pour ça. C’est l’ambiance, le cadre, la fraternité des gens autour, les autres résidents d’horizons divers avec qui tu discutes. Je suis face à moi, face à mon sujet, j’essaie de savoir ce que je veux raconter malgré tous les regards des autres parce qu’au final, le film, c’est mon film.
1Le Fespaco (Festival panafricain du cinéma et de la télévision de Ouagadougou) est l’un des plus grands festivals de cinéma aricains. Il a été créé en 1969.
2Co-productrice de Vivre riche, la société VraiVrai films est basée en Saintonge et à Mérignac. Ses deux coasssociés sont Florent Coulon, son fondateur, et Faissol Gnonlonfin.