Ana Maria de Jesus et les fantômes de la technologie
Pionnière du webdocumentaire avec le projet Thanatorama, Ana Maria de Jesus expérimente constamment : naviguant entre documentaire, jeu vidéo, web et dessin animé, elle est animée par l’idée de créer des nouveaux objets, avec pour fil rouge l'envie de raconter des histoires. Les fantômes de Moogle street est sa prochaine, qu’elle a travaillée ce printemps au Chalet Mauriac.
Avant d’en venir au projet développé pendant votre résidence, j’aimerais que l’on aborde votre parcours…
Ana Maria de Jesus : En fait, je n’ai jamais cessé de me former. J’ai commencé à travailler dans le multimédia en réalisant des petits dessins animés pour le site internet du journal jeunesse Mon Petit Quotidien. Malheureusement l’audience était faible car c’était le tout début de la présence en ligne pour la presse papier. En parallèle, je me suis intéressée à la vidéo et j’ai suivi une formation pour faire du documentaire. J’ai finalement pu réaliser un projet qui regroupait web et audiovisuel avec Thanatorama. À la base, c’était le projet de deux amis photographes qui ont enquêté sur tout ce qui touche à la mort en Occident. Ils ont sollicité de nombreux éditeurs, qui se sont montrés frileux face à un tel sujet, bien qu’encourageants sur la qualité du travail réalisé. Je leur ai finalement proposé d’en faire un site web et c’est devenu en quelque sorte le premier webdocumentaire. Thanatorama a eu un très bon accueil critique, ce qui nous a donné de la visibilité. J’avais réalisé à l’époque que la fréquentation de certains sites web pouvait atteindre plusieurs milliers de personnes, quand des amis à moi présentaient des court-métrages qui représentaient des mois de travail devant seulement une poignée de personnes ! J’ai trouvé cette nouvelle forme de diffusion très puissante.
Donc le choix du numérique est lié à l’audience plutôt qu’à la technique ?
A.M.J. : C’est un peu les deux ! Je maitrisais déjà ces outils, c’était donc naturel d’aller vers cette voie. Et il y a quelques années, faire un site internet pour raconter une histoire n’était pas quelque chose de très courant. La dimension expérimentale permet de faire cohabiter des techniques très différentes, ce qui donne des objets nouveaux.
Vous êtes-vous rapidement confrontée à la question du modèle économique ?
A.M.J. : Pas vraiment. À la suite de ce projet, j’ai commencé à travailler avec d’autres gens, par exemple avec les équipes du monde.fr. Pour devenir un média moderne, il fallait passer par l’étape de l’expérimentation et la société disposait d'un véritable laboratoire numérique. Les conditions étaient exceptionnelles : je travaillais avec d'autres professionnels, photographes, preneurs de son, etc., sans avoir à me préoccuper de la dimension économique. Les projets du monde.fr étaient soutenus par des fonds publics, le CNC en particulier. De mon côté, j’ai longtemps donné des formations au web-documentaire à des réalisateurs qui souhaitaient s’orienter vers ce domaine pour pouvoir financer mes projets.
Ana Maria de Jesus : En fait, je n’ai jamais cessé de me former. J’ai commencé à travailler dans le multimédia en réalisant des petits dessins animés pour le site internet du journal jeunesse Mon Petit Quotidien. Malheureusement l’audience était faible car c’était le tout début de la présence en ligne pour la presse papier. En parallèle, je me suis intéressée à la vidéo et j’ai suivi une formation pour faire du documentaire. J’ai finalement pu réaliser un projet qui regroupait web et audiovisuel avec Thanatorama. À la base, c’était le projet de deux amis photographes qui ont enquêté sur tout ce qui touche à la mort en Occident. Ils ont sollicité de nombreux éditeurs, qui se sont montrés frileux face à un tel sujet, bien qu’encourageants sur la qualité du travail réalisé. Je leur ai finalement proposé d’en faire un site web et c’est devenu en quelque sorte le premier webdocumentaire. Thanatorama a eu un très bon accueil critique, ce qui nous a donné de la visibilité. J’avais réalisé à l’époque que la fréquentation de certains sites web pouvait atteindre plusieurs milliers de personnes, quand des amis à moi présentaient des court-métrages qui représentaient des mois de travail devant seulement une poignée de personnes ! J’ai trouvé cette nouvelle forme de diffusion très puissante.
