Angelo Plessas au Chalet Mauriac : écriture "in situ"
L'artiste grec est entré dans La Forêt d'Art Contemporain avec une œuvre ancrée dans les Landes de Gascogne : récit d'une rencontre lors de son passage à l'automne dernier en résidence d'écriture Transmedia au Chalet Mauriac.
Angelo Plessas vit à Athènes. Engagé dans le "net art" depuis le début des années 2000, il réalise des sites web qui permettent d'expérimenter et questionner les frontières communément admises entre le réel et le virtuel, en rapprochant les concepts de biosphère et de cybersphère. Il a été accueilli en résidence d’écriture Transmedia au Chalet Mauriac du 5 au 12 octobre 2020, pour son projet This Side of Forever / De ce côté-ci de l'éternité, créé en partenariat avec La Forêt d’Art Contemporain (Parc Naturel régional des Landes de Gascogne).
Un artiste à la dérive1 dans les Landes
Le projet de psychogéographie d'Internet d'Angelo lui a été inspiré du mouvement français des Situationnistes2. Alors qu'il s'intéressait à l'élaboration d'une "situation" construite par la dérive dans un paysage urbain, il a eu l'idée de créer une situation similaire par la dérive dans Google Street View. Ainsi, il s'est rendu dans différentes villes du monde, des endroits où il n'était jamais allé, pour dériver seul à travers son écran, sans savoir quoique ce soit sur l'endroit. Le projet évoluant, il a choisi des lieux publics dans ces villes, et fabriqué ses propres monuments. Cela prenait la forme d'une photo qu'il téléchargeait dans Google Street View comme un objet imaginaire. Il créait ainsi une lecture virtuelle, parallèle, utopique de la ville, ce qu'il appelait une psychogéographie d'Internet.
Pendant ses visites dans les Landes de Gascogne, d'abord en 2019, puis en 2020 lors de sa résidence, Angelo dérive dans l'environnement naturel de la forêt et trouve des lieux. Il dérive aussi dans les villages dont on lui a donné les directions et des références particulières. Il est en train de créer une psychogéographie personnelle des Landes qui sera ensuite transférée sur Internet.
De ce côté-ci de l'éternité, une œuvre numérique en 3 volets
Sorte d'amalgame de toutes ses inspirations dans les Landes, l'œuvre comporte 3 volets, 3 sites web pour 3 thématiques différentes, dans lesquels l'œil autochtone pourra reconnaître des structures et des éléments d'architecture, mais qui pourront se visiter sans connexion directe sur le territoire.
Le premier volet évoque l'air. Angelo a créé ce site Internet pendant le confinement en Grèce, alors qu'il était enfermé dans son appartement avec son dernier souvenir des lieux : l'expérience d'arcs-en-ciel extraordinaires. Ce premier site conjugué au présent propose d'explorer un arc-en-ciel dont s'échappent de belles créatures dans la beauté du ciel.
Le second volet en cours d'écriture évoque la terre, les arbres, l'architecture de la région et son passé. Encore la veille de cette rencontre, il remarquait la quantité étonnante de champignons qui tapissent les sous-bois autour du Chalet Mauriac, rappelant les histoires et légendes locales. Angelo s'interroge : "Par ailleurs, ne sont-ils pas un peu comme des plantes en provenance d'autres planètes - du moins si l'on en croit certains philosophes et figures de la contre-culture ?"
Le troisième volet évoquera la relation entre la mer et la forêt. Le sable qui arrive jusqu'ici a attiré le regard d'Angelo qui s'intéresse à la période vieille de plusieurs millions d'années où les Landes étaient recouvertes par la mer, une observation de l'évolution géologique qui permettra de projeter son public dans l'avenir.
Regard numérique
Lorsqu'il regarde la forêt alentour, Angelo voit la main de l'homme, celle de Napoléon III pour être précis, qui a fourni du travail à la population locale avec la production de bois ; un geste "technologique" qui a permis de créer quelque chose à l'air très naturel.
Dans son œuvre aussi, Angelo aime faire le lien entre des réalités opposées, la nature et la technologie, la spiritualité et la technologie - il prépare notamment un projet de texte, une sorte d'essai au format vidéo.
