La voix de Guillaume Bouzard
De Chizé, ce petit village des Deux-Sèvres, je connaissais sa forêt et son parc animalier. Et puis, j’y ai découvert Guillaume Bouzard. Sa boîte aux lettres recouverte d’autocollants multicolores, de messages préventifs et de recommandations amicales, en dit beaucoup sur l’humour du personnage. Les effluves de tarte aux tomates du jardin embaumaient son salon lorsqu’il a entrepris de me parler de ses lectures.
Quel lecteur étais-tu enfant et quel lecteur es-tu devenu ?
Guillaume Bouzard : Je ne suis pas un lecteur de livres sans image. Je suis un lecteur de bandes dessinées et un lecteur de magazines et de journaux. Je bosse pour Spirou, Fluide glacial, Le Canard Enchaîné donc je lis tous ces trucs-là et les magazines à deux balles qui sont chez le médecin. J’ai des livres chez moi parce que j’ai toujours été entouré de livres. Les romans que j’ai, je les ai chinés. La plupart, je ne les ai pas lus. Peut-être que je le ferais quand je serai à la retraite. Inconsciemment, je dois me dire ça, je lirai tous ces bouquins quand je ne pourrai plus dessiner.
Dans ma plus tendre enfance, mon père était ouvrier, mais lecteur, abonné au Canard Enchaîné. Il lisait de la bande dessinée, pas beaucoup parce que mes parents n’avaient pas beaucoup d’argent. Il m’a abonné à Spirou, je devais avoir sept ans. Ça a été la révolution pour moi. La première fois que j’ai lu Spirou, je suis allé me mettre sur les toilettes, c’est ce que je dis aux gamins, c’est le meilleur endroit pour lire. Je suis tombé sur Les Tuniques bleues et j’ai pris un flash. J’ai du mal à savoir si c’est la réalité, mais je suis persuadé que ce sont Les Tuniques bleues dans les toilettes qui m’ont donné le goût de la bande dessinée. Quand les gosses abandonnent le dessin vers sept ans, c’est à ce moment que j’ai mis les pieds dedans. Parmi mes autres lectures marquantes, il y a Le Club des Cinq. J’allais tous les samedis dans un petit magasin d’occasion à St Maixent l’École. Ma mère me donnait quelques francs et je me précipitais acheter Le Club des Cinq que je lisais pendant le week-end. J’avais peut-être dix ans. J’ai des souvenirs de lecture incroyables, des samedis entiers. J’étais embarqué. Ils partaient en bateau sur une île et je me voyais sur l’île. Je faisais partie du Club.
Des livres que tu as lus qui t’ont particulièrement marqué ?
G.B. : Les Megg, Mogg and Owl, d’Hanselmann. C’est hyper trash, c’est ce que je lis de mieux en ce moment. C’est une histoire de sorcière toxico qui couche avec son chat qui parle. C’est déjanté, drôle et fin. Ça va te plaire, c’est terrible. Sinon, je lis avec délectation L’Arabe du Futur de Riad Sattouf. Sa façon de raconter me plaît parce que Riad, il est malin, il est intelligent, il raconte bien sans en faire des tonnes. Il sait tout doser. C’est aussi fort que Maüs dans les années quatre-vingt, une pierre angulaire de la bande dessinée autobiographique et des romans graphiques. J’ai lu beaucoup d’autobiographies à la belle époque des maisons d’édition indépendantes, quand l’Association s’est montée, Les Requins Marteaux, Six pieds sous terre. J’adorais et j’adore encore Menu, ses autobiographies très rock me parlaient beaucoup. J’aimais aussi le travail de Mattt Konture, Approximativement de Lewis Trondheim, le boulot de Laurent Lolmède. Et à un moment, tout le monde en faisait et ça m’a fatigué. C’est pour ça que j’avais créé chez Les Requins Marteaux Autobigraphy of me too, le truc un peu con. Je voulais moi aussi faire de l’autobiographie sauf que dans ma pauvre campagne, il ne m’arrive rien de passionnant donc j’étais obligé de broder. C’était un clin d’œil pour me moquer de cette vague d’autobiographies qui était un peu plombante, mais ça m’a ouvert une voie de création. La fiction me permet de partir dans tous les sens. C’est plus facile de se dire qu’on n’a pas de limites. L’humour permet ça. L’humour te permet d’aller partout sans trop te poser de questions. Ce que j’adore lire aussi, c’est Les Cavaliers de l’Apocadispe de Libon, c’est tellement drôle.
