Les Monstres
Maud Mayeras explore une nouvelle fois des univers singuliers, territoires obscurs qui charrient toutes les scories de l’âme humaine et cela dans un rythme de ruptures. Après Hématome (2006), Reflex (2013) et Lux (2016), aux éditions Anne Carrière, Les Monstres, sorti en octobre 2020 et en lice pour le prix littéraire des lycéen/nes et apprenti/es de Nouvelle-Aquitaine De livre en livre, confirme le talent d’une autrice à l’univers intérieur singulier.
Les Monstres, une histoire sombre ? Maud Mayeras nous laisse découvrir pas à pas ce "terrier" dans lequel vivent une mère et ses enfants, les "monstres". Sales et affamés, ils survivent grâce à l’amour qui les réchauffe et surtout grâce à Aleph, l’immense, le père, qui les ravitaille, les éduque et les prépare patiemment au jour où ils pourront sortir. Parce que, dehors, il y a des humains. Parce qu’eux sont des monstres et que, tant qu’ils ne seront pas assez forts pour les affronter, ils n’ont aucune chance. Mais un jour Aleph ne vient pas et la nourriture manque, un jour les humains prédateurs frappent à la porte. Alors on quitte avec les monstres le "terrier" et son odeur immonde, pour l’extérieur et son odeur de pluie et de dangers. Alors, prêts ou pas, il va falloir faire front, survivre. Et là, le roman bascule en un conte macabre qui nous bouscule et nous tient en haleine jusqu’à la dernière page. Vous n’en saurez pas plus, il vous faudra seul découvrir l’histoire de cette famille.
Maud Mayeras se nourrit d’influences pour l’écriture des Monstres. Ce n’est pas une première expérience de l’écriture pour elle, mais il y a quelque chose de différent parce que c’est un nouveau monde. "C’est un roman qui était en fermentation", dit-elle. Plusieurs faits réels au fil des années rejoignaient l’histoire qu’elle voulait écrire, l’incitant à retranscrire autant sa fascination que son écœurement. Un sujet qui la travaillait, profondément troublée par le pouvoir de vie et de mort que peuvent avoir les adultes sur les enfants. C’est peut-être cela le point commun entre tous ses romans : la rupture, la bascule vers le mal et la présence des enfants qui eux seront malmenés.
Les Monstres est construit et se lit comme un scénario, avec comme point d’ancrage le terrier. Outre les influences littéraires de genre, le cinéma l’inspire fortement : "Les films d’horreur sont à la base de mes romans, mais aussi les films noirs coréens et des séries comme Breaking Bad - une chronique de la monstruosité ordinaire ou comme The Killing –, thriller sombre et haletant". Et son écriture, sous influence cinématographique, évolue au cours de ses romans : "Les séries entre autres incitent à des chapitres courts, de nouveaux formats auxquels on se plie".
Les Monstres, écrit sous le signe de la rupture : rupture dans le rythme de l’histoire elle-même, rupture des chapitres, rupture aussi entre l’enfermement et l’extérieur et rupture enfin dans l’évolution de l’histoire. Avec ce rythme, la langue de Maud Mayeras charrie tous les codes du frisson, de l’horreur et son écriture convoque les sortilèges du conte, la cruauté de l’inconnu et de l’enfermement, l’enquête et le drame.
Qu’est-ce que ce terrier : un enfermement avant l’espoir d’un monde victorieux où les monstres prennent le pas sur les humains ? Le texte possède une forte puissance métaphorique, soutenu par la construction en courts chapitres avec des intermèdes narratifs, un décrochement du récit, les contes dans le conte. Ces courts extraits de contes terribles qui nourrissent l’imaginaire des monstres, sont des respirations qui ne font qu’accroître le sentiment d’étrangeté et d’oppression. Le terrier devient le creuset de nos peurs. Dans ses lectures, Maud Mayeras "dit chercher des livres qui vont la remuer fort, avoir besoin qu’un roman provoque des montées d’adrénaline".
"Les Monstres est une fable cruelle qui s’incarne si concrètement que sa lecture constitue une épreuve physique : la suffocation et le dégoût sont les sensations dominantes, et pourtant, ce livre relève de l’envoûtement et nous tient en haleine pour comprendre ce monde inconnu, pour élucider les mystères de l’histoire."
"Je me cache et j’attends jusqu’à ce que les humains ne représentent plus de danger. Si la faim me tenaille, si ma gorge est sèche, alors j’attends encore, qu’il n’y ait plus le moindre bruit dehors. Sinon les humains me tueront…" Les Monstres est une fable cruelle qui s’incarne si concrètement que sa lecture constitue une épreuve physique : la suffocation et le dégoût sont les sensations dominantes, et pourtant, ce livre relève de l’envoûtement et nous tient en haleine pour comprendre ce monde inconnu, pour élucider les mystères de l’histoire.
Est-ce un thriller ou plutôt une écriture avec des sensations, des odeurs, plus que des mots ? Les Monstres triture les genres et devient un roman de littérature et non juste un roman noir. Si la reconnaissance du genre est simple et presque instinctive une fois lu Les Monstres, la réelle identité de ce texte est, en revanche, plus compliquée. Les frontières de l’horreur deviennent poreuses et fluctuantes. Les Monstres ne repose pas uniquement sur les codes singuliers du thriller, sentiment de peur et tension, mais aussi sur des sensations, des odeurs, le toucher des corps, une enquête, la nécessité de comprendre, de sauver.
C’est un roman empreint d’humanité, porté par des personnages d’une extrême tendresse : l’amour d’une mère pour ses enfants, les petits bonheurs quotidiens, la force vitale de ces deux enfants qui veulent survivre, retrouver leur mère et leur terrier. Ces enfants dont les rêves aiguisés par la fièvre et les épreuves forment des mythologies sont autant de ferments d’une humanité avant une bascule fatale. Si la mère les berce d’imaginaire, l’ogre, lui, les prépare à un monde post apocalyptique où l’humanité n’a plus rien d’humain. Le symbolisme associé à Aleph est celui du commencement : c’est l’élan premier, le souffle créateur. Mais vers quelle pensée et quelle folie ? Les personnages hors du terrier, en contre point, ne sont pas de simples faire-valoir. Policier et médecin participent au déroulé de l’intrigue et forts de leur humanité, tenteront de réparer au mieux ces individus brisés par la folie de l’ogre. Le final est rugueux, glaçant comme tout le roman d’ailleurs.
Maud Mayeras termine son roman par une "playlist - bande originale" mentionnant les morceaux susceptibles d’accompagner au mieux la lecture : encore une manière de nous dévoiler son univers intérieur singulier, bien singulier.
Les Monstres, de Maud Mayeras
Éditions Anne Carrière
320 pages
19 euros
octobre 2020
ISBN : 978-2-843-37885-0