Si ce séjour au Chalet au cœur de la forêt est l'occasion d'une détox en pleine nature, il lui rappelle aussi ses débuts, il y a 20 ans, lorsqu'il a commencé à créer des objets purement numériques : "Internet ressemblait à une forêt immense dans laquelle on était perdu et on tentait d'allumer un feu."
Aujourd'hui encore, il voit la nature comme la technologie la plus avancée et rêve d'une fusion parfaite entre biosphère et cybersphère, dont Internet serait déjà une étape. En référence aux mystiques et philosophes New Age, Internet serait la noosphère3, cet état pénultième d'élévation de la conscience de l'être humain spirituel, la technologie reliée à la métaphysique, la technologie reliée à la nature.
La Forêt d'Art Contemporain dans la cybersphère
L'œuvre d'Angelo est créée dans le cadre d'un partenariat avec La Forêt d'Art Contemporain, qui produit et diffuse des pièces sous forme d’un itinéraire régional dans le massif forestier des Landes de Gascogne. Sur une proposition d'Irwin Marchal, Commissaire d'exposition pour La Forêt d’Art Contemporain (mandat 2018-2022), ce sera la première œuvre purement numérique du projet.
Elle sera intégrée et accessible dans une nouvelle application pour téléphone portable qui permet d'accéder, en ligne, de n'importe quel endroit, et 24 h/24, à la Forêt d’Art Contemporain à travers une cartographie, l’évocation de parcours, d’œuvres ou d’éléments significatifs du territoire (faune, ore, géographie, culture locale, etc.).
De ce côté-ci de l'éternité sera également accessible directement via un navigateur web sur PC ou tout autre appareil numérique à travers les URLs de chaque site.
Développé avec Unity, un logiciel utilisé par l'industrie du jeu vidéo, chaque site propose une expérience interactive jouant avec les couleurs et les formes inspirées des lieux.
En cours...
La création, débutée en 2019, devrait être diffusée au public en ligne au printemps 2021, et ce malgré les retards liés à la Covid-19.
Une présentation physique est également envisagée au cours d'ateliers ou de conférences, peut-être d'une exposition sous forme de projections interactives des pièces à Bordeaux ou dans les environs sur le même format que d'autres œuvres numériques d'Angelo Plessas4.
La période pourrait aussi se prêter à un plan B avec un événement live comme celui qu'il a organisé il y a quelques mois sur l'invitation du Musée d'Art Cycladique d'Athènes : un rituel Zoom. Sous la forme d'une méditation guidée par Angelo, les participants ont été amenés à utiliser leur téléphone comme un outil spirituel. D'abord éteint, l'objet physique devenait support de réflexion et de visualisation de la relation à soi et aux autres à travers les pages des médias sociaux de chacun.
Comme pour son œuvre De ce côté-ci de l'éternité, qui déploie une sensibilité méditative et spirituelle pour engager son audience.
1En 1954, Debord définit la "dérive" comme une méthode d’analyse urbaine consistant en une déambulation rapide sans but parmi les différentes ambiances urbaines avec une forte influence du décor. Source : https://comptoir.org/2014/11/29/lurbanisme-situationniste-une-notion-a-la-derive/
2Dans la revue belge Les Lèvres nues, Debord définit la psychogéographie comme "l’étude des lois exactes et des effets précis du milieu géographique, consciemment aménagé ou non, agissant directement sur le comportement affectif des individus". Il y précise à nouveau la notion de dérive qui est "indissolublement liée à la reconnaissance d’effets de nature psychogéographique et à l’affirmation ludique-constructif, ce qui l’oppose en tous points aux notions classiques de voyage et de promenade". Source : https://comptoir.org/2014/11/29/lurbanisme-situationniste-une-notion-a-la-derive/
3La noosphère, selon la pensée de Vladimir Vernadsky et Pierre Teilhard de Chardin, désigne la "sphère de la pensée humaine". https://fr.wikipedia.org/wiki/Noosph%C3%A8re
4The Angelo Foundation : The Headquarters au Jeu de Paume - 6 avril ➜ 18 octobre 2009 - avec la collaboration d’Andreas Angelidakis. http://www.jeudepaume.org/index.php?page=article&idArt=942
(Photo : aldanjou)