L’Homme et le loup
Imaginez-vous perché sur un promontoire, dominant une immense plaine mongole traversée par quelques chevaux au galop. Vous y êtes ?
Surtout, ne faites rien, laissez-vous absorber par l’environnement, ouvrez vos yeux, vos oreilles et ne dérangez rien : une rencontre va avoir lieu. Un homme, nécessairement nomade, et un loup, forcément sauvage.
En un long poème, l’auteur Mickaël El Fathi* raconte le lien qui unit ces deux êtres, à la manière d’une histoire d’amour. La rencontre (fortuite ?) sur un territoire commun, les similitudes de vie qui les poussent à se ressembler, la musique de l’homme qui se mêle au chant de l’animal, et puis, parfois, les disputes mémorables. Mais la connexion est toujours là, qu’importent les saisons et les migrations. D’ailleurs, quand l’homme devient père, c’est au loup et à son louveteau qu’il présente sa fillette. Le lien perdura bien après eux et le chant, à quatre voix désormais, prend de l’ampleur.
Voilà l’histoire que nous propose Mickaël El Fathi, écrivain voyageur, à la suite de son retour de Mongolie. Son texte poétique se déploie dans un album grand format, nécessaire pour accueillir les images d’Odile Santi, dont c’est la quatrième collaboration avec les éditions courtes et longues. Cet éditeur parisien propose pour la jeunesse de beaux livres accessibles, souvent situés à la croisée des chemins, entre documentaire et fiction, entre réel et imaginaire. Si la maison d’édition a souhaité qu’Odile Santi illustre le texte de Mickaël El Fathi, c’est parce qu’elle a "un traitement particulier et exceptionnel de la lumière et des paysages. Ses images, en sublimant les grands paysages, appellent vraiment le voyage."
L’illustratrice, en grande habituée des carnets de voyages, "ne connai(t) pas l’auteur mais adore son texte et les histoires qui permettent de faire des voyages culturels." Elle accepte sans hésiter d’illustrer Au pays des loups qui chantent.
"Mickaël m’a transmis ses photos de voyage personnelles, j’ai aussi visionné des documentaires et regardé de nombreuses photos de Mongolie pour travailler les paysages."
L’artiste renforce dans ses dessins l’immensité des paysages en proposant exclusivement des doubles-pages marquées de profondeur. "Mickaël m’a transmis ses photos de voyage personnelles, j’ai aussi visionné des documentaires et regardé de nombreuses photos de Mongolie pour travailler les paysages. Pour composer, je combine différentes bases photographiques."
Quelques rares gros plans réalistes sur le loup et un cadrage sur la fillette juste née dynamisent le rythme de l’album. Le passage du temps sur la journée et sur la succession des saisons se retrouve dans le choix des teintes et les variations de lumière : la dominante crépusculaire est parfois interrompue par la lumière du grand jour pour mettre en valeur les nuances vertes et ocres des steppes. Les images d’Odile Santi sont réalisées à l’acrylique et à la gouache, base sur laquelle elle applique ensuite des rehauts de crayons de couleurs.
Une double-page adopte un style franchement différent du reste de l’album : beaucoup moins réaliste, beaucoup plus graphique, en rouge, blanc et noir, cette illustration nous présente le loup tel qu’on a l’habitude de le rencontrer dans les contes traditionnels. Effrayant, yeux rouges, pattes griffues, gueule ouverte et crocs menaçants, il est à l’opposé de l’animal que l’on découvre dans le reste de l’album. D’ailleurs, à ce moment du récit, Mickaël El Fathi fait le choix de s’adresser directement à son lecteur :
"Oh, je vous vois venir…
un loup de contes, pensez-vous !
Un loulou,
un loup-garou,
un loup déguisé, un vilain loup…
Non, celui qu’on aperçoit
là-bas arpente les montagnes,
nu, sauvage et libre.
Ni méchant, ni gentil.
Un loup, tout simplement."
Cette mise au clair effectuée, la narration reprend, laissant le lecteur de côté, l’oubliant complètement. Seuls comptent le loup et l’Homme, et nous avons la chance de pouvoir les regarder vivre.
Alors que notre périmètre d’exploration s’est réduit ces derniers mois, ce livre nous emmène au loin et nous invite, aussi, à nous intéresser à la nature toute proche : observer les variations de lumière tout au long de la journée, regarder au loin, écouter, débusquer la vie tout autour. De quoi donner un peu d’espace aux enfants, à partir de 6 ans.
Au pays des loups qui chantent
Mickaël El Fati et Odile Santi
Éditions courtes et longues
Mars 2021
48 pages
22 euros
ISBN : 9782352902683
*L’auteur n’était pas joignable au moment de la rédaction de cet article.