En quoi l’humour est-il important pour toi ?
G.B. : L’humour, c’est une arme redoutable. C’est terrible et j’adore ça. Faire rire, c’est beaucoup plus dur que de faire pleurer. Tu peux sourire et avoir du plaisir en lisant de l’humour, mais l’éclat de rire c’est quelque chose qui n’est pas contrôlé, c’est une bombe. Quand je lis, ça m’arrive rarement d’éclater de rire et ça m’arrive de moins en moins parce que j’ai lu tellement de choses que ça me surprend moins, mais quand ça m’arrive, c’est une jouissance ! Et les éclats de rire marquent ma mémoire. Mon but ultime dans la vie, c’est de faire rire à travers mes BD et quand c’est le cas, c’est réussi. Mon premier éclat de rire, je les dois à Daniel Gossens. Pour moi, c’est le meilleur. J’aime bien l’humour débile qui n’a pas trop de sens, mais qui s’accroche à quelque chose de réel. Quand ça gratte un peu, je trouve ça plus drôle et plus intéressant, mais il faut que ce soit mis en scène, il y a tout un cheminement pour amener l’éclat de rire.
Tes lectures ont-elles influencé ta façon de raconter tes histoires ?
G.B. : Probablement parce que j’ai des réminiscences de certaines lectures de bandes dessinées. Une phrase, une citation. Le Club des Cinq m’a beaucoup marqué. J’ai voulu en relire quand mes gamins étaient petits. Tous les soirs, on leur lisait un bouquin. C’était un moment privilégié. J’ai voulu leur en lire un, mais ils n’ont pas du tout accroché. J’étais assez déçu. Et il y a quelques années, j’ai fait une parodie chez Fluide Glacial : Le Club des Quatre. J’ai pris les mêmes personnages, mais j’ai changé les prénoms et j’ai enlevé le chien. Il y a François, un grand blond élégant, intello précieux, que j’ai appelé Jean-Francis. Il y avait Annie, la blonde un peu cul-cul, je l’ai appelée Anita. C’est la pauvre fille gourde. Il y avait Claude le garçon manqué, je l’ai appelé Jean-Claudine. Mike, il me semblait plus punk rock, un peu plus sombre, et plus déglingo, et je l’ai appelé Mickey et il chambre Jean-Francis qui joue au tennis.
"Le prix à payer, c’est que je pêche parfois sur la fin de l’histoire qui accélère trop vite parce qu’il faut que je finisse. Mais c’est ma façon de travailler."
Pareil pour Lucky Luke, ça fait partie des personnages que j’avais lus quand j’étais gosse. Pour faire mon Lucky Luke, je voulais tous les relire, j’ai commencé par les deux premiers et je me suis ennuyé terriblement parce qu’il n’avait pas encore ce qu’a apporté Goscinny. Je me suis dit finalement, ce qu’il me reste de Lucky Luke, ce sont les images que j’ai en tête, de mes lectures de gamin donc je vais le faire en me basant sur mes souvenirs. J’avais des images très précises qui revenaient, ce qui est étonnant trente ou quarante ans après, et je suis parti en écriture automatique. J’ai commencé, je ne savais pas du tout où j’allais. Il faudrait que j’écrive un scénario ou un chemin de fer, mais je trouve ça pénible : j’ai l’impression de faire deux fois le même travail. Quand tu improvises, tu te surprends toi-même. Le prix à payer, c’est que je pêche parfois sur la fin de l’histoire qui accélère trop vite parce qu’il faut que je finisse. Mais c’est ma façon de travailler.
Quand tu dis que tu n’es pas un grand lecteur, qu’entends-tu par là ?
G.B. : Je ne suis pas un grand lecteur de livres sans image. J’aime bien pouvoir m’y plonger quand j’ai le temps, mais c’est très rare que je puisse m’octroyer ce temps-là et j’aime avoir le temps. Quand je lis des bandes dessinées en plusieurs tomes, je prends une journée et je lis tout d’un coup. Blast de Larcenet, j’ai pris la journée et j’étais dans Blast. J’ai une mémoire très visuelle, plus pour l’image que pour le texte. Quand je vois une pochette de disque, elle est imprégnée dans ma tête, mais je suis incapable de retenir le titre. Je suis plutôt un lecteur d’image que de texte, à tel point que ce que je vais retenir dans le mot, c’est la typo et pas le sens.