Donc le choix du numérique est lié à l’audience plutôt qu’à la technique ?
A.M.J. : C’est un peu les deux ! Je maitrisais déjà ces outils, c’était donc naturel d’aller vers cette voie. Et il y a quelques années, faire un site internet pour raconter une histoire n’était pas quelque chose de très courant. La dimension expérimentale permet de faire cohabiter des techniques très différentes, ce qui donne des objets nouveaux.
Vous êtes-vous rapidement confrontée à la question du modèle économique ?
A.M.J. : Pas vraiment. À la suite de ce projet, j’ai commencé à travailler avec d’autres gens, par exemple avec les équipes du monde.fr. Pour devenir un média moderne, il fallait passer par l’étape de l’expérimentation et la société disposait d'un véritable laboratoire numérique. Les conditions étaient exceptionnelles : je travaillais avec d'autres professionnels, photographes, preneurs de son, etc., sans avoir à me préoccuper de la dimension économique. Les projets du monde.fr étaient soutenus par des fonds publics, le CNC en particulier. De mon côté, j’ai longtemps donné des formations au web-documentaire à des réalisateurs qui souhaitaient s’orienter vers ce domaine pour pouvoir financer mes projets.
"J’ai imaginé un programme associant casque de réalité virtuelle et tablette."
Et puis, à un moment, j’ai pensé que le webdocumentaire était mort et que je tournais en rond. Je crains que ce media ne soit récupéré par les grandes marques à des fins commerciales et qu’il n’y ait plus de dimension expérimentale et artistique. J’ai alors cherché quel autre media pouvait apporter autant d’interactivité, sinon plus, et j’ai décidé de suivre un master en jeu vidéo. Ce n’était pas une voie évidente pour moi : je ne joue pas énormément et, quand je le fais, je vais toujours vers des jeux très spécifiques, qui mettent l’accent sur le graphisme, le scénario. Mais je souhaitais apprendre un nouveau langage de programmation pour monter de nouveaux projets. Je voulais alors créer des applications pour les petits.
C’est à l’occasion de cette formation que j’ai imaginé un programme associant casque de réalité virtuelle et tablette. Le principe du jeu était le suivant : un artiste funambule rêve de relier les deux tours du World trade center en marchant sur un fil et chute. Deux possibilités sont alors offertes au joueur : laisser le héros dans le coma, à travers lequel il pourra atteindre son but en rêve, ou revenir à la vie. Les deux issues étaient positives, et amenaient à faire cohabiter les deux joueurs, malgré des objectifs opposés. Mais le projet n’a pas été suivi par mes camarades de classe, ma vision du jeu vidéo étant assez différente de la leur. Heureusement, à l’issue de ma formation, j’ai appris qu’Arte lançait un appel à projet pour créer un jeu vidéo, avec des conditions particulièrement ouvertes, et j’ai pu le réaliser.
On remarque d’ailleurs que le jeu vidéo est encore difficilement considéré comme une forme d'expression artistique. Comment l'expliquez-vous ?
A.M.J. : Il y a toujours de grandes discussions à ce sujet. Pour moi, jouer est une nécessité fondamentale de l’être humain, presque autant que boire ou manger. Mais il semble que l’on a du mal à considérer que ce qui nous divertit et nous fait sortir du quotidien, qu'il s'agisse du jeu ou des séries télé, puisse être de l’art. Pour le cinéma, c’est différent, c’est plus ancien.
Par ailleurs, il faut aussi savoir que le milieu du jeu vidéo est très codé, alors qu’on imagine plutôt un secteur libre, très ouvert. Dans les studios, on entend très souvent des remarques affirmant que ceci ou cela « ne se fait pas dans le jeu vidéo » : il y a des codes sur ce que doit être un jeu, sur comment on doit le faire, et aussi sur qui peut travailler dans ce secteur ! Les femmes ne sont toujours pas bien acceptées. On découvre actuellement que ce milieu n’est absolument pas épargné par les histoires de sexisme et de harcèlement, y compris dans des grands groupes français. Des groupements se sont créés, comme Women in game, pour militer sur le fait que les femmes aussi peuvent travailler dans le secteur du jeu vidéo.
