Sans fleurs et sans couronnes
Michel Benoit, romancier nivernais, chapeau vissé sur la tête à la Simenon, nous convie à un nouveau rendez-vous aux éditions limousines Lucien Souny, dans leur collection de romans policiers, Plumes noires.
Après avoir accompagné ses lecteurs des treize aventures du commissaire Augustin Merle, cycle entamé en 2010 avec La Belle Marinière, ce romancier généreux et prolifique, écrivant quatre à cinq romans par an, lance un nouvel héros dans la grande famille du polar. À la suite de la rencontre avec sa nouvelle éditrice Véronique Thabuis, est paru en mars 2021 Sans fleurs et sans couronnes, fiction noire au format de poche idéal afin de plonger dans les affres rocambolesques et attachantes d'Ethon Blimiec, détective privé à "l’Agence Mogador, Paris treizième. Toutes enquêtes et filatures, privées, industrielles et commerciales"... Le ton est donné. Notre héros, dont le nom est l’anagramme de l’auteur, est un ancien de la maison "poulaga", en rupture avec une autorité ne supportant pas ses méthodes et son côté atypique, connaissant tous les ressorts d’un milieu qui le rejette. Se déroulant dans une époque pas si lointaine, les années 80, dans laquelle les voyous ne communiquent pas encore par téléphone portable et les flics filent les suspects jusqu’à l’ennui et ne les confondent pas avec leurs ADN, ce roman policier pittoresque, jouant avec la nostalgie d’une période typée dans l’imaginaire collectif – de Coup de torchon à Peur sur la ville – joue avec tous les codes du genre, rappelant les univers d’Audiard et de Simenon. Ancien de la police judiciaire, Ethon Blimiec s’est reconverti en créant sa propre agence de détective privé, rue de la Butte aux Cailles à Paris. Loufoque, libre, charmeur, provocateur, endetté, beau parleur, téméraire… il va se retrouver un beau matin avec un cadavre sur le dos… littéralement. Sorti de son lit par la sonnerie de son entrée d’appartement de la cité Ribot, un corps, un couteau Laguiole planté entre les omoplates, va s’affaler de tout son long sur ce pauvre Blimiec interloqué et désarmé, persuadé d’être victime d’un cauchemar. S’en suivra la venue du commissaire Clérambar et de son brutal colistier Lafond au "charisme d’un beignet". À partir de cet imbroglio meurtrier, le détective et les policiers vont poursuivre la pelote d’une intrigue qui va s’épaissir de drôles de personnages, tous liés aux investigations d'Ethon Blimiec, pris dans la tourmente et la fatalité du danger permanent. La venue à l’agence d’un certain Alexis Kromsky va le catapulter dans une histoire de trahisons et d’espionnage industriel qui va le mettre sur la sellette, au péril de sa vie. Il va méthodiquement s’attacher à trouver la vérité dans un monde obscur et d’énigmes à tiroirs, des réponses à de drôles de carambolages de destins, quitte à doubler ces policiers qui lui cherchent des ennuis.
"L’écriture à la première personne permet une expérience immersive, au plus près de l’action, comme cette scène à la Blondin, à la terrasse d’un rade appelé Verre à soi, rappelant cette culture presque oubliée des bistros, ces ambiances enfumées partagées par de drôles de zigotos aux histoires bues jusqu’à l’aube..."
Filatures, interrogatoires, castagnes, mystères, voyous, complots, fouilles, infidélités, vengeance, femmes fatales et des Serbes… tous les ingrédients narratifs donnent une première enquête extrêmement attachante et remuante, jusqu’à la dernière page. Beaucoup des personnages resteront à coup sûr dans les prochains titres de la collection. À commencer par le chat de Blimiec, Clodo. Recueilli par le détective, ils se sont choisis, comme deux doubles mis au ban d’une société trop formatée pour eux. Il y a également Nathalie, "un Modigliani", secrétaire effacée et opiniâtre de notre compagnon, mais qui va révéler une féminité et une malignité peu commune… La Fouine aussi, porte flingue d’Ethon Blimiec, qui va jouer un rôle essentiel dans le futur de notre ancien flic… Les flics justement ; Clérambar, le commissaire, suspicieux et s’acharnant sur lui, toujours un temps de retard, aidé par Lafond, flic mal dégrossi et violent. Et comment ne pas citer Mme Saingery, la concierge de la résidence de Blimiec, au passé trouble, qui a l’œil sur tout, pleine d’empathie sur son drôle de locataire malgré les retards de loyers… Dans le roman de Michel Benoit, les femmes jouent un rôle primordial, le détective "belle gueule" ayant un faible pour elles, ne se privant pas d’aventures bien aventureuses parfois. Il appartient à une autre époque, celle où les hommes s’amourachent de belles voitures, la Daimler XJ 40 blanche en l’occurrence, et s’abandonnent aux sirènes de longues paires de jambes. L’écriture à la première personne permet une expérience immersive, au plus près de l’action, comme cette scène à la Blondin, à la terrasse d’un rade appelé Verre à soi, rappelant cette culture presque oubliée des bistros, ces ambiances enfumées partagées par de drôles de zigotos aux histoires bues jusqu’à l’aube... Ce n’est pas un hasard si Michel Benoit a publié une sélection de chroniques écrites sur son blog, sous le titre Mes pensées, mes chagrins, mes coups de gueule ! suivi des nouvelles du bistro d’en bas*. Essayiste, historien, auteur de théâtre, éditeur et romancier, on sent toute l’affection qu’il porte à tous ses personnages. Ethon Blimiec le premier, célibataire avec chat, privé désargenté, margoulin aux yeux vairons.
Sans fleurs et sans couronnes est le premier opus d’une série de polars au personnage récurrent ; les prochains, Rue de la Grande Muette et Fiché à vie, devant sortir respectivement en librairie en juin et septembre 2021. Pour accompagner la parution de cette nouvelle collaboration avec les éditions Lucien Souny, l’auteur a également investi l’artiste musicien Alban Bouquette pour une mise en musique du roman. De quoi aborder la galaxie généreuse de Michel Benoit et de son nouvel héros Ethon Blimiec avec beaucoup de plaisir et de gourmandise !
Sans fleurs et sans couronnes, de Michel Benoit
Lucien Souny, collection Plumes noires
Mars 2021
128 pages
6,90 euros
ISBN : 978-2-84886-849-3
*éditions Rue des Boucheries