C’est à l’occasion de cette formation que j’ai imaginé un programme associant casque de réalité virtuelle et tablette. Le principe du jeu était le suivant : un artiste funambule rêve de relier les deux tours du World trade center en marchant sur un fil et chute. Deux possibilités sont alors offertes au joueur : laisser le héros dans le coma, à travers lequel il pourra atteindre son but en rêve, ou revenir à la vie. Les deux issues étaient positives, et amenaient à faire cohabiter les deux joueurs, malgré des objectifs opposés. Mais le projet n’a pas été suivi par mes camarades de classe, ma vision du jeu vidéo étant assez différente de la leur. Heureusement, à l’issue de ma formation, j’ai appris qu’Arte lançait un appel à projet pour créer un jeu vidéo, avec des conditions particulièrement ouvertes, et j’ai pu le réaliser.
On remarque d’ailleurs que le jeu vidéo est encore difficilement considéré comme une forme d'expression artistique. Comment l'expliquez-vous ?
A.M.J. : Il y a toujours de grandes discussions à ce sujet. Pour moi, jouer est une nécessité fondamentale de l’être humain, presque autant que boire ou manger. Mais il semble que l’on a du mal à considérer que ce qui nous divertit et nous fait sortir du quotidien, qu'il s'agisse du jeu ou des séries télé, puisse être de l’art. Pour le cinéma, c’est différent, c’est plus ancien.
Par ailleurs, il faut aussi savoir que le milieu du jeu vidéo est très codé, alors qu’on imagine plutôt un secteur libre, très ouvert. Dans les studios, on entend très souvent des remarques affirmant que ceci ou cela « ne se fait pas dans le jeu vidéo » : il y a des codes sur ce que doit être un jeu, sur comment on doit le faire, et aussi sur qui peut travailler dans ce secteur ! Les femmes ne sont toujours pas bien acceptées. On découvre actuellement que ce milieu n’est absolument pas épargné par les histoires de sexisme et de harcèlement, y compris dans des grands groupes français. Des groupements se sont créés, comme Women in game, pour militer sur le fait que les femmes aussi peuvent travailler dans le secteur du jeu vidéo.
"Il semble que l’on a du mal à considérer que ce qui nous divertit et nous fait sortir du quotidien, qu'il s'agisse du jeu ou des séries télé, puisse être de l’art."
Venons-en à votre projet actuel, Les fantômes de Moogle street. De quoi s’agit-il ?
A.M.J. : Au départ, c’était une série pour le web, qui s’est transformée en bande dessinée interactive. L’histoire se déroule dans une ville de province habituellement paisible mais, où depuis quelque temps, les habitants commencent à avoir d’étranges comportements. On va suivre les événements à travers le regard de deux adolescentes, chacune marquée par des handicaps : Sandrine, obèse et agoraphobe, ne peut pas sortir de chez elle et vit derrière son ordinateur. Juliette, elle, est aveugle mais autonome ; elle travaille pour les services de la Ville afin de créer des applications pour aider les personnes malvoyantes. Les deux jeunes filles se rencontrent via le forum d’une radio spécialisée dans le conspirationnisme et le paranormal, et elles vont émettre une hypothèse concernant les événements de leur petite ville : le coupable serait la camionnette de Moogle street qui, en les photographiant, vole l’âme des habitants. Ensemble, elles vont créer une Moogle map, pour pointer tous les cas de folie dans la ville, et l’enquête démarre…
Vous avez expérimenté le dessin animé, le documentaire, le jeu… C’est la première fois que la bande dessinée intervient dans votre travail ?
A.M.J. : Oui, en effet. C’est Marie Deshayes, la dessinatrice qui travaille avec moi sur ce projet, qui a eu cette idée, partie d’une blague : on imaginait, pour rire, concourir à la catégorie « numérique » du festival d’Angoulême, où la concurrence est beaucoup moins rude que pour les ouvrages papier. Marie a alors réalisé que pour plusieurs outils numériques du quotidien, les réseaux sociaux, les notifications, les messageries instantanées, on utilise ce qui visuellement ressemble beaucoup aux bulles de la bande dessinée. Or Les fantômes de Moogle street se base effectivement sur ces nouveaux outils. C'est là que nous avons décidé de partir sur une bande dessinée interactive : l’idée est donc partie d’une boutade !
A.M.J. : Au départ, c’était une série pour le web, qui s’est transformée en bande dessinée interactive. L’histoire se déroule dans une ville de province habituellement paisible mais, où depuis quelque temps, les habitants commencent à avoir d’étranges comportements. On va suivre les événements à travers le regard de deux adolescentes, chacune marquée par des handicaps : Sandrine, obèse et agoraphobe, ne peut pas sortir de chez elle et vit derrière son ordinateur. Juliette, elle, est aveugle mais autonome ; elle travaille pour les services de la Ville afin de créer des applications pour aider les personnes malvoyantes. Les deux jeunes filles se rencontrent via le forum d’une radio spécialisée dans le conspirationnisme et le paranormal, et elles vont émettre une hypothèse concernant les événements de leur petite ville : le coupable serait la camionnette de Moogle street qui, en les photographiant, vole l’âme des habitants. Ensemble, elles vont créer une Moogle map, pour pointer tous les cas de folie dans la ville, et l’enquête démarre…
Vous avez expérimenté le dessin animé, le documentaire, le jeu… C’est la première fois que la bande dessinée intervient dans votre travail ?
A.M.J. : Oui, en effet. C’est Marie Deshayes, la dessinatrice qui travaille avec moi sur ce projet, qui a eu cette idée, partie d’une blague : on imaginait, pour rire, concourir à la catégorie « numérique » du festival d’Angoulême, où la concurrence est beaucoup moins rude que pour les ouvrages papier. Marie a alors réalisé que pour plusieurs outils numériques du quotidien, les réseaux sociaux, les notifications, les messageries instantanées, on utilise ce qui visuellement ressemble beaucoup aux bulles de la bande dessinée. Or Les fantômes de Moogle street se base effectivement sur ces nouveaux outils. C'est là que nous avons décidé de partir sur une bande dessinée interactive : l’idée est donc partie d’une boutade !
"Je ne fantasme pas du tout la technologie, j’en suis même très méfiante."
Votre rapport à la technologie semble ambivalent : vous en dénoncez les dérives dans Les fantômes de Moogle street, et elle est pourtant votre support d’expression.
A.M.J. : Je ne fantasme pas du tout la technologie, j’en suis même très méfiante. Et pourtant, c’est un outil extraordinaire, qui multiplie nos possibilités dans des démarches tant citoyennes qu’artistiques ou politiques. Cela a démocratisé de nombreuses pratiques, comme faire du cinéma ou pouvoir imprimer son propre livre… Mais je reste méfiante sur ses dérives. D’ailleurs, la phrase-clé de ce projet était : « Jamais nous n’avons eu autant d’outils pour nous permettre de nous situer et, en même temps, jamais nous n’avons été aussi perdus ».
J’ai noté une autre de vos phrases qui va dans ce sens : « Face à l’aliénation de l’homme, la technologie ne lui est plus d’aucun secours ». Le travail de votre personnage aveugle qui créé des applications pour aider les personnes handicapées est une chimère alors ?
A.M.J. : C’est un trait de caractère de ce personnage : elle, elle y croit. Mais c’est un secours spirituel plus qu’autre chose. Je reste sur l’idée que fondamentalement, par rapport à ce qu’est l’homme, la technologie nous amène à nous perdre plutôt qu'à nous retrouver.
Vous abordez de nombreuses notions dans ce projet. Il y a par exemple la question des thèses conspirationnistes et leur influence sur certains adolescents, thèses que vous mettez en regard aux menaces réelles que représentent des sociétés mondiales comme Google. Il y a aussi une réflexion sur l’uniformité et la différence, sur l’apparente banalité de nos existences et leur anomalie... Votre démarche artistique est finalement intimement philosophique…
A.M.J. : Si le public le conçoit ainsi, c’est super ! C’est important qu’un projet artistique ait quelque chose à dire. Je l’ai effectivement construit comme ça, mais chacun le percevra à sa façon.
Vous avez aussi une maitrise de lettres. C’est quelque chose de présent dans votre travail ? Vous parlez beaucoup du désir de raconter des histoires…
A.M.J. : Quand je me suis inscrite en maitrise lors de mon arrivée en France, c’était pour moi une façon de m’approprier la langue. Mais oui, cela tournait aussi autour de mon goût pour les histoires !
Pour finir, quelle forme va prendre ce projet, et quand va-t-on pouvoir le découvrir ?
A.M.J. : La bande dessinée se déroulera sur trois écrans distincts, entre lesquels on pourra naviguer avec des flèches ou en cliquant sur des notifications. Il y aura l'écran de Sandrine, celui de Juliette et celui d'un détective dont la femme est elle aussi frappée de folie. Le lecteur va ainsi évoluer dans trois environnements très différents : pour Sandrine, on aura quelque chose de très adolescent, avec des visuels plutôt gothiques ; pour Juliette, l'univers sera celui des logiciels spécifiques aux malvoyants, avec des lumières très fortes et beaucoup d'éléments sonores ; enfin, on reproduira le système d'exploitation spécifique à la police pour l'interface du détective.
Je construis actuellement le squelette interactif du programme. Marie Deshayes, elle, a beaucoup de dessins très techniques à réaliser pour représenter les écrans, les notifications etc. Le projet n'en est qu'à ses débuts, mais nous espérons avoir fini d'ici la fin de l'année !
A.M.J. : Je ne fantasme pas du tout la technologie, j’en suis même très méfiante. Et pourtant, c’est un outil extraordinaire, qui multiplie nos possibilités dans des démarches tant citoyennes qu’artistiques ou politiques. Cela a démocratisé de nombreuses pratiques, comme faire du cinéma ou pouvoir imprimer son propre livre… Mais je reste méfiante sur ses dérives. D’ailleurs, la phrase-clé de ce projet était : « Jamais nous n’avons eu autant d’outils pour nous permettre de nous situer et, en même temps, jamais nous n’avons été aussi perdus ».
J’ai noté une autre de vos phrases qui va dans ce sens : « Face à l’aliénation de l’homme, la technologie ne lui est plus d’aucun secours ». Le travail de votre personnage aveugle qui créé des applications pour aider les personnes handicapées est une chimère alors ?
A.M.J. : C’est un trait de caractère de ce personnage : elle, elle y croit. Mais c’est un secours spirituel plus qu’autre chose. Je reste sur l’idée que fondamentalement, par rapport à ce qu’est l’homme, la technologie nous amène à nous perdre plutôt qu'à nous retrouver.
Vous abordez de nombreuses notions dans ce projet. Il y a par exemple la question des thèses conspirationnistes et leur influence sur certains adolescents, thèses que vous mettez en regard aux menaces réelles que représentent des sociétés mondiales comme Google. Il y a aussi une réflexion sur l’uniformité et la différence, sur l’apparente banalité de nos existences et leur anomalie... Votre démarche artistique est finalement intimement philosophique…
A.M.J. : Si le public le conçoit ainsi, c’est super ! C’est important qu’un projet artistique ait quelque chose à dire. Je l’ai effectivement construit comme ça, mais chacun le percevra à sa façon.
Vous avez aussi une maitrise de lettres. C’est quelque chose de présent dans votre travail ? Vous parlez beaucoup du désir de raconter des histoires…
A.M.J. : Quand je me suis inscrite en maitrise lors de mon arrivée en France, c’était pour moi une façon de m’approprier la langue. Mais oui, cela tournait aussi autour de mon goût pour les histoires !
Pour finir, quelle forme va prendre ce projet, et quand va-t-on pouvoir le découvrir ?
A.M.J. : La bande dessinée se déroulera sur trois écrans distincts, entre lesquels on pourra naviguer avec des flèches ou en cliquant sur des notifications. Il y aura l'écran de Sandrine, celui de Juliette et celui d'un détective dont la femme est elle aussi frappée de folie. Le lecteur va ainsi évoluer dans trois environnements très différents : pour Sandrine, on aura quelque chose de très adolescent, avec des visuels plutôt gothiques ; pour Juliette, l'univers sera celui des logiciels spécifiques aux malvoyants, avec des lumières très fortes et beaucoup d'éléments sonores ; enfin, on reproduira le système d'exploitation spécifique à la police pour l'interface du détective.
Je construis actuellement le squelette interactif du programme. Marie Deshayes, elle, a beaucoup de dessins très techniques à réaliser pour représenter les écrans, les notifications etc. Le projet n'en est qu'à ses débuts, mais nous espérons avoir fini d'ici la fin de l'année !
Hélène Labussière vit en Charente, après avoir passé une quinzaine d'années sur Bordeaux, où elle a travaillé pour Écla Aquitaine (agence intégrée à ALCA Nouvelle-Aquitaine en 2018), autour des thématiques de la lecture publique, du numérique et des questions juridiques. Aujourd'hui, elle est libraire à Angoulême et scénariste de bande dessinée sous le pseudonyme